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François Cavanna est mort. Après le professeur Choron, celui que l’on surnommait « le Gaulois » emporte dans sa moustache les derniers vestiges d’une époque révolue, celle de 68 où il était « interdit d’interdire ».

   Au début des années soixante, ce fils d’ouvrier italien illettré rejoint la bande de Georges Bernier alias le professeur Choron, et fonde avec ce dernier le mensuel Hara-Kiri qui deviendra par la suite Charlie Hebdo.

  Dans une société sclérosée par les codes familiaux et sociétaux d’avant-guerre, le journal des deux compères où l’un tenant la ligne éditoriale et l’autre le crayon, fait sauter le verrou du politiquement correct, la parole se libère,  exit les vieux cons et place aux jeunes.

 Tout le monde va y passer : les bourgeois, les curés de campagne, les vieilles rombières, les hommes politiques français et internationaux, à l’image de la couverture censurée au lendemain de la mort du Général de Gaulle : Bal tragique à Colombey, un mort. L’humour potache est alors synonyme de mauvais goût assumé où se mêlent textes grivois voire pornographiques et images toutes aussi explicites.

Cavanna, un moderne réac

  Le journal ouvertement dégueulasse avait pour but de choquer le bourgeois cependant il œuvrait aussi par cynisme et par un esprit je-m’en-foutisme proche de l’anarchisme. On ouvrait les vannes de la connerie dans le but de rire et de montrer des femmes à poil. Le propos était féroce, vulgaire, ou comme ils l’affirmaient eux-mêmes en sous-titre : « bête et méchant ».

 François Cavanna était l’alliance d’un moderne et d’un réac. Il œuvrait pour la défense de la langue française et dénonçait l’américanisation des esprits, il avait rejoint la cause animale et était engagé  dans l’antiracisme. Néanmoins, sous le nom de Sépia, il s’en donnait à cœur joie dans la gaudriole. Tel Rabelais, la bouffonnerie des textes faisait resurgir la pensée dont il était imprégné, celle d’un homme qui ne se fixait aucune limite. Point de sentiments dans son propos, aucune idéologie politique, seulement la volonté de pouvoir tout dire et tout croquer. Le Gaulois, le professeur Choron, Wolinski et consorts faisaient alors dans le véritable politiquement incorrect car ils étaient dénués de toute réflexion et de toute morale.

L’humour devenu véhicule d’une idéologie 

 C’est bien cette amoralité qui est morte avec lui, laissant place à l’immoralité. Si avant l’on se refusait chez Hara-Kiri puis Charlie Hebdo à établir une charte de bonne conduite, les idéologues post-Cavanna ont tracé à la craie les limites entre amoralisme et immoralisme. La ligne jaune jadis sans cesse dépassée n’est plus de mise aujourd’hui. Et pour cause, aujourd’hui l’humour est encarté, et quand il ne l’est pas, il est le véhicule d’une idéologie prégnante, teintée de tous les –ismes possibles ou encore le porte-parole d’une minorité. Rire de tout, c’est s’exposer aux attaques pour immoralité, pour avoir mal pensé.

  L’époque à laquelle Cavanna exerçait est révolue. Elle marquait le (court) passage d’un discours formaté et lisse à une libération de la parole, où tout était permis. Trente ans plus tard, c’est ce trop plein de liberté dont pâtissent les personnes publiques. Le libertarisme langagier a fait naître des êtres dont on a perdu le contrôle,  des monstres qui s’enorgueillissent  de tout dire, dans le but de dénoncer et au nom des valeurs qu’ils prétendent défendre. Charlie Hebdo est le père spirituel d’une morale qu’il conchiait.

  L’irrévérence des textes et des croquis de Sépia est elle aussi partie avec lui. Et quand les journaux satiriques tentent à nouveau de choquer le lecteur, ce n’est plus au nom de la liberté d’expression, mais au nom du marché. Car pour survivre, il faut vendre du papier. Quoi de mieux alors que de « faire » des coups médiatiques n’ayant pour seules volontés que d’épuiser les stocks et de provoquer l’ire des personnes ciblées. Si d’aventure les couvertures sont toujours aussi cinglantes, leur but inavoué l’est beaucoup moins.

 Siné mensuel titrait en hommage au dessinateur le lendemain de son décès : Cavanna, petite bite ! Peut-être, mais il avait de grosses couilles.

Andrés Rib

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Andrés Rib

Ancien de la Sorbonne. Professeur de Lettres. Aime le Balto, et la Philo.

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