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Nous y sommes ! Le lancement du roi de la VOD multi-écran en France est imminent. Après avoir dévoilé son catalogue il y a quelques jours, il s’agit à présent pour ce nouvel acteur de se faire une place dans un paysage extrêmement concurrentiel. Le chantre du big data télévisé va devoir faire face à des Orange, Canal+ et Numéricable, belligérants revanchards, qui veulent sa tête. A l’instar de Free en son temps, Netflix s’attaque à une montagne de copinages et autres ententes cordiales.

Ironie de l’histoire, les droits du porte drapeau House of Cards sont détenus par Canal+, et ne sera donc pas proposé par Netflix alors que c’est ce dernier qui a adapté la série et en possède les droits de diffusion aux États-Unis.

Nous allons pouvoir apprécier la tentative d’une entreprise américaine de véritablement s’acclimater au pays de l’exception culturelle. On peut considérer cela comme une première, car sur un autre plan, ni Apple, ni Facebook n’ont eu à faire cet effort de flexibilité. Les Français accouraient vers ces outils virtuels, happés par les sirènes du village mondialisé.

Car Netflix devra non seulement s’adapter aux goûts des autochtones, mais aussi au contexte administratif de la création, parsemé de franchouillardises, plus ou moins pertinentes.

Netflix face aux défis d’une expansion européenne

Il faut bien voir que cette internationalisation est financièrement gourmande, en terme de marketing et de coût de structure.

Netflix

 

Ainsi, les pertes liées à l’expansion à l’international pour l’ogre américain ont fortement augmenté depuis le deuxième trimestre 2014 à 42 millions de dollars au troisième trimestre 2014, contre seulement 29 en 2013, alors que Netflix s’établira en Allemagne, France, Autriche, Suisse, Belgique et Luxembourg.

En 2010, lors de la première implantation dans un pays tiers, le Canada, le rapport financier 2012 montrait un début de rentabilité au bout de deux ans. Depuis les autres lancements internationaux, la firme n’a pas transmis d’information dans ce sens pour les autres pays (Irlande, Angleterre, Scandinavie). Cependant, il y a des signes encourageants : l‘Europe possède un taux de pénétration en haut débit important, une classe moyenne désireuse d’une offre de contenus exhaustive, et des systèmes de facturation efficaces. Un potentiel que l’entreprise se devait d’exploiter.

Reste que la question de la viabilité du modèle Netflix, dans des régions où l’offre est semble-t-il déjà pléthorique, mérite d’être posée. La différence se situera sans aucun doute dans le contenu offert aux abonnés.

La spécificité française pour l’investissement

Il semblerait qu’on ait envisagé la question uniquement sous l’angle de l’offre, laissant la demande à la marge des enjeux.

La France, par la voie de son ministre de la Culture, a toujours été extrêmement frileuse à l’endroit de tout ce qui provient des États-Unis. Mais la situation est plus complexe. En effet , dans un pays où McDonalds fait des bénéfices à faire pâlir le CAC 40, où le Levi’s reste vissé aux derrières parisiens, mais où il est de bon ton pour le politique de critiquer ce pays, le peuple franc semble bien moins monolithique dans ses choix culturels que le discours ne le laisserait penser.

Les politiques et les concurrents ont d’ailleurs pointé le fait que l’entreprise s’était établie au Luxembourg pour éviter l’impôt, une longue tradition française. Cela peut se comprendre, notamment lorsqu’on investit autant dans une expansion, on préfère modéliser un P&L sans trop avoir à s’inquiéter d’une fiscalité qui pourrait mettre en péril la pérennité du projet à long terme.

Le siège européen est donc au Luxembourg. Aurélie Filippetti criait au capitalisme sauvage. Il n’est pas inutile de préciser que le gouvernement a aussi beaucoup fait pour cette fameuse optimisation fiscale au profit des plus grosses entreprises françaises. On est quand même partagé entre le rire et le désespoir, lorsqu’on constate que l’on a donné, au titre du CICE, 11.5 millions d’euros à Sanofi et 90 millions à Total, le tout en parfaite légalité. Le CICE, une optimisation fiscale sponsorisée par la gauche, sans aucune contrepartie.

Du côté des concurrents, les mots des dirigeants de Canal+ laissent planer le doute quant à la compréhension des nouveaux comportements. Rodolphe Belmer, numéro deux du groupe, tente de tancer l’indigent, sur l’initiative Marseille : « Ce n’est pas parce que vous produisez une série dans le pays que vous devenez tout un coup Français ».

Il semblerait qu’on ait envisagé la question uniquement sous l’angle de l’offre, laissant la demande à la marge des enjeux.

Séries TV : Un public français américanisé ?

Est-ce que le géant américain aura besoin de remplir son catalogue de films avec Catherine Deneuve, Belmondo et autre Ventura ? Rien n’est moins sûr, car pour la génération qui s’abonnera à ce service, ces noms ne sont que des vestiges d’un cinéma désormais moribond.

Côté séries, l’équation est quasi-similaire. Est-ce que les Français regardent d’abord des séries françaises ? On reste sceptique. S’ils s’abonneront à Netflix, ce ne sera sans doute pas pour profiter de Louis la brocante ou Julie Lescaut. Par ailleurs, ces dernières années, TF1 a pris les devants, et la semaine est désormais dédiée quasi essentiellement aux séries outre-atlantique : Esprits Criminels, the Mentalist, le nouveau venu the Blacklist, et Crossing Lines le jeudi. Celles-ci ont bel et bien pris le pouvoir sur la chaîne détenant les 90 premières places dans les audiences de l’année 2013. On voit bien ici que l’offre s’adapte à la demande, et non l’inverse.

Les commentaires vont bon train sur l’arrivée de Netflix « Je ne suis pas pro-américain mais faut bien reconnaître qu’à chaque fois qu’ils débarquent massivement, ils nous libèrent de quelque chose. » entend-on dans les discussions de bistrot. De quoi ce nouvel acteur nous libérera ? D’une offre domestique somme toute assez chétive, car celui-ci a signé des contrats avec tous les studios américains, garantissant un choix exhaustif pour le nouvel abonné. Même avec l’aide de l’État français, et ses réglementations à géométrie variable, les entités déjà présentes auront du mal à contrer la vague. Notons aussi que les Français en ont assez de payer pour des chaînes qu’ils ne regardent tout simplement pas. La liberté semble avoir du mal à grandir dans notre vieux pays. L’offre à la carte de Netflix arrive donc à point nommé. Il suffit pour s’en assurer d’observer le nombre de profils européens sur le service de gestion de DNS https://unlocator.com/ qui permet aux utilisateurs de modifier leur adresse IP pour accéder à Netflix en restant en France. Le rêve américain à portée de souris.

Il sera ainsi intéressant de voir si le public français sera capable de s’affranchir de l’écran de télévision pour migrer définitivement vers l’ordinateur. Si la greffe est bien acceptée, cela ouvrirait la porte à Amazon et son service Instant Prime Video, encore inédit en France.

Si l’on se penche sur les récompenses, Netflix a reçu un record de 31 nominations aux Emmy Awards cette année, soit le double par rapport à 2013, où l’entreprise produisait pour la première fois des séries originales.

La qualité est donc au rendez-vous, mais les Français embrasseront-ils l’antienne de l’Amérique hipsterisée, où est-ce que les préoccupations nationales reprendront le dessus ? Les paris sont ouverts.

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Rémi Loriov

Rémi Loriov est un homme libre qui s'intéresse à tout. On dit souvent à son propos : "personne ne sait ce qu'il fait, mais il le fait très bien." Il aime les histoires.

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