Je t’ai quittée en 2003, sans trop de regrets, déterminé à retourner là où j’ai grandi. Je t’ai quittée physiquement, j’ai tourné la page, mais tu es toujours restée dans mon cœur.
Je suis né juste à côté de toi, mais tu n’as fait que sporadiquement partie de mon enfance, passée à Versailles. A l’époque, je te visitais deux ou trois fois par an, pour me rendre chez mes grands-parents, Alsaciens jusqu’au bout des ongles. Des souvenirs merveilleux auprès de personnes merveilleuses, des tranches de vie solidement ancrées dans mon cerveau, entre bretzels et morceaux de saucisse de viande chez le boucher, spotting à Entzheim et promenades à La Citadelle ou dans le Parc de l’Orangerie.
Ma terre natale, je l’ai retrouvée en 1994. J’avais douze ans et demi, l’âge très con, je me suis senti déraciné et j’ai mis de longues années à vraiment t’apprivoiser. Je me moquais un peu de toi, de ton accent, de ta langue, volapük germanisant, et de la mentalité de tes habitants, un peu étriquée, le régionalisme poussé jusqu’à la caricature. J’avais, disons-le tout net, le mépris du Francilien pour la plouque que je pensais que tu étais, avec mes certitudes et ma condescendance d’ado.
En revanche, j’ai toujours eu pleinement conscience de ta beauté, de la puissance de tes maisons à colombage, de ton empreinte historique, toi l’annexée, l’occupée, l’Allemande redevenue libre et plus française que jamais. J’ai aussi toujours raffolé de ta gastronomie, éloge du porc et du gras pour ceux qui n’ont pas creusé la question et ignorent de facto la finesse qui peut aussi la caractériser parfois. J’ai toujours aimé et aimerai toujours ton Ill de beautés, les rues et ruelles de ton centre, tes cabanons à Noël, ces effluves de vin chaud qui le disputent aux odeurs de tarte flambée.
J’ai voulu me marier chez toi, pour des raisons pratiques, mais aussi affectives. Parce que tu demeures le berceau familial, parce que nombre de mes amis ne t’ont jamais abandonnée ou t’ont retrouvée et parce que je me rends compte que plus les années passent, plus je t’aime et me sens heureux en ton sein. Là, débarrassé des contingences d’un quotidien parisien empreint de stress et dans lequel tout ou presque est, sinon chronométré, en tous les cas savamment organisé, je peux m’évader, déambuler sans compter mon temps, revenir à quelques-uns de ces fondamentaux qui façonnent un être, son existence et sa personne.
Plus les années passent et plus je t’aime, malgré ton climat insupportable, tes froids hivers et tes étés caniculaires. Je t’ai vue évoluer, te développer, t’adapter, mener à bien de beaux chantiers de rénovation, améliorer ton maillage, et je me suis même surpris à exulter, il y a un an presque jour pour jour, quand ton club de football s’est offert le luxe de battre le PSG.
En ce lendemain d’attentat, j’ai le cœur lourd et éprouve une tristesse profonde, mais je sais aussi, ma très chère Strasbourg, que tu te relèveras, plus forte et plus belle que jamais.
Touchée, mais certainement pas coulée. Meurtrie, marquée à vie, mais bien trop grande pour ne pas surmonter l’épreuve, comme Nice, Paris et tant d’autres ont su le faire avant toi.
Il est des villes immortelles. Des cités imprenables aux atouts et aux charmes que rien ni personne ne peut ébranler. Des métropoles dont l’âme ne se corrodera jamais.
Strasbourg, personne ne peut douter que tu es de celles-ci.