Partagez sur "Alep : entre tragédie, propagandes et compassion 2.0"
Comme il y a un an et demi, lorsque la photo du cadavre du petit Aylan a été publiée, entraînant une spectaculaire vague d’adhésion populaire à la cause des migrants, les médias dits « mainstream » s’en donnent à coeur joie.
Une tragédie sans nom se déroule actuellement à Alep et elle n’a(urait) qu’un seul responsable : Bachar-el-Assad et ses alliés, coupables de bombarder sans la moindre retenue et de perpétrer atrocités sur atrocités envers les civils.
Les forces loyalistes syriennes sont maintenant en passe de reprendre la deuxième ville du pays aux rebelles, désormais réduits à la portion congrue. Des rebelles dont on ose encore nous faire croire, preuve que certaines fables ont la vie dure, qu’il s’agit exclusivement de démocrates qui n’ont d’autre ambition que de mettre un terme à un régime népotique injuste.
Face à ce raccourci, Le Figaro tente de démêler le vrai du faux et d’éviter congruences artificielles et autres généralisations, ennemies de la compréhension des enjeux et qui, associées à une propagande manichéenne absolument redoutable, participent également aux larmes qui coulent par hectolitres depuis quelques jours dans les chaumières occidentales, tandis que Noël approche à grands pas. « Le territoire détenu par les opposants au régime syrien ne mesure plus que 3 kilomètres carrés environ », écrivait le quotidien mercredi.
Et de détailler: « plusieurs groupes sont présents sur cette zone. Le principal, Fatah al Cham, compte entre 500 et 1000 combattants, y compris des étrangers. Fatah al Cham a succédé à la branche locale d’Al-Qaeda. Également présent à Alep-Est, le groupe salafiste Ahrar al-Sham regroupe 1 500 hommes, soutenus par le Qatar ». « Al-Qaeda », « salafistes » : deux termes qui glaceraient le sang si, dans le même temps, des témoignages de survivants terrorisés et des photos d’enfants morts ne déferlaient pas sur la Toile…
Pour être plus précis, « d’autres groupes, dits ‘modérés’, sont affiliés à l’Armée syrienne libre, comme Fastaqim, Noureddine al-Zenki et Sultan Mourad, qui regrouperaient au total quelque 4 000 combattants », poursuit Le Figaro, lequel a également relayé l’estimation du groupe rebelle Jabha Shamya selon laquelle il resterait actuellement 50 000 civils assiégés à Alep-Est, dont la moitié non-liés aux rebelles. Twittant régulièrement sur la situation dans la ville, le grand reporter et éminent spécialiste de la région Georges Malbrunot a pour sa part évoqué « entre 5 et 8 000 rebelles à Alep-Est, sachant que certains ont quitté récemment ». « Ils sont avec leurs familles », précise notre confrère.
On est loin, quoi qu’il en soit, des dizaines voire centaines de milliers de morts dont parlent certains présentateurs de chaînes d’informations.
Des témoignages sujets à caution
Les mêmes qui pleurent aujourd’hui Alep ne s’émeuvent guère des frappes sur le Yémen, où l’Arabie Saoudite, puissance alliée des Occidentaux, pilonne pourtant indistinctement civils, rebelles et islamistes.
Considérant l’absence quasi-totale des médias sur les lieux, et sans pour autant réfuter l’existence d’une catastrophe humanitaire face à laquelle l’ONU brille par son impuissance, l’imagination jouit en la circonstance d’un champ totalement dégagé. Force témoignages pathétiques sont venus combler le vide, mais ils sont loin de dissiper le doute pour quiconque tenter de regarder ce qui se passe à Alep à travers autre chose que le prisme de l’émotion brute et de l’assadophobie primaire. Certains se sont visiblement employés à démontrer ce qui, au bout du compte, ressemble à une véritable supercherie orchestrée collectivement.
Reste les photos insoutenables d’enfants morts, victimes bien réelles de la guerre, mais dont nul ne peut affirmer avec certitude qu’ils ont payé de leurs vies les derniers bombardements sur Alep.
Dans ce climat profondément anxiogène, fertile en foucades et en cris d’orfraie 2.0 par définition totalement improductifs, et où l’effroi prend le pas sur la suspicion, Le Monde a tout de même fait savoir que ses journalistes à Beyrouth « sont au contact de personnes qui ont fui Alep, et certains récits valident tout à fait l’existence de civils victimes des forces syriennes ». « Leurs chroniques de l’écrasement de la rébellion se fondent aussi sur des sources institutionnelles, mais également, par exemple, sur les récits de contacts sur place », insiste le quotidien, qui avec raison mentionne aussi la présence à Alep du correspondant de l’AFP Karam Al-Masri, un professionnel reconnu dont il tient à préciser qu’il « vient de recevoir le Grand Prix de la Fondation Varenne dans la catégorie ‘Journaliste reporter d’images’ (JRI) ».
Parlant du dernier hôpital d’Alep, dont nul ne sait finalement s’il est encore debout ou non, Le Monde botte néanmoins en touche : « s’il est évident qu’il y a des exagérations et de la propagande des deux côtés du conflit, il est difficile de se contenter de cette présentation tronquée des faits, qui passe un peu vite sur une réalité : depuis plus d’un an, des hôpitaux sont régulièrement la cible de bombes à Alep, entraînant une situation humanitaire de plus en plus dramatique. »
Alors que les informations plus ou moins vérifiées, voire carrément douteuses, s’enchaînent à un rythme effréné, il convient de ne pas oublier que, outre la tragédie d’Alep, Mossoul est actuellement l’objet d’une bataille certes beaucoup moins médiatisée, mais certainement aussi féroce, menée par la coalition internationale qui tente de reprendre la métropole irakienne aux djihadistes.
Des djihadistes qui ont également réinvesti la cité antique de Palmyre, à la faveur de la mobilisation de l’essentiel des forces armées gouvernementales à Alep. Des djihadistes bien plus nombreux et soutenus que les rebelles modérés et qui, en conséquence, finiront par déferler si le « bouchon » Assad devait sauter.
Les mêmes qui pleurent aujourd’hui Alep ne s’émeuvent guère des frappes sur le Yémen, où l’Arabie Saoudite, puissance alliée des Occidentaux, pilonne pourtant indistinctement civils, rebelles et islamistes. Ils n’ont pas non plus pleuré à chaudes larmes devant les persécutions des chrétiens d’Orient et les exactions des rebelles lorsqu’ils se sont emparés d’Alep, des massacres manifestement pas assez « bankables » pour justifier une extinction de la Tour Eiffel. Ils pleureront en revanche très fort, à n’en pas douter, si les djihadistes devaient se révéler être les vainqueurs de l’épouvantable conflit syrien.
Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de nier ni même de minimiser l’horreur d’Alep, avec des civils au nombre indéterminé qui paient le prix d’affrontements qui les dépassent. Les difficultés à les évacuer, lesquelles témoignent de la détermination des forces en présence, accentuent encore cette tragédie, tout comme, répétons-le, l’impuissance de l’ONU, que Charles de Gaulle, la jugeant inutile, appelait en son temps le « grand machin » et qui correspond plus que jamais à cette définition en cette fin d’année.
L’indignation et l’émotion populaires – au demeurant sélectives et bien tardives dans la mesure où la Syrie est en guerre depuis près de 5 ans – ne doivent néanmoins pas s’opposer à la recherche de la vérité, un vrai défi au regard des obstacles auxquels les médias doivent faire face pour couvrir l’événement. A cet égard, Georges Malbrunot a loué ce jeudi le travail du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui contrairement à l’écrasante majorité des journalistes est sur place. Il a également évoqué des bombardements ciblés sur les structures de santé pour terroriser les populations.
Au bout du compte, il ne fait aucun doute que Bachar-el-Assad et ses alliés ont du sang sur les mains. Tel est cependant aussi le cas des rebelles, dont on aurait bien tort de croire qu’ils sont de simples combattants de la liberté toujours prêts à défendre la veuve et l’orphelin. Ne perdons pas non plus de vue que l’entente russo-syrienne a vocation à être diabolisée en Occident, parce que contrevenant aux intérêts américains. Des Américains qui jusqu’à ce jour ont eu tout faux sur ce conflit.