Partagez sur "J’ai supprimé 4000 amis sur Facebook, et je suis toujours vivant"
Je ne suis pas un geek. Ni dépendant aux réseaux sociaux. Enfin pas trop. Pourtant, je suis tombé dans cette spirale de la « Friend request » qui ne constitue rien d’autre qu’une obésité narcissique. Avec 4000 amis en moins, mon égo se sent un peu plus libre.
Cette génération 2.0 qui fait de l’être avec du néant, aurait plu à Jean-Paul Sartre. Tout, absolument tout, est conçu pour que l’internaute se conduise en parfait salaud. Non pas au sens moral, mais, vraiment, dans sa dimension sartrienne : comme le garçon de café, nous nous mettons en scène sur Internet et finissons par nous confondre avec ce rôle. Jusqu’à la caricature. L’Icare post-moderne, prisonnier de son labyrinthe fait de pouces levés et d’oiseaux bleus, prend toujours le risque de se brûler ses ailes numériques.
Je suis tombé dans le mal du siècle, celui qui nous touche toutes et tous à un moment donné de notre existence. Qui n’a jamais demandé de laisser des comm’s sur Skyblog ? Les racines de cette soif d’étalage du Moi sont profondes. Anciennes.
Je ne sais pas comment tout a commencé, mais je me souviens avoir accepté plusieurs demandes de la part de personnes qui prenaient soin de m’en avertir par un message privé : « Bonjour, j’ai lu ton dernier article et il était vraiment bien », ou alors l’inverse : « J’ai détesté ce papier mais je t’ajoute pour que nous puissions en débattre ». Bien. Affichant mes profils Twitter et Facebook en bas de mes quelques productions sur le Nouveau Cénacle, j’ai joué le jeu. Puis, j’ai vu fleurir des demandes beaucoup plus louches, auxquelles j’ai toujours répondu par la négative. N’étant pas complètement idiot, je me suis toujours douté que cette « Sabrina Well » léchant une banane et exhibant son 90D sur sa photo de profil n’était sûrement pas une véritable personne en émoi devant mon modeste portrait.
L’égobésité
J’ai donc accepté des centaines de demandes, sans trop en vérifier la pertinence.
Facebook n’est pas narcissique. C’est encore plus pervers que cela. Ce réseau, c’est Narcisse qui contemple les autres le regarder. Tu likes donc tu aimes ce que je suis, je fais, je dis. Je te surveille en train de m’épier. L’égobésité tourne à plein régime. Et pour le blogueur ou le journaliste, c’est aussi une redoutable machine à partages et à commentaires, qui permet encore plus d’interactivités que Twitter. Cocktail explosif, pour moi.
J’ai donc accepté des centaines de demandes, sans trop en vérifier la pertinence. De Martine qui pose avec ses chatons à Denis qui poste des vidéos complotistes, jusqu’à Robert le voyant en Indre-et-Loire qui avait orné sa photo d’un arc-en-ciel. Le nombre de relations en commun me suffisait pour garantir l’authenticité d’un profil, et la promesse d’un « nouveau contact » ou, tout simplement, quelqu’un de plus qui allait me lire ou réagir à mes posts. J’ai dit oui à toutes et tous, les laissant s’introduire dans mon intimité. Les laisser rentrer chez moi voir mes photos de vacances, de famille.
Vinrent les 4700 amis. Les 25 partages de la même vidéo Chef Club, les 100 likes de « La phrase incroyable qu’un père a dit à son fils », les 200 statuts pour signifier qu’il pleut dehors. Je ne voyais même plus les photos de mes amis, et je recevais des notifications de personnes dont j’ignorais tout. Alors oui, depuis, j’ai appris quelques recettes grâce aux clips culinaires et je sais désormais quelle est l’incroyable mot du père à son fils. Certes. Mais, comme le propriétaire d’un appartement dépassé par le nombre d’invités à sa propre soirée, j’ai subitement voulu mettre tout le monde dehors.
Des heures passées à défaire ces liens virtuels. Adieu, Monique et ton golden retriever. Adieu, Bartholomé-Bienvenu Assomption et bon courage pour enfin trouver une femme (je te signale simplement qu’écrire le même message sur leur mur n’est sûrement pas la bonne manière). Adieu Loïc, en espérant que le monde entier se souviendra de toi comme de celui qui avait vu qu’Obama était un reptile. Adieu, adieu.
Je n’ai plus que 640 « Friends ». Bien sûr, j’ai conscience que ces centaines de gens ne sont pas tous mes amis d’enfance. Mais je sais qui ils sont, ce qu’ils font dans la vie, au minimum. Lorsque je fais défiler mon fil d’actualités, je revois à présent les posts de celles et ceux que j’apprécie. Et ce n’est pas rien. 4000 amis Facebook en moins. Et non, je ne suis pas seul. Bien au contraire.
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