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Le couperet est tombé, Eric Zemmour n’officiera désormais plus sur Itélé, décision prise lors d’une réunion des journalistes de la chaîne suite à ses propos sur les Musulmans dans un quotidien italien. Les médias s’enflamment, opposants et partisans s’invectivent sur les réseaux sociaux. Pourtant, après un tour d’horizon des uns et des autres, un constat s’impose : la médiocrité ambiante. Explications.

Ses nombreux partisans se présentent aujourd’hui comme des victimes anonymes du « diktat de la pensée unique » , pour user d’un point Godwin pré-Hitler à la mode. Son discours, très – trop ?- proche de la réalité, serait devenu un exutoire pour ces derniers, le symbole d’une pensée populaire et non populiste, celle des laissés pour compte. L’homme « dirait tout haut ce que les gens pensent tout bas ». Nier ainsi le discours de Zemmour, c’est réfuter d’un revers de main les réflexions d’une certaine partie de la population, de ceux qui l’écoutent et l’achètent. On appelle au boycott d’Itélé, l’on parle même pour reprendre ses termes de « dictature socialiste ». La chaine d’infos est alors une version 2.0 de la Ferme des animaux et Zemmour un cochon sacrifié sur l’autel de la pensée. Pour avoir mal pensé.

Ses opposants, les tenants d’un discours humaniste et multiculturaliste, lui reprochent d’être l’antéchrist en personne, un catalyseur qui réunirait en son sein tous les travers de la société française. Ainsi ses propos seraient tour à tour racistes, misogynes, islamophobes. Il incarne dès lors l’image d’une France rance, repliée sur elle-même et non ouverte sur le monde. Leur argument est claire, voire légitime : la libération de la parole est la condition sine qua none à la prolifération d’idées et d’actes pour le moins douteux. Aussi, le faire taire permet alors de se reposer, et de pouvoir oeuvrer continuellement pour un monde meilleur. Non, les différences culturelles ne sont pas un poids, mais une richesse dont il faut vanter les mérites, stigmatiser l’autre c’est l’amalgamer à des idées impropres. Il convient de différencier, de produire du sens, en un mot, de réfléchir.

Les derniers, quant à eux, refusent le discours d’Eric Zemmour, mais sont attachés à la liberté d’expression. Celle qui permet de tout dire, au nom du pluralisme des idées, et de réfléchir à tous les champs du possible. Cette liberté est vectrice d’argumentation, de débats, de combat intellectuel. Les mêmes qui refusent à l’autre le champ du réel souhaitent s’exprimer, s’opposer et le réfuter pour mieux le révéler. Des figures de l’intellectualisme français de tous bords, tels Jean-François Kahn, Michel Onfray et Alain Badiou ou encore des journalistes ayant pignons sur rue critiquent ouvertement la décision d’Itélé, au nom du passé, et de ceux qui ont combattu pour obtenir le droit de répondre.

Pro ou anti Zemmour : tous ont tort

Il n’est point un idéologue, au mieux un passeur de textes. Sa tête de gondole journalistique cache une forêt intellectuelle plus dense : Jean-Claude Michéa, Gilles Keppel, Christopher Lasch, Roland Barthes pour ne citer qu’eux.

Les premiers ont tort. Tort de penser qu’une « dictature » sévirait sur le petit écran. Itélé, filiale du groupe Canal + est une chaine privée, non affiliée au service public. En accord avec leur ligne éditoriale, elle s’octroie le droit le plus légitime d’embaucher ou de licencier ses employés. A ce jour, le journaliste honni des médias est encore présent sur RTL, Paris Première et le Figaro Magazine.  La dictature n’est plus ce qu’elle était. Aussi il est factice de penser que Zemmour est l’apanage des miséreux. Son dernier ouvrage, Le suicide français, n’est pour autant qu’un travail universitaire. Prenant ça et là des thèses parmi divers penseurs et sociologues, le trublion du PAF se contente dès lors de les réunir, et de s’approprier leurs idées. Il n’est point un idéologue, au mieux un passeur de textes. Sa tête de gondole journalistique cache une forêt intellectuelle plus dense : Jean-Claude Michéa, Gilles Keppel, Christopher Lasch, Roland Barthes pour ne citer qu’eux. Il est essentiel de lire les références de Zemmour, de s’aventurer dans sa bibliographie pour s’apercevoir qu’il n’est en rien un penseur. Au mieux un vulgarisateur. Peut-être est-il plus simple pour ses détracteurs de sauter à pieds joints dans des querelles illusoires, afin de masquer leur médiocrité intellectuelle. Un lecteur assidu aura sans doute relevé les reprises confondantes du journaliste.

Les seconds ont tort. Tort de penser qu’une pensée fasciste se dégage des propos d’Eric Zemmour. Ses nombreuses références sont pour le moins diversifiées. Un grand nombre des penseurs dont il se réclame sont des fervents hommes de gauche, des critiques acerbes d’un socialisme dans lequel ils ne se reconnaissent plus. Prenant à témoin Georges Orwell, le philosophe Jean-Claude Michéa fustige la nouvelle religion du progrès. Dans La gauche à l’épreuve, Jean-Pierre Le Goff dénonce la perte des valeurs de la gauche et d’une grande partie de la classe populaire au profit des minorités. Les sociologues Gilles Keppel et Hugues Lagrange alertent l’opinion sur l’islamisation d’une partie des banlieues françaises. Devant de tels constats, la Reductio ad Hitlerum opérée par certains journalistes ne permet pas au débat d’avoir lieu. On fustige, on s’indigne, pour ne pas avoir à réfléchir.

Le problème ne réside pas dans les propos d’un Eric Zemmour, il est plus profond : Est-il possible d’éduquer la masse, et de l’inciter à penser, véritablement ? Si Zemmour est l’homme à abattre, Quid de ses lecteurs ? Deux solutions sont alors envisageables. La première consiste à museler le discours, réglementer la parole, afin de penser le bien et de vivre dans le meilleur des mondes. La seconde trouve un écho dans les paroles de Bertolt Brecht : « Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple. »

Les derniers ont tort. Tort de brandir haut et fier la liberté d’expression chère à Voltaire. Cette dernière est un oxymore, tant elle est encadrée par des lois. Une liberté condensée, ne peut se définir comme liberté. Elle est partielle, et donc régie par des règles qui entravent sa conception même. la liberté d’expression n’existe pas dans le sens ou elle n’est pas protégée par un amendement, contrairement aux américains, mais elle s’arroge au contraire le droit d’être limitée. Donner le droit au polémiste à s’exprimer au nom d’un mythe revient dès lors à remettre en cause la notion même de liberté surveillée. La question en suspens ne trouve pas de réponse appropriée. Enfin certains journaux, Mediapart en tête, brandit la vérité comme un étendard journalistique. Cependant ses journalistes refusent qu’elle soit constitutive d’une opposition. La liberté d’expression n’est alors pas permise à ceux qui l’utilisent à mauvais escient. Là encore la contradiction subsiste.

Face à la curie intellectuelle symbolisée par l’affaire Zemmour, il convient de porter une réflexion intelligente sur les réels enjeux que cette dernière suscite.

A lire sur le sujet :

=> Débat Zemmour / Mélenchon, qui sort vainqueur ?

=> Eric Zemmour, l’homme qui murmurait à l’oreille du PAF

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Andrés Rib

Ancien de la Sorbonne. Professeur de Lettres. Aime le Balto, et la Philo.

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