Partagez sur "Attentats de Bruxelles : rien n’a vraiment changé depuis Paris"
Comme il fallait s’y attendre, l’histoire s’est donc répétée. Un peu plus de quatre mois après les attentats de Paris, Bruxelles, capitale de l’Europe menacée de longue date, a à son tour été la cible d’attaques terroristes. L’Europe doit faire face à une menace diffuse et d’une envergure sans précédent dans son histoire depuis la Seconde Guerre Mondiale.
Le bilan, toujours provisoire, fait état d’au moins 31 morts et de quelque 200 blessés. Perpétrés à l’aéroport de Zaventem et à Maelbeek, non loin des institutions européennes, ces attentats ont une nouvelle fois frappé à l’aveugle, sans distinction de religion ou de couleur de peau. Le mode opératoire – avec ceintures explosives et kalachnikovs en compléments – rappelle les grands faits d’armes d’Al-Qaïda, qui avait perpétré deux carnages à Madrid en 2004 et à Londres l’année suivante. Il confirme également le changement de stratégie de l’Etat islamique, qui a revendiqué l’attentat via un communiqué qui se passe de commentaires et avait entamé l’an passé un virage décisif en ne se contentant plus de s’en prendre exclusivement à des symboles.
Le quotidien de l’Européen lambda a une nouvelle fois été ciblé et il faudra sans doute du temps pour que cette réalité commence à disparaître de son esprit.
Des transports ont été pris pour cible, une première sur le territoire belge, et le pays, si souvent pointé du doigt pour sa passivité ces derniers mois, a payé là le plus lourd tribut de son histoire à l’islamisme, quelques jours à peine après la fin très – trop – médiatisée de la cavale Salah Abdeslam, kamikaze raté, logisticien des attentats de Paris débusqué dans son fief et sans doute second couteau de Daech, ce qui en dit long sur ses forces et son pouvoir de nuisance.L’Etat islamique a-t-il agi en représailles de cette arrestation ? Plus plausiblement, l’opération était-elle prévue de longue date et son déclenchement a-t-il été accéléré dans un contexte de vigilance militaro-policière renforcée ?
On peut en tout état de cause redouter encore un peu plus depuis ce tragique 22 mars des attaques analogues dans le métro parisien, dans les gares et dans tous les grands aéroports européens, dont l’immensité rend illusoire toute velléité de sécurisation complète par les pouvoirs publics.
Le quotidien de l’Européen lambda a une nouvelle fois été ciblé et il faudra sans doute du temps pour que cette réalité commence à disparaître de son esprit. Après ses loisirs en novembre, c’est sa routine professionnelle et ses déplacements que l’Etat islamique a voulu viser, suivant un classique hélas indémodable du terrorisme, qui a vocation à alimenter un climat extraordinairement anxiogène et oppressant en frappant l’ordinaire.
Après les attentats, des quotidiens bouleversés
Quatre mois après, la compassion 2.0, pour sincère qu’elle soit, a aussi refait surface. Quatre mois après, les mêmes images d’horreur et de sang que les Français commençaient tout juste à évacuer, tandis que la charge émotionnelle inhérente aux attentats commis à Istanbul, à Ankara, au Mali, en Côte d’Ivoire et au Burkina-Faso s’était bien plus rapidement dissipée, culture de proximité oblige, ont tristement ressurgi. Quatre mois après, les Bruxellois ont à leur tour goûté à l’horreur sauce islamiste. Dans la capitale de l’Europe comme dans la Ville Lumière, le quotidien refera valoir ses droits et ils partageront avec les Parisiens la même appréhension, le même sentiment latent d’angoisse, la même colère, le même dégoût.
Les appels à l’union, à l’unité et à la solidarité se sont succédé, mais il va sans dire que cette réponse et ces odes répétées à la tolérance sont insatisfaisantes, parce que très insuffisantes.
Bientôt, ils tiqueront à leur tour en entendant les sirènes, ils s’interrogeront sur le sens véritable de la vie, ils trembleront pour leurs proches et ils éprouveront peut-être le sentiment que tout n’a pas été fait, en amont, pour les protéger.
Pourquoi, quelques jours seulement après la fusillade de Forestet l’arrestation du susnommé Salah Abdeslam, les autorités n’ont-elles pas jugé bon de relever plus tôt à 4 le niveau d’alerte en vigueur à Bruxelles ? Comment se fait-il que Salah Abdeslam a été « logé » à Molenbeek, où il a sans doute bénéficié de protections pendant plusieurs semaines, alors même que cette commune – d’aucuns parleraient plutôt de zone de non-droit -, considérée comme un « nid » à djihadistes, était à ce titre supposée être étroitement surveillée ?
Avant les inévitables polémiques, les réactions atterrées et indignées se sont bien entendu multipliées, tandis que les drapeaux étaient mis en berne, que la Toile se parait de noir, de jaune et de rouge, et que fleurissaient dessins et caricatures revisitant les clichés de nos voisins bien-aimés sur les réseaux sociaux. Les appels à l’union, à l’unité et à la solidarité se sont succédé, mais il va sans dire que cette réponse et ces odes répétées à la tolérance sont insatisfaisantes, parce que très insuffisantes. Certains parmi lesquels le Premier ministre français Manuel Valls ont une nouvelle fois lâché le mot « guerre », brocardé dans certains milieux, à peu près les mêmes que ceux au sein desquels on considère que l’instauration (et a fortiori de la prolongation) de l’état d’urgence et la déchéance de la nationalité pour les terroristes sont autant de crimes contre cette démocratie qu’il faut plus que jamais, en ces heures sombres, défendre bec et ongles.
Les constitutionnalistes de bistrot, les philosophes de supermarché, les moralisateurs de bas étage, les chantres de la bienpensance, les démocrates à la petite semaine et les accros au « padamalgam » seront toujours là, plus prompts à critiquer qu’à proposer, plus portés sur le superfétatoire que sur l’essentiel et peut-être encore plus découragés et défaitistes depuis hier matin.
L’État islamique conserve sans doute plusieurs longueurs d’avance
De son côté, l’État islamique, ce repaire de paumés aux ressorts fanatiques, a une nouvelle fois fait étalage de sa toute-puissance, bien réelle malgré les pertes infligées « là-bas », les perquisitions et les arrestations sur le Vieux Continent. La riposte est-elle intervenue trop tard ? Est-elle suffisante ? Daech conserve-t-il plusieurs longueurs d’avance ? Ses djihadistes, autant d’individus prêts à se faire exploser leur cervelle définitivement lobotomisée une fois revenus de Syrie, se chiffrent en tout cas par dizaines de milliers et, parmi eux, une proportion non négligeable a certainement déjà tout pensé, tout planifié dans les moindres détails en vue de nouvelles attaques d’envergure.
Ils sont des martyrs et donc des héros dans les rangs islamistes, mais aussi dans des quartiers qui sont autant de Molenbeek en puissance.
Certains agiront peut-être seuls et d’autres mourront ensemble, en lâches qu’ils sont, après que leurs kalachnikovs eurent craché toute leur colère et toute leur vacuité. A Paris et à Bruxelles, des meutes islamistes en mal de sensations et avides d’assouvir leurs pulsions meurtrières si longtemps réfrénées n’ont pas hésité à mitrailler au nom de la défense d’une cause qui leur ressemble en ce sens qu’elle est perdue d’avance. A faire payer à des centaines d’innocents leur infinie frustration, qui s’est traduite en amont par leur ralliement à une idéologie rétrograde, fondée sur le mépris de la vie de quiconque ne se conforme pas strictement à la charia, la haine de la différence, le rejet viscéral de toutes les formes de culture, d’instruction et d’érudition, l’asservissement et la soumission par la force.
Ils sont des martyrs et donc des héros dans les rangs islamistes, mais aussi dans des quartiers qui sont autant de Molenbeek en puissance. La Belgique et l’Europe avec elle ont une nouvelle fois payé mardi leur laxisme et leur angélisme au prix fort. Plus que de recueillement et de larmes, c’est d’initiatives dont le Vieux Continent a maintenant besoin pour que le sang coule moins. Urgemment.
De resserrement des liens entre les structures antiterroristes, d’échanges d’informations et de fichiers. De démantèlements, de détricotages et de dénoyautages. De policiers, de militaires. De déradicalisation, si tant est qu’une telle entreprise ne soit pas vouée à l’échec, de discipline, de rigueur et d’éducation. De répression et de prévention. De cohésion, de cohérence et de sérieux. D’une vraie détermination, par-dessus tout.