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Depuis sa disparition à l’âge de 98 ans le 22 juin 2011 dans sa bonne ville de Montigny-lès-Metz (département de la Moselle), Solange Bertrand, qui a pourtant occupé une place importante parmi les artistes peintres du XX° s. semble être tombée dans un tragique oubli.

Son nom est rarement cité, de même que ses œuvres, exposées sporadiquement, restent pour la plupart stockées dans une Fondation.

J’ose espérer qu’il ne s’agit que d’une période transitoire comparable selon la formule consacrée à une traversée du désert   avant une reconnaissance réelle et définitive de son oeuvre ?

« C’est effrayant la vie ! », Solange Bertrand, pourrait aussi reprendre à son compte cette opinion de Cézanne.

Elle qui a tout donné à la peinture, sacrifiant sa vie de femme, ne   choisissant de n’être ni épouse, ni mère au profit de sa seule passion de créer.

Cette artiste passionnée avait besoin de cette liberté de solitaire d’où parfois un contact sans souplesse avec les autres.

Car elle avait cette sensibilité d’un écorché vif, ressentant plus que d’autres les secousses intérieures de l’être : le chaos d’un monde en train de naître.

Ses toiles sont souvent ravagées d’un trop plein de pulsions qui témoignent son besoin d’exprimer un absolu.

A l’exemple de Picasso qu’elle a eu la chance de connaître, sa peinture s’inscrit dans une démarche profonde à la recherche d’une réalité originaire.

Il s’agit en permanence pour cette artiste, selon la formule du poète Henri Michaux de « crever la peau des choses » et de montrer le monde tel qu’il est en vérité.

Curieusement elle avait un rapport spécial avec la peinture que l’on pourrait presque qualifier de communion mystique puisqu’elle lui permettait de dévoiler le réel.

D’ailleurs sa démarche picturale de dévoilement était sans limites et son art n’a pas cessé d’évoluer au cours de sa vie terrestre. D’une peinture presque exclusivement figurative jusqu’aux années 1960, elle va ensuite se tourner vers des formes non figuratives voire nettement abstraites.

Francis Parent, dans son discours aux Trinitaires à Metz le 7 novembre 2002, parle d’un passage vers le courant « Abstrait Lyrique » ou « Informel ».

Elle mérite, selon ce même critique d’art, une juste place dans la lignée d’artistes comme Manessier, Soulages, Tapiès, Debré…et même au tour des années 1985 avec ses tableaux « Minimalistes » une place qui la situerait dans le droit fil des grands « Color Field painters » américains !

Cette peintre exceptionnelle mérite donc qu’on l’expose davantage pour la faire connaître !

Or, justement une exposition de ses œuvres est en cours actuellement   à Metz. A l’initiative de deux passionnés d’art, cette exposition vu sa qualité peut avoir un effet déclencheur, comme un premier déclic qui permettra, je l’espère, une réelle reconnaissance de cette dame de la peinture!

En effet depuis le mois de juillet, Hervé Grosjean et Céline Facciolo, exposent 99 tableaux et dessins de Solange Bertrand dans le vieux quartier historique dénommé « Outre Seille » de Metz. Ils ont choisi de « domicilier » les œuvres de cette artiste plus précisément à l’Atelier d’encadrement et Galerie d’Art, le tout dénommé « Quatre Coins » au 25, rue de Mazelle.

Grâce à leur choix éclairé et judicieux, Hervé et Céline ont réussi le pari audacieux de regrouper dans un espace relativement restreint un nombre suffisamment important et significatif   d’œuvres de Solange Bertrand. Résultat : elles produisent toutes   l’étonnement, et cela autant individuellement pour chacune des pièces présentées en raison de leur qualité intrinsèque que pour l’ensemble de la collection qui est remarquable par sa diversité.

A l’évidence tout cela a été réalisé dans le but de laisser le plus grand choix possible aux visiteurs et de permettre aussi à l’amateur d’art éclairé d’apprécier dans des conditions optimales le travail de cette artiste.

Pour ce qui me concerne, j’y vois dans cette exposition trois faits marquants qui caractérisent l’œuvre de Solange Bertrand:

–       la période figurative avec les nombreuses têtes de personnages

–       l’irruption de la peinture abstraite géométrique

–       le retour à la couleur

La période figurative avec les nombreuses têtes de personnages :

N°22Sans titre, peinture acrylique sur panneau, 65 x 50 cm, N°22

Solange Bertrand montre toujours des figures humaines énigmatiques, comme recouvertes de masques, visages sans visages « comme si le peintre avait peur de tout contact humain » (selon les propos mêmes de Martin Heidegger concernant également les portraits aussi énigmatiques de Cézanne !)

Ici c’est l’expression d’un regard oblique, presque tendu voire contenu ?

Est-ce la vision du monde qui l’entoure auquel semble échapper Solange Bertrand ? L’artiste semble bannir toute effusion humaine comme si elle nous montrait un monde en deuil de l’humanité.

Pudique, Solange Bertrand n’aime pas s’exposer comme Cocteau qui lui écrivit en 1951 : « lorsqu’on expose, on s’expose ».

En fait beaucoup de têtes de femmes réalisées par l’artiste laissent supposer que la plupart la représentent.

Cette peur de tout contact humain expliquerait peut-être le caractère froid, distant voire inhumain de cette représentation ?

Les couleurs utilisées par cette artiste renforcent d’ailleurs cette impression. Elles sont ternes, voire neutres comme toutes issues de la terre ou du sable.

En réalité la figuration chez Solange Bertrand n’est qu’un prétexte. Le but premier de sa peinture n’est pas de représenter le monde visible, extérieur, mais celui invisible que le simple mortel ne peut voir de ses propres yeux.

C’est tout l’art de ce peintre : la vérité de son œuvre c’est de proposer une perception que l’on ne remarque pas ordinairement.

Son art se conjugue avec la doublure de l’invisible dans un jeu subtil d’absence et de présence, de dévoilement et de dissimulation.

Ainsi sa peinture est vraie parce qu’elle sait inventer les moyens de faire venir l’invisible en dehors de l’illusionnisme académique, c’est pourquoi elle donne à voir autre chose que ce qu’elle paraît représenter.

L’irruption de la peinture abstraite géométrique

                                                                                                                                                                                 N°36« Le cheval », peinture acrylique sur toile, 27 x 35 cm, N° 36

Dans la lignée de Manessier, de l’Ecole de Paris mais aussi du mouvement « De Stijl », Solange Bertrand va peindre des tableaux abstraits avec des figures géométriques. Mais souvent, elle va laisser apparaître de sporadiques réminiscences figuratives « dernières traces de la réalité » selon Herbert Read.

Dans l’œuvre ci-dessus intitulée « Le cheval », celle-ci n’est qu’un prétexte pour l’artiste qui tout en rappelant la forme schématique du cheval va s’abandonner en réalité aux joies sans limites de l’abstraction géométrique.

On peut parler d’un « lyrisme géométrique » avec l’articulation entre les formes géométriques abstraites (les cercles, les triangles, les formes angulaires…) et les fragments du monde visible (le cheval).

                                                                                                                                                                                 n°17

« La vierge noire », peinture acrylique sur toile, 65 x 100 cm, N°17

En étant proche de Manessier, pour Solange Bertrand également la peinture est un acte d’intériorisation et d’un retour à l’homme lui-même. Cette certitude est attestée notamment par la présence de signes.

Ici, « la vierge noire », est le résultat d’un enchevêtrement de signes, de lignes qui s’allongent, s’entrecoupent et enflent…comme une lente respiration de l’être !

Que cette œuvre s’intitule par ailleurs « la vierge noire » est une preuve supplémentaire attestant ce phénomène d’intériorisation et corrobore l’influence de Manessier qui essayait par la peinture de retrouver le salut sur un monde caractérisé par la fugacité.

Mais en plus   Solange Bertrand adopte un style pictural qui est   tout à fait remarquable et original.

L’ensemble des lignes créent une unité harmonique. C’est une peinture audacieuse et éblouissante qui souligne la maîtrise de l’artiste dans l’abstraction.

Une vision architecturale à la fois maîtrisée et d’une grande liberté.

A l’égal d’Estève dont les œuvres reposent aussi sur des expériences visuelles réelles.

Le retour à la couleur

N°43Sans titre, peinture acrylique sur panneau, 21,5 x 26 cm, N°43

Solange Bertrand suit le mouvement de la tradition française de l’après-guerre avec des figures aussi prestigieuses que Roger Bissière et Bazaine.

Comme ce dernier, Solange Bertrand fait disparaître parfois dans ses œuvres toute forme en la remplaçant par un système de rapports chromatiques et formels.

Dans son travail, l’artiste suit son inspiration. C’est la couleur qui possède les valeurs créatrices pour occuper l’espace et donner l’ambiance.

Dans cette toile (voir ci-dessus), Solange Bertrand éprouve le plaisir tactile de la matière picturale qu’elle applique à gros traits avec son pinceau sur le panneau.

Les traits sont épais et granuleux et l’artiste joue à merveille avec les couleurs primaires (le bleu, le rouge et le jaune).

L’ambiance générale est d’origine impressionniste. La couleur domine et l’art abstrait triomphe grâce à cette liberté retrouvée face aux contraintes formelles d’une quelconque représentation.

Comme Paul Klee dans son séjour à Tunis en 1914, Solange Bertrand ressent la même révélation que ce peintre allemand qui déclarait : «  La couleur me possède. Point n’est besoin de chercher à la saisir. Elle me possède… »

Christian Schmitt

www.espacetrevisse.com

 Sans titre2

« Quatre Coins » Encadrement et Galerie d’Art 25, rue Mazelle 57000 Metz

Tél : 03 87 18 33 39/ Mob : 07 83 35 72 61/Mail : quatrecoins57@gmail.com

F.B.: quatre coins encadrement. Ouverture : lundi et mardi de 14h à 18h45 et du mercredi au samedi : 10h à 12h et de 14 à 18h45.

N.B. : L’exposition Solange Bertrand se termine fin septembre 2015 mais des œuvres de cette artiste sont toujours disponibles en galerie.

 

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Christian Schmitt

Critique d'art. Auteur de "l'univers de J.L. Trévisse, artiste peintre" (ed. Lelivredart 2008) et de trois autres ouvrages sur les vitraux réalisés par des artistes contemporains aux ed. des Paraiges: Jean Cocteau (2012), Jacques Villon (2014) et Roger Bissière (2016). A retrouver sur : http://www.espacetrevisse.com

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