Partagez sur "Ilan Halimi : le calvaire d’un homme, le traumatisme des Juifs de France"
Un acte antisémite écœurant. Une entreprise démoniaque, fondée sur le cliché du juif fortuné, qui n’a pas eu les résultats escomptés, mais s’est soldée par la mort, avec la farouche intention de la donner lentement, d’un vendeur de téléphones sans histoire de 23 ans. Ilan Halimi a succombé le 13 février 2006 au terme d’une agonie de plus de trois semaines, torturé à l’extrême de guerre lasse, parce que ses ravisseurs n’ont pas obtenu la rançon qu’ils espéraient en contrepartie de sa libération – son montant a varié entre 450 000 et 500 000 euros – et d’abord parce qu’il était juif.
Un séfarade comme il en existe des dizaines de milliers en France, ni plus ni moins riche que la moyenne. Un jeune qui n’avait que le « tort » d’être juif, donc forcément à l’abri du besoin, ont pensé ses tortionnaires, tombé dans un piège imprévisible. Sous les coups de la cruauté primaire, de la judéophobie et de l’antisionisme les plus abjects, tous incarnés par une bande symptomatique de ce que la société française est à même d’engendrer, à force de légèretés, de circonstances atténuantes et d’incantations utopiques au pacifisme.
L’opinion a été ébranlée. La presse, elle, n’a rien manqué de cette sordide affaire, attribuant à Youssouf Fofana et à ses séides le surnom inspiré de « Gang des barbares ». Beaucoup plus tard, Alexandre Arcady lui a consacré un film dérangeant, baptisé 24 Jours et adapté du livre éponyme de la mère de la victime, entre revendications grossières dans tous les sens du terme et angoisses d’une famille impuissante, dépassée par l’horreur, tiraillée entre reddition financière malgré ses moyens limités et sédition contre la stricte consigne policière d’intransigeance, avant le dénouement tragique que l’on sait.
« Le devoir de mémoire. Dix ans plus tard, l’émotion, le dégoût et la peur demeurent omniprésents ».
Grièvement brûlé à 80%, affamé, assoiffé et transi de froid, Ilan Halimi a été retrouvé dénudé le long des voies du RER C, à Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne). Il est mort peu après, des suites de ses blessures multiples, à l’hôpital d’Evry.
Dix années se sont écoulées et chacun conviendra que l’antisémitisme n’a pas disparu en France, loin de là. Il ne pouvait en être autrement au regard de la progression islamiste, tandis qu’en Israël Benyamin Netanyahu répond aux tirs de roquettes lancés depuis la bande de Gaza par des bombardements parfois massifs et que les contempteurs de l’Etat hébreu, oubliant qui a allumé la mèche et très nombreux dans l’Hexagone, jugent sinon infondés, en tous les cas disproportionnés.
Pris en étau, avec des majorités successives qui les défendent plus dans la parole que dans les actes, poussant surtout des cris d’orfraie et des appels à ne pas amalgamer, à défaut de durcissements législatifs qui seraient pourtant bienvenus, les Juifs de France se souviennent. Le devoir de mémoire. Dix ans plus tard, l’émotion, le dégoût et la peur demeurent omniprésents.
Sandy B. s’interroge encore : « Dans quel univers tous ces hommes pouvaient-ils bien provenir pour agir d’une façon aussi atroce ? ». Dans l’esprit de cette jeune séfarade de 34 ans, l’affaire Ilan Halimi demeure « une épée en plein cœur » et « ce qu’il s’est passé ne pourra jamais être oublié au sein de la communauté ».
« Ce qui m’a beaucoup choqué, c’est le fait que ces barbares étaient des noirs, des Arabes et des Français de tout âge », poursuit-elle, assurant que ce drame a été « l’élément déclencheur de la hausse du nombre d’alyas (NDLR : l’immigration en Terre sainte par un juif) en France » et que « les attentats n’ont fait que renforcer le souhait de beaucoup de juifs de quitter le pays ».
Et de conclure : « Ilan Halimi aurait pu être mon frère, mon cousin, mon voisin ou mon ami. »
A un an du terme de son ultime mandat, quelques semaines à peine après son accident cardio-vasculaire, Jacques Chirac avait accusé le coup. Cet acte innommable paraissait consacrer le retour à une époque qu’il a été le premier président de la République à dénoncer « quand la folie criminelle de l’occupant nazi était secondée par des Français, par l’État français ». C’était en fait la classe politique dans son ensemble qui fut abasourdie et nul, même à l’extrême gauche de l’échiquier, même parmi les plus fervents défenseurs de la cause palestinienne, n’eut l’idée de chercher à excuser qui et quoi que ce soit. A la stupéfaction et à l’incompréhension succédèrent l’horreur puis le recueillement.
Pour autant, la condamnation unanime des Français est une vision erronée de ce que fut la situation si on en juge le témoignage de Marc D., quadragénaire séfarade qui se remémore « une discussion houleuse qu’(il avait) eue avec son supérieur hiérarchique de l’époque quelques jours à peine après l’effroyable épilogue ». « Deux choses le heurtaient profondément : l’indécence (sic) de la mère d’Ilan Halimi, qui se répandait beaucoup trop, à ses yeux, dans les médias ; et ensuite, le « deux poids deux mesures » qui conduisait, selon lui, « à toujours faire un pataquès de la mort d’un juif » », narre-t-il, encore marqué par son impuissance à faire comprendre à ce cadre supérieur que « ce qui provoquait l’émotion dans cette affaire n’était pas tant le fait qu’un jeune juif soit mort, mais qu’un jeune Français soit mort parce que juif, qu’il ait été enlevé, torturé et massacré parce que juif ».
Le polémiste Aymeric Caron n’avait pas été plus inspiré après la sortie du film d’Alexandre Arcady, allant, dans une séquence que les responsables de l’émission On n’est pas couché préférèrent finalement couper au montage, jusqu’à « se lancer dans le décompte des victimes palestiniennes pour « expliquer » la motivation des auteurs d’actes antisémites en France », rembobine Marc D.
Une sauvagerie zélée
Si la plaie reste ouverte, c’est aussi parce que le guet-apens a été mûri, pensé dans les moindres détails. Il était impossible pour Ilan Halimi de s’extraire de la souricière. Pour l’y attirer, « Yalda », de son vrai nom Sorour Arbabzadeh, une jeune femme de 19 ans d’origine iranienne paumée, abusée durant sa jeunesse, éminemment influençable et assez séductrice pour, des années plus tard, avoir des relations intimes avec l’un des surveillants ainsi que le directeur de la maison d’arrêt pour femmes où elle était incarcérée…
En tout, pas moins de vingt-six personnes ont été impliquées, outre le « boss » Youssouf Fofana, dans le cauchemar du jeune séfarade. Bourreaux, geôliers, logeurs, appâts ratés, non-assistants à personne en danger, antisémites notoires, simples vermines, durs de durs, petites frappes : tous ont, de près ou de plus loin, suivi Youssouf Fofana, à peine un quart de siècle, jusqu’ici adepte des petits larcins et bouffeur de flics patenté, dans son terrifiant changement de dimension. De petit prince du vol et roi de l’outrage, il est devenu un symbole international d’une haine antisémite encline à réhabiliter la solution finale au nom de la politique étrangère d’Israël.
« Plus tard, « son cynisme, sa désinvolture, son indécence et son obscénité quand il s’indigne de sa victimisation », manifestes lors d’une interview diffusée sur I-Télé et fustigés par l’avocat de la famille d’Ilan Halimi, qui n’était donc pas au bout de ses peines, ont en effet marqué eux aussi les esprits ».
Prémédité lors d’un séjour en prison en décembre 2005, son « coup », remettant au goût du jour une pratique que l’on croyait révolue, rappelle de loin les enlèvements du baron Empain et de Philippe Mérieux, à ceci près que lui a ciblé une famille sans ressources matérielles notables, sur la seule base d’un préjugé, intrinsèquement lié à une jalousie meurtrière. Car si Youssouf Fofana et ses sbires pensaient toucher le gros lot et s’attaquer à un superbe spécimen de la jeunesse dorée, ils ont en réalité affaire au menu fretin. La vie de l’homme qu’ils séquestrent ne tenait déjà qu’à un fil, mais elle n’a aucune valeur si son entourage n’a pas de quoi les payer. Didier, le père, gère deux boutiques de vêtements. Ruth, la mère, est secrétaire. Non, tous les juifs ne roulent pas sur l’or et les jeunes ne sont pas tous fils de banquiers.
Ils forment en revanche une communauté soudée, aussi les ravisseurs décident-ils de sonder un rabbin, choisi arbitrairement dans l’annuaire téléphonique, afin qu’il récolte l’argent exigé pour la libération d’Ilan Halimi auprès de ses fidèles. Sauf que le temps joue en leur défaveur et que la menace d’être débusqués s’accroît de jour en jour.
Parti trouvé refuge en Côte d’Ivoire, d’où il continuait de donner ses directives, Youssouf Fofana est finalement arrêté dans la nuit du 22 au 23 février à Abidjan, dix jours après la mort de sa « proie ». Il est ensuite extradé, le 4 mars. Personnage décidément irrécupérable, le chef du « Gang des barbares » a reconnu avoir administré lui-même plusieurs coups de poignard à sa victime puis donné l’ordre de l’exécuter, de peur que l’alerte ne finisse par être donnée. Il aurait ensuite renoncé à cette mise à mort, lui préférant un « nettoyage » à l’acide pour effacer les traces ADN de l’encombrant. Dans le film 24 Jours, le psychopathe d’origine ivoirienne va jusqu’à contacter le père d’Ilan Halimi pour lui demander s’il est content et à menacer la petite amie du défunt. Des initiatives qui n’ont pas été confirmées, mais qu’importe : Youssouf Fofana en aurait de toute façon été largement capable.
Plus tard, « son cynisme, sa désinvolture, son indécence et son obscénité quand il s’indigne de sa victimisation », manifestes lors d’une interview diffusée sur I-Télé et fustigés par l’avocat de la famille d’Ilan Halimi, qui n’était donc pas au bout de ses peines, ont en effet marqué eux aussi les esprits.
« Ilan est en enfer »
« A Bagneux, Ilan est en enfer. Maintenu ligoté depuis son enlèvement, il est nourri à la paille par ses geôliers. Ils lui donnent tout juste de quoi ne pas dépérir, des sachets de régime protéiné achetés en pharmacie, un sandwich ou des gâteaux lorsqu’ils y pensent et qu’ils veulent bien lui retirer son bâillon (…) De temps en temps, ils le font fumer pour l’étourdir (…) Ils le giflent, ils lui tapent la tête, le dos, les jambes, ils le frappent du revers de la main ou avec le manche d’un balai. Ce balai, ils s’en serviront bientôt pour simuler une scène de sodomie et le photographier dans une position dégradante. Ils iront plus loin encore, ils lui tailladeront le visage au cutter à la demande du chef qui souhaite nous adresser une photo « gore » (…) L’autopsie révélera une incision de 6 à 7 centimètres sur sa joue gauche ».
« L’affaire qui porte son nom était sans doute l’acte antisémite le plus marquant commis en France depuis le début du XXIe siècle jusqu’aux exécutions de Mohamed Merah en 2012 ».
Dans 24 jours , publié en 2009, Ruth Halimi livre de terribles détails sur les conditions de détention de son fils, par ailleurs entièrement nu dans un appartement non chauffé, au cœur d’un hiver rigoureux. Il lui reste deux enfants, deux filles, Yaël et Anne-Laure, qui à l’occasion de la sortie du film d’Alexandre Arcady, en avril 2014, ont jugé important « qu’on reparle de cette histoire, pour qu’on n’oublie pas et que ça ne se reproduise plus ». Lucides, elles soulignaient alors que « chacun des accusés a fait un petit peu pour qu’Ilan soit là où il est aujourd’hui ».
Certains d’entre eux sont aujourd’hui libres, mais pas Youssouf Fofana, condamné en juillet 2009 à la prison à perpétuité, assortie d’une peine de sûreté de 22 ans, au terme d’un procès très médiatisé au cours duquel il a une nouvelle fois fait l’étalage de toute son inhumanité, répondant « arabe africain islamiste salafiste » lorsque le tribunal lui a demandé de décliner son identité, et donnant comme date et lieu de naissance le 13 février 2006 à Sainte-Geneviève-des-Bois, qui sont en fait la date de la mort et le lieu où Ilan Halimi a été laissé agonisant. Youssouf Fofana n’a ni le moindre remord, ni le plus petit regret. Les notions de culpabilité et de pardon lui sont étrangères. Un monstre. Le monstre.
Sa victime a d’abord été enterrée à Pantin (Seine-Saint-Denis). Par crainte d’une profanation, la famille a exhumé la dépouille d’Ilan Halimi et l’a transférée à Jérusalem, sa dernière demeure, rejointe en février 2007. L’affaire qui porte son nom était sans doute l’acte antisémite le plus marquant commis en France depuis le début du XXIe siècle jusqu’aux exécutions de Mohamed Merah en 2012.
Avec le recul et au vu de la nette aggravation des tensions communautaires dans nos frontières, il est miraculeux que la méthode choisie par son initiateur n’ait pas encore fait d’émules. Reste les actes antisémites en tant que tels et un climat peu rassurant pour la communauté juive de France. On aurait grand tort de les minimiser et, eu égard à leur recrudescence, de croire encore que le « vivre ensemble » demeure un rêve accessible dans nos frontières.