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Que regarder le soir aux heures de grande écoute à la télévision ? Si plusieurs chaines s’opposent tant dans leur programme que dans le public visé elles s’opposent aussi dans leur but inavoué. La médiocrité intellectuelle ne se trouve pas là ou on l’attend.

Il est de bon ton de cracher sur les émissions telles qu’Une Famille en or ou Le Juste prix, lorsque l’on tombe dessus, un exemplaire de Télérama ouvert sur les genoux. Cela ressemble bien trop à ce que le médiocre citoyen regarde en revenant du bureau, s’enivrant de piquette et se goinfrant de crackers hard discount. Ce dernier ferait mieux de se planter devant ces émissions érigées en bastion protecteur contre la bêtise télévisuelle, soit « l’infotainment »,  le Grand Journal, ou encore le Grand 8, si seulement son nombre de neurones le lui permettait.

Et pourtant ces dernières sont l’exemple type du fantasme télévisuel couplé à de la malhonnêteté intellectuelle. Lorsqu’un téléspectateur « de base » regarde les facéties de Christophe Dechavanne, il sait ce qu’il regarde et pourquoi il le fait. Il s’agit de divertissement, il sait qu’il n’apprendra rien au final si ce n’est les dernières statistiques concernant les objets emmenés par une femme en voyage ou le nombre d’hommes snobant les préliminaires avec madame. Mais ces émissions encensées par l’intelligentsia médiatique sont bien plus pernicieuses pour le plus grand public que ce soit par rapport au discours véhiculé ou à la nouvelle fabrique du citoyen qu’elle entend concevoir. La bêtise télévisuelle devient  alors un genre noble, une figure de la résistance qu’il convient de défendre voire de louer.

Eloge de la télé pour les cons

La supercherie qui vise à laisser croire au spectateur que celui-ci entreprend une démarche intellectuelle est totale, il a l’illusion de penser

Aujourd’hui, lorsque l’on regarde Au nom de la vérité, l’on réécrit le Rouge et le Noir, avec Lagaf’ nous retournons voir Feydeau au théâtre, avec les Ch’tis, nous revisitons les scènes d’une vie de campagne de la Comédie Humaine. Lors de l’émission N’oubliez pas les paroles, c’est le quadra alcoolique minable et chanteur, le héros Houellebecquien fan de karaoké qui est à l’honneur. Enfin le programme Yolo est le miroir de la jeunesse crue qui s’offre à nous, celle des bals populaires d’antan, où l’on draguait Martine, où l’on buvait de la bière sous un chapiteau.

Certes, nos neurones subissent une véritable attaque. Cependant, ces émissions ne portent pas atteinte à leur fonctionnement. Elles ne produisent pas sur le téléspectateur un lavage de cerveau, qui consiste à faire du lui un homme nouveau. L’Homo Novus, concept issu des lumières, proposait, par la victoire du savoir et de l’instruction, l’avènement d’un homme meilleur, un homme doué de raison. Aujourd’hui, la lucarne et une partie de la critique s’érige en Encyclopédie pour illuminer le QI du prolo avachi dans son fauteuil, condamné à attendre le « Zapping » pour apprendre au quotidien à concevoir le bien et à rejeter le mal en moins de trois minutes lors desquelles il est invité à rire du bas-peuple, à s’émouvoir du malheur du monde et à s’indigner de la méchanceté des puissants. Une pensée réduite à son strict minimum, sans complexification ni mise en perspective de l’information brute. La supercherie qui vise à laisser croire au spectateur que celui-ci entreprend une démarche intellectuelle est totale, il a l’illusion de penser. Canal + dessine à longueur d’émissions le visage d’une France parisienne débarrassée de sa truculence et de ses réflexes de pensées parfois contraires aux augures de Nicolas Domenach. ARTE ne cesse de fantasmer sur une amitié franco-allemande dont tout le monde se moque et qui n’adviendra jamais. Las, le citoyen pense toujours mal et rigole toujours devant les grimaces de Lagaf’.

Le peuple, le pain et les jeux

La moraline télévisuelle ratisse large, que l’on soit jeune, ou plus âgé, un homme ou une femme, du peuple ou de la classe bourgeoise, elle nous dicte un guide du bon savoir.

Le spectateur ne désire pas uniquement du pain et des jeux,  il souhaite avant tout que l’on s’adresse à lui, non à un homme qu’il n’est pas, non à celui qu’il devrait être. Le concept de l’émission fourre-tout qu’illustre « Le Grand 8 », propose à la ménagère de moins de cinquante ans un condensé de femme moderne, et jongle entre les problèmes sociétaux, la politique, la médecine et l’écologie au quotidien, sous le diktat d’Audrey Pulvar.  Le regard que porte ce programme version Canal + sur nos mères est symptomatique d’une volonté de refonte de la femme nouvelle, cependant trop éloignée de notre réalité, ce qui explique probablement son faible taux d’audience, et de crédibilité.

Quand M6 s’attaque à nos mœurs quotidiennes, c’est à nouveau le citoyen moderne qui est ciblé. Ainsi, avec l’aide des émissions « 100% Mag » et  « D&co »  en fin de semaine, nous évoluons en « Homo Sapiens Sapiens Sapiens », un homme bon et doué de raison qui a de surcroît la capacité de poser du papier peint, de choisir les bons produits sur le marché, d’acheter une ampoule basse consommation. L’être humain fait partie intégrante de sa propre évolution, il devient conscient des enjeux planétaires lorsqu’il achète des tomates ; bref, en regardant M6, il se fait éco-citoyen.

Depuis Orwell, la télévision est souvent ramenée à la figure de Big Brother. Mais le totalitarisme, ce n’est point le populisme comme le pensent les gardiens de la doxa, mais c’est leur vision moderne, celle du progrès. La moraline télévisuelle ratisse large, que l’on soit jeune, ou plus âgé, un homme ou une femme, du peuple ou de la classe bourgeoise, elle nous dicte un guide du bon savoir. Quant à la bêtise, elle ne propose rien et en cela nous lui en sommes bien reconnaissants.

 

 André Rib

 

 

 

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Andrés Rib

Ancien de la Sorbonne. Professeur de Lettres. Aime le Balto, et la Philo.

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