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Dès que je l’emmenais dîner, elle me jetait des regards de pute. Au quotidien, je m’étais habitué à ses yeux soumis et sans relief qui scrutaient le moindre de mes faits et gestes, y compris les plus anodins, parce que ça occupait sa misérable existence ; mais dès que nous sortions, elle prenait ce grand air dédaigneux de princesse nordique, singeant la jeune fille qu’elle n’était plus, pommadée comme une vieille courtisane, suintant la haine féroce du lendemain.

Elle me fixait donc ainsi, dans ce restaurant coquet situé place d’Italie, en mâchant des bouts de melon dégueulasses. De temps en temps, elle sirotait son Beaujolais en levant le petit doigt, et reposait le verre sur la table après m’avoir découvert ses dents jaunâtres qu’elle commençait à perdre.

–          Tu parles plus ? me lança-t-elle.

–          Je n’ai pas envie de te causer, rétorquai-je.

–          Tu bois pas avec moi ?

–          Je n’ai pas envie de trinquer avec toi.

–          Pourquoi tu restes avec moi ?

–          Pour ton fric. Tu le sais. Maintenant finis de claper, et on se tire.

–          Tu sais que je me mets à pleurer quand tu deviens méchant.

–          Si tu chiales, je te colle à l’asile. Tu m’entends vieille décérébrée ?

Elle ne pipa plus un mot jusqu’au dessert. Elle régla la note, et commanda un calva pour me détendre car il n’y avait plus que l’alcool pour me la rendre supportable. Elle remit son manteau de fourrure qui empestait le parfum de bourgeoise et nous montâmes à l’arrière de la voiture, notre chauffeur nous ramena chez elle.  

A peine arrivée, elle jeta son manteau par terre et enleva sa robe, espérant naïvement qu’elle pouvait encore me faire bander, et déboucla ma ceinture.

–          Cinq milles euros mon ange si tu me fais ce que je veux aujourd’hui, cinq milles.

–          Tu es une créature infernale. Allonge-toi.

Je ne pus qu’obéir. Je la tringlais le plus fort possible et je me retenais de lui gerber dessus. Même son rouge à lèvres était insipide. Elle était sèche et incapable de la moindre sensualité.

Je fis mine d’avoir un orgasme, et retomba à côté d’elle ; son regard ne me dominait plus, mais le mien débordait de fureur.

–          L’argent est dans l’enveloppe. Tiroir du bas.

Je me levai et empochai les billets. Elle était encore essoufflée.

–          Tu reviens après-demain ?

–          J’en sais rien.

–          Je te le demande.

–          La ferme.

Tandis que je me rhabillai, elle passait ses mains ridées sur mes épaules rétives.

–          Ne me touche pas. Dégage.

Elle bondit comme une petite chatte apeurée se cacher derrière son oreiller et elle goba ses antidépresseurs.

–          A plus tard, soufflai-je en claquant la porte.

Je passai l’après-midi à arpenter le pavé de Paris, telle une feuille morte, simplement porté par le désespoir et la certitude du néant. La seule chose dont j’étais certain, c’était de ma lâcheté congénitale qui me conduisait à ramoner cette rombière décatie tous les trois jours pour me remplir les poches.

Et puis soudain, volte-face. Je revins sur mes pas et sonna chez elle.

–          Te revoilà ! s’exclama-t-elle en enlevant sa robe de nouveau.

J’allais l’étrangler, lui serrer la gorge jusqu’à ce que ses yeux globuleux jaillissent de leur orbite, j’allais écraser sa tête sur le marbre de sa cheminée pour en faire jaillir chaque morceau de sa cervelle, mais je me mis à genoux.

–          Veux-tu m’épouser ? demandai-je, en la regardant fixement.

Elle accepta.

Ainsi je me mariai avec Hélène de la Tour une semaine après, imitant ainsi la pusillanimité de mes congénères face à la vie de couple qu’ils subissent, sans s’interroger sur l’opportunité d’une lutte.  

Julien de Rubempré

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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