La reconnaissance du talent est sans frontière. Les médias « du monde entier » n’ont donc pas manqué de réagir à l’entrée de Mario Vargas Llosa à la Pléiade en janvier.
Quelques semaines auparavant, il a également reçu le prix littéraire Pedro Henríquez Ureña, décerné en République Dominicaine, provoquant au passage l’ire du gouvernement dominicain. En cause : les anciennes déclarations du concerné sur la politique du pays. A bientôt 80 ans, l’écrivain, qui avait déjà reçu le prix Nobel en 2010, enchaîne les consécrations, plus insolent que jamais.
La Tante Julia a changé de tenue. D’un papier ordinaire, elle s’est parée de pages d’une finesse incomparable. D’une couverture cartonnée, elle est passée à un habillage sombre à reliure dorée et petits fils de soie. Après le Nobel, la Pléiade. Après la Pléiade, le prix Pedro Henríquez Ureña. On n’arrête plus Mario Vargas Llosa. Il faut dire que l’auteur péruvien reste une pépite au milieu du raz-de-marée littéraire actuel. Son écriture peut, à certains égards, être qualifiée de romanesque. Ses personnages hauts en couleur et minés par des sentiments débordants le sont en tout cas. Dans Les Chiots, l’auteur parvient à traduire toute la violence, la frustration, la colère, ressenties par le héros au moyen d’un vocabulaire minimaliste. L’écriture reste toutefois rythmée voire incisive, l’humour mordant. On note également des emprunts à la langue parlée. Mario Vargas Llosa reste aussi un des écrivains les plus engagés de son temps. Son parcours politique se révèle d’ailleurs très atypique.
Il faut dire que l’auteur péruvien reste une pépite au milieu du raz-de-marée littéraire actuel.
L’auteur a pris des positions pour le moins contrastées, pour ne pas dire contradictoires. Ce n’est ni le premier ni le dernier à tenter ce genre de pirouettes, au gré des causes et des régimes. Dans les années 1960, Mario Vargas Llosa se laisse séduire par les idées d’égalité et de liberté prônées par Fidel Castro. L’admiration ne dure qu’un temps. Le régime cubain glisse rapidement vers l’autoritarisme, le verrouillage des opinions dissidentes, la mainmise sur la presse. Sans oublier les comités de défense de la révolution, chiens de garde du régime. À la même époque, Mario Vargas Llosa découvre simultanément les écrits de Raymond Aron et d’Alexandre Soljenitsyne. Un choc pour lui. Il effectue un revirement intérieur. Dès lors, il n’aura de cesse de dénoncer la dictature de l’URSS et les régimes communistes satellites. Mais loin de se contenter de critiquer les nombreuses failles démocratiques de ces États, il avance à tâtons sur le terrain politique. Et c’est là que le bât blesse.
Le « Lamartine » politique péruvien
La comparaison avec Lamartine ne se trouve évidemment pas dans le style littéraire. Lamartine possédait une écriture lyrique, parfaitement représentative du XIXème siècle romantique dans lequel il évoluait. Chaque mot semblait écrit le cœur en ébullition. Un cœur qui souffrait. Un cœur qui criait. Un cœur qui aimait jusqu’à la folie. Des sentiments étaient exacerbés. Les larmes, les soupirs, les êtres se révélaient éplorés et languissants. Il allait toujours plus loin dans l’évocation des sens. Le seul point commun avec Mario Vargas Llosa ? L’échec politique. En 1987, il, qui se revendique désormais très libéral, crée un parti nommé Libertad. En 1990, il se présente au sein d’une coalition de centre-droit à l’élection présidentielle et se fait sévèrement battre par son rival Alberto Fujimori. Lamartine avait pour sa part recueilli seulement un nombre résiduel de voix. Voilà deux écrivains à la carrière politique avortée.
S’il fait parfois l’objet de railleries sur ses positions tranchées, lui préfère se définir comme un « amant de la liberté ».
Pour Mario Vargas Llosa, écrivain engagé depuis des dizaines d’années, la défaite est cuisante. Les aléas de la vie rendront les choses intéressantes. L’écrivain, pourfendeur de la corruption qui sévit en Amérique Latine, aura au moins eu le « plaisir » de voir Alberto Fujimori condamné en 2009 à sept ans de prison pour ce délit. Llosa ne se soumettra plus aux suffrages mais ses positions libérales s’affirment encore plus quand il se met à soutenir les politiques d’austérité en Europe, comme il avait jadis soutenu Ronald Reagan et Margaret Thatcher.
S’il fait parfois l’objet de railleries sur ses positions tranchées, lui préfère se définir comme un « amant de la liberté ». Ses sublimes œuvres littéraires font en revanche consensus. C’est là le plus important. Comme l’expliquait Flaubert à sa maîtresse Louise Colet dans une lettre du 15 juillet 1553, « On peut juger de la bonté d’un livre à la vigueur des coups de poings qu’il vous a donnés et à la longueur du temps qu’on est ensuite à en revenir ». En lisant Mario Vargas Llosa, le coup de poing reste puissant.