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Le 9 octobre 2014, le professeur Berurier mettait le point final à son « Journal d’un prof de ZEP ». La mise en place de la réforme du collège digne de l’Enfer de Dante et les révélations de salle des profs poussent le professeur à reprendre du service. Il n’a pas donné Jean Moulin, mais s’apprête à tout dire. Ou presque.

FEVRIER 2015

Vendredi matin. Quelques minutes après mon arrivée dans la salle des professeurs, un collègue et ami m’invite à le rejoindre dans sa salle avec la discrétion d’un passeur de migrants.

« Ton blog sur le journal d’un prof là, c’est sorti en salle des profs… Je ne sais pas qui a trouvé ça sur Internet mais ils n’arrêtent pas de se monter le crâne. Depuis hier, ils ne parlent que de ça et croient tous se reconnaître. 

— Ah… merde… Tu sais qui est concerné ? en même temps je n’ai pas grand-chose à me reprocher puisqu’il n’y a rien concernant les lieux ou l’identification des noms…

— Moi je trouve ça bien, me dit-il, ça les énerve parce qu’ils se reconnaissent justement, malgré le fait qu’il n’y a pas de noms ! Je voulais te le dire parce qu’à mon avis, ils ne vont jamais t’en parler. Au moins, tu sais que ça parle derrière ton dos là-dessus. »

Je regagnai la salle des professeurs où je fus accueilli par des saluts cordiaux. Ce jour-là, personne ne mentionna ces écrits. 

MARS 2015

Mes collègues et amis sont étonnés d’apprendre que personne ne m’ait encore parlé du « Journal d’un prof de ZEP ». Je leur parlai alors de l’épisode du corbeau.

Un message imprimé en couleur sur une feuille A4 avait été déposé dans mon casier à mon attention :

«  Je n’ai pas besoin d’écouter la vie des autres, de la réutiliser derrière leur dos pour exister. Ta vie est très triste… »

Ces phrases étaient imprimées en grand format sur la page, sans signature ni trace quelconque me permettant d’en identifier l’auteur.

Dans le même temps, le Nouveau Cénacle reçut un étrange commentaire à mon attention. Tout aussi anonymes que la phrase reçue dans mon casier, la trentaine de lignes écrites dans un français de jeune agrégatif m’expliquait qu’en substance, c’était bien gentil de se moquer de ses collègues sur Internet, mais que je n’étais que professeur moi aussi, comme les autres, certainement plus bas que les autres puisque j’ avais extrait la substantifique moelle de mes collègues  pour mes textes. Évitant l’insulte avec brio, l’auteur n’en pensait pas moins. 

Près de deux ans plus tard, j’ignore toujours qui sont les auteurs de ces lettres anonymes qui m’inquiétèrent. J’ai ma petite idée. Cela ne nous empêche pas de travailler ensemble. 

AVRIL 2016

Devant la rumeur ambiante qui touche le « Journal d’un prof », je décide d’aller parler au chef d’établissement pour éviter que ces textes n’arrivent sur son écran par le truchement néfaste d’un collègue malveillant. 

« Ma mission est de m’assurer que les enseignants ne soient pas victimes de rumeur sur leur vie privée. C’est le cas avec ce que vous me racontez, donc soyez assuré de mon soutien. »

SEPTEMBRE 2016

Les collègues montrent un manque de motivation pour former des listes pour les élections professionnelles internes à l’établissement. Le principal nous rappelle plusieurs fois par jour que la date limite de dépôt des candidatures approche. Les conseils d’administration finissant à 23h un jeudi soir, cela n’a jamais fait rêver personne après tout. 

Un professeur me demande si j’accepte déposer ma candidature sur la liste qu’il prépare. J’accepte d’y figurer en annonçant que je ne pourrai pas participer à tous les conseils. La chose est actée.

Le jour de l’élection arrive. J’entends un enseignant dans la salle des professeurs fulminer contre mon souhait de représenter mes collègues dans cette liste.

« Eh puis, c’est complètement illégitime, qu’un professeur qui a écrit un blog tel que celui-là puisse envisager de nous représenter, je ne comprends même pas qu’il ose le faire… »

La liste à laquelle j’appartiens à été élue à la majorité des voix exprimées. En novembre 2016, personne ne m’a encore parlé du « journal d’un prof de ZEP » sauf les curieux qui ont entendu parler de cela et qui m’en ont  demandé des extraits, pour se faire une idée. À part quelques allusions, en ma présence, aux dictaphones cachés de Patrick Buisson en salle des professeurs, mes quelques détracteurs n’ont jamais trouvé utile de parler du « Journal » au principal intéressé. 

NOVEMBRE 2016

Lundi 

La Conseillère d’Éducation intervient dans une classe de 6ème pour distribuer le bon de commande de la photo de classe. Il y figure la photo de groupe en petit format, ainsi que les différentes photographies individuelles. Une jeune fille cherche à regarder son visage de plus près sur la photo de groupe. Elle appose son index et son pouce sur l’image et écarte ses deux doigts simultanément, pour un agrandissement, comme elle fait sans doute sur un écran tactile.

Sa voisine réagit à ce geste : 

« Mais t’es bête? C’est du papier ! »

Sa camarade eut un fou rire. 

Jeudi 

Un élève de la classe de troisième technologique est actuellement en stage en entreprise.

Il m’envoie un courriel pour me demander la date de fin de son stage. J’ai déjà noté la prochaine activité : écrire un courriel à un adulte en respectant la politesse, la ponctuation, et la concordance des temps. 

Voici l’intégralité du courriel : 

« Mon stage, il s’est fini le 17 ou le 18 »

Vendredi

Sortie au cinéma avec une classe de 6ème. Dans le car qui nous emmène, un jeune élève m’avoue que c’est la première fois qu’il va au cinéma. Il est âgé de 11 ans. 

 

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Christophe Berurier

Christophe Berurier est professeur. Il aime les mots et le vélo.

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