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Ces derniers temps, la polémique entourant la taxe à 75% sur les clubs de football français nous a gratifié de son lot de déclarations insipides et simplistes.  L’anathème sur les riches continue. Une théorie du bouc-émissaire journalistique se structure peu à peu, aujourd’hui ce sont les clubs de football, demain sans doute Bernard Tapie. Bref, un éternel recommencement. Cela illustre aussi la relation paradoxale qu’entretient la France avec son football, entre amour passionnel et frustration mesquine.

A l’aune d’une grève presque sans précédent – la dernière remontant à 1972 –, nos clubs sont sous le feu des critiques. Dmitry Rybolovlev et nos amis qataris s’amusent de ces querelles de bacs à sable, mais la plupart des journalistes s’en donnent à cœur joie pour dénoncer cette grève inique. Reste que très peu de clubs de ligue 1 sont détenus par des milliardaires (on connaît les cas du Paris Saint-Germain et de Monaco, ou de Rennes et Marseille). On ne mentionne pas une décision fiscale aberrante qui justifie le fait d’en prendre une autre. Une démonstration par l’absurde bien connue de la classe politique. Cette taxe devait au départ toucher les individus, puis les familles, puis les joueurs, et enfin les entreprises. Comme d’habitude avec le gouvernement, actuel ou précédent, on est dans l’amateurisme assumé, la vision à courte vue et le clientélisme démagogique. Il est vrai que l’opinion avait besoin d’une nouvelle haine, les hommes politiques et les riches ayant épuisé tous leurs recours. On a donc sorti les footeux du placard, on n’avait visiblement rien de plus consistant sous la main.

Le football, la vertu et la raison

C’est l’équipe de France qui  focalise l’attention, et on oublie le reste, les petits clubs, où c’est d’abord la passion du jeu qui motive les individus.

Aidé en cela par nos journalistes français, si prompts à défendre la veuve et l’orphelin – Rom ou pas d’ailleurs – le gouvernement va engranger la bagatelle de 44 millions d’euros, pour un budget 2013 d’environ 350 milliards d’euros, soit environ 0,00013%. L’efficacité de cette initiative est de l’ordre du néant, cela n’empêche pas ces gens, si intègres, de louer ladite mesure. On repassera pour la rationalité économique. Car oui, à l’instar des Français, les footeux doivent aussi se serrer la ceinture et partager le fardeau fiscal.  De l’autre côté du rivage, nos politiques, qui pour un certain nombre, vivent confortablement de nos impôts qu’ils augmentent à leur guise, prennent plaisir à se draper dans un habit de vertu. La rétribution politique de cette loi est infinie. Médiatiquement, cela leur permet de faire le tour des plateaux télé pour polir leur ego boursouflé.

Mais revenons au football, et à sa relation tumultueuse avec les médias français. Depuis 2008, on aime détester ces gens trop payés, incultes et prétentieux. C’est l’équipe de France qui  focalise l’attention, et on oublie le reste, les petits clubs, où c’est d’abord la passion du jeu qui motive les individus. Cela est très commode. Or, on observe que l’engouement à l’égard des clubs historiques du championnat ne se dément pas. Les émissions de foot sont toujours aussi regardées ou écoutées. L’After est devenu pour beaucoup une religion. Le problème survient lorsque le sport s’efface parfois devant les journalistes. Le phénomène n’est pas vraiment à trouver chez les personnes, mais dans une logique plus générale, qui tend à personnaliser les débats. Depuis les mésaventures de l’équipe de France, les journalistes sont entrés, à tort ou à raison, dans une démarche de dénonciation sur le thème du « c’était mieux avant ». 

Malheureusement, une minorité de joueurs leur donnent du grain à moudre, le paroxysme est  atteint avec Patrice Evra, qui s’en ait pris nommément à des journalistes.  Une sortie, faite dans la passion de l’instant,  une improvisation presque enfantine, qui a donné lieu à un torrent de réactions. C’est tout juste si le président Hollande n’a pas eu son mot à dire, lui qui a fait d’une jeune Kosovarde sa muse. Évidemment, on n’entend que les plus bruyants, les autres n’ayant jamais droit de cité. On a évité le pire. Les journalistes ont réagi, mais le combat rhétorique était perdu d’avance. A un discours brouillon, incohérent, d’un homme au départ plutôt timide, fils de diplomate, dont l’image sera à jamais écornée par l’épisode « du Bus », répond une syntaxe ciselée de journalistes sportifs chevronnés.

Cela nous amène à nous pencher sur le paradoxe de cette équipe de France, que nous ne voyons finalement qu’à travers le prisme du journalisme français et de sondages à la validité souvent douteuse. La messe est dite, le foot est d’abord un jeu d’argent, où il n’y plus de place pour la passion ni le sentiment.

Or, le supporter, lui, n’est que très peu interrogé. On est frappé par le fait qu’aucun journaliste n’ait pris la peine de se rendre aux abords du stade Geoffroy Guichard ou Chaban-Delmas pour recueillir les témoignages de ces passionnés.  On pourrait opposer que ces déclarations seraient biaisées, car à la fin, le supporter de foot n’est qu’un beauf écervelé qui n’a que le foot dans la vie. Comme si la punition d’être parfois déçu par les performances de son club n’était pas suffisante, on les force à un nivellement par le bas dans l’ensemble du championnat.  En cela, cette loi est très française, faisant abstraction de la joie que peut susciter un Ibrahimovic herculéen ou un Falcao au sommet. Car, en ces temps extrêmement durs, où les impôts augmentent plus vite que le chômage, il n’est plus permis de rêver. On a l’impression que nos gouvernants veulent saper le peu de moral qui reste aux Français de tous horizons, à cette jeunesse de banlieue, souvent parisienne, qui voit en ses joueurs de magnifiques gladiateurs.

Supporters, indignez-vous

Cette loi fait aussi abstraction de la logique européenne du football, où les meilleures équipes sont celles qui dépensent le plus. Sauf à chambouler toute la galaxie football, et abroger l’arrêt Bosman, nous serons les témoins d’un championnat français de seconde zone, avec des matchs de ligue des champions tournant au ridicule. Certains argueront que tout ceci est secondaire, qu’il y a des choses plus importantes, comme la baisse du chômage. Dans la mesure où le gouvernement échoue dès qu’il tente de « changer » une composante de notre société, on aurait pu penser qu’il ne s’attaquerait pas à ce sport. Trop occupés qu’ils étaient à « changer » les mœurs, à défaut d’avoir un programme structuré autour d’éléments fédérateurs, comme la réduction des inégalités ou la mise en place d’une politique de l’emploi pérenne.

On tente de refaire l’histoire pour les besoins d’une politique que personne ne comprend.

On dévie le rayon de l’indignation. Vers ceux qui gagnent beaucoup. Encore. Ces derniers pratiquent un sport, fonctionnant comme une entreprise, qui doit faire de l’argent pour vivre. Nos politiques, eux, volent, au sens le plus pur du terme, notre argent. Les sommes immenses que représentent les hausses d’impôts ne sont compensées par aucune amélioration des prestations sociales. Comme le veut l’adage, il est toujours meilleur d’agir au vu et au su de tous pour s’en tirer sans encombre. Mais on se dit aussi que chaque but d’Ibra devrait être remboursé par la sécurité sociale, tant la joie des supporters parisiens est contagieuse.

Cette loi traduit une méconnaissance des enjeux de ce sport, qui vont bien au-delà d’une polémique franco-française. Cette loi ne sert à rien, elle ne rapportera que très peu, et est une occasion de plus de polariser le débat, de monter les Français les uns contre les autres. On entend pour justifier cette loi que la fameuse taxe de Franklin D. Roosevelt a sauvé l’Amérique d’une crise majeure. Le taux marginal à 75% n’a en fait touché qu’une seule personne aux États-Unis : John D. Rockefeller. On apprendra plus tard que cette loi avait surtout pour but de rapatrier les partisans de Huey Long, un gouverneur adepte d’une répartition autoritaire des richesses. Les visées électoralistes n’étaient donc jamais bien loin. C’est surtout la Seconde Guerre Mondiale qui a permis aux États-Unis de sortir de la crise de 1929, et non une quelconque pratique du pouvoir. On tente de refaire l’histoire pour les besoins d’une politique que personne ne comprend.

Enfin, un joueur bon est par essence cher, quel que soit le sport. C’est précisément pour cela que les meilleurs joueurs français ne restent pas sur le territoire national. Pour prendre un exemple différent, notre Tony Parker national perçoit la modique somme de 12,5 millions de dollars par an chez les San Antonio Spurs. Cela n’empêche pas nos hommes politiques de se perdre dans un panégyrique  creux à son égard. Car lorsqu’on gagne, on devient mécaniquement irréprochable, honorable et bienfaisant. Sur un autre plan, le Bayern de Frank Ribéry (11 millions de salaire annuel) réussi en 2013 un quadruplé historique : Championnat/Coupe/Ligue des Champions/Supercoupe d’Europe. Le talent a donc un prix.

En résumé, on se retrouve avec une loi sans intérêt, purement idéologique, très peu efficace, et qui est en passe d’envoyer le football français dans les limbes de l’Europe. Mais, comme c’est trop souvent le cas en France, au lieu de prendre des décisions courageuses, on se devait de faire la leçon et de satisfaire la frustration des médiocres. 

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Rémi Loriov

Rémi Loriov est un homme libre qui s'intéresse à tout. On dit souvent à son propos : "personne ne sait ce qu'il fait, mais il le fait très bien." Il aime les histoires.

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