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J’ai abandonné depuis quelque temps l’écriture de cette gazette, après deux livraisons seulement.

Je me suis replongé dans l’écriture, ces dernières semaines, grâce à mon cher Paul Léautaud mais je crois tout simplement que, face à la déferlante de l’actualité, je me suis laissé emporter par le courant tourbillonnant des informations vaines et hideuses. Je crois que je n’avais tout simplement plus envie d’écrire.

Etrange époque que la nôtre ! Les bancs publics sont devenus des lieux dangereux où des silhouettes peu présentables se réunissent afin de conjurer contre le commun des mortels. Flânant, un jour, dans les ruelles sombres des Halles, je voulus m’asseoir à l’ombre d’un châtaignier que la folie destructrice des hommes n’avait pas encore rasé et, à mon grand regret, il n’ya avait plus un seul banc où j’aurais pu reposer mes jambes endolories par cette marche ininterrompue. Je parcourus encore plusieurs centaines de mètres sans trouver le moindre endroit où m’asseoir avant d’atterrir, harassé, dans le jardin des Tuileries où j’aperçus finalement un vieux fauteuil en fer forgé. C’est depuis ce siège fort inconfortable, mais ô combien précieux, que j’écris ces quelques lignes. Pourquoi les bancs, qui étaient autrefois une incitation à la rêverie et à la flânerie, ont-ils disparu ? C’est sur ces bancs que le promeneur solitaire des Petits poèmes en prose baudelairien s’assoit, au cœur de cette ville fourmillante de rêves, pour observer la foule qui se déverse dans les vastes avenues. On ne peut plus rêver dans les rues de Paris. On est obligé de courir et d’arpenter sans fin les grands boulevards. Derrière cette disparition se dissimule peut-être aussi la peur de l’autre. Quoi de plus disgracieux qu’un clochard allongé sur ces planches indélicates? Les habitants des beaux quartiers ne veulent plus avoir cette image sous leurs yeux. Pourtant, il n’y a qu’à relire les poèmes de Jehan Rictus pour se souvenir que le vagabond aux haillons odoriférants occupait ces lieux magiques bien avant nos bobos parisiens claquemurés dans leurs vastes appartements et dînant bruyamment sous l’éclat de leurs lustres éclatants. Et il usait le fond de son pantalon tant de fois raccommodé sur les bancs verts. Les bancs de Paris.

Vous voulez parler de laïcité ? Parlons donc des religions, terreau de la laïcité.

Etrange époque que la nôtre qui célèbre des hommes tombés sous les balles de la Barbarie et qui est incapable de reconnaître que c’est son entreprise de destruction massive de la culture dans les établissements scolaires qui a fait croître en son sein les monstres qu’elle condamne. Les pouvoirs politiques brandissent, tels des panneaux froids et sombres, des valeurs aux yeux d’une population à qui on ne donne plus les moyens intellectuels de les comprendre. Vous voulez parler de laïcité ? Parlons donc des religions, terreau de la laïcité. Comment comprendre la laïcité sans évoquer les différentes cultures religieuses ? Faut-il rappeler que Voltaire, précieux et dangereux élève des Jésuites, a attaqué dans ses écrits ce qu’il avait au préalable compris ?

J’ai participé, il y a quelques jours, à un festival de théâtre lycéen qui se déroule chaque année dans la petite ville de Périgueux, en Dordogne. Plus de trois cents jeunes de différents lycées de la région et d’ailleurs se réunissent pour vivre ensemble pendant quatre jours une expérience théâtrale unique faite de jeu, de discours de bord de scène, de performances et d’ateliers artistiques. Jamais ils ne se posent la question du vivre ensemble mais ils apportent une réponse très claire aux interrogations de nos dirigeants politiques. C’est la culture qui est au cœur de leurs préoccupations pendant une semaine. Le comédien Philippe Torreton, qui a passé trois jours avec eux, a été frappé par la profondeur de la réflexion de ces jeunes gens qui viennent de tous les horizons et qui se sont rassemblés pour recréer ce que notre société leur a petit-à-petit retiré : un espace de réflexion où la culture s’épanouit en toute liberté. Les ateliers artistiques disparaissent – officiellement – des lycées, les partenariats artistiques s’éteignent dans un silence glaçant et la culture quitte nos écoles, chassée par ceux qui devraient la défendre becs et ongles. « Il n’y a plus d’argent ! ».

Pour faire vivre la culture, il n’y a besoin que d’une salle, de quelques livres et d’âmes.

Et pendant ce temps des millions d’euro sont dépensés pour équiper les classes d’outils informatiques que les prochaines années rendront obsolètes. Or, pour faire vivre la culture, il n’y a besoin que d’une salle, de quelques livres et d’âmes. J’en viens à me demander si cette entreprise de destruction n’a pas été pensée et construite patiemment pour empêcher de donner à nos jeunes gens les moyens de réclamer ce dont on ne les considère pas dignes. Dans un atelier théâtre, par exemple, il n’y a plus d’ « intellos », de « cancres », de « séries générales » , de « professionnels » ou de « technologiques », il n’y a que des hommes et des femmes qui veulent s’exprimer librement, avec leur voix, leur corps et leur pensée. Il vaut peut-être mieux éteindre ces foyers de liberté avant que ne tremblent les sismographes.

Charles Guiral

Charles Guiral

Charles Guiral

Charles Guiral est professeur de Lettres classiques dans un Lycée de la région bordelaise. Sans aucune autre qualification, il ose s'intéresser aux lettres et à l'art, de façon générale. Les voyages ne l'intéressent pas.

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