Partagez sur "« La Grande conversion » : une dialectique entre l’Eglise et la liberté"
François Huguenin publie La Grande conversion, l’Eglise et la liberté de la Révolution à nos jours, aux éditions du Cerf. Un livre d’une rare densité, exigeant, mais absolument nécessaire pour saisir une des plus grandes révolutions intellectuelles de l’histoire contemporaine.
Il est des livres qu’il faut lire, d’autres qu’il faut relire, d’autres encore qu’il faut consulter. La Grande conversion est tout cela à la fois. Le lire, dans un premier temps, pour se familiariser avec un thème qui semble étonnant à brûle-pourpoint et qui devient incontournable à la relecture. Le consulter, ensuite, comme un compagnon de route, pour éclairer un chemin de foi, réfléchir sur l’Histoire en train de s’écrire, à l’aune de ces réflexions sur le récit de la conversion de l’Eglise à l’idée de liberté, au lendemain de la Révolution de 1789.
L’étude s’élargit d’ailleurs pour embrasser plusieurs siècles de réflexions intellectuelles, car si les textes des papes nous enseignent sur les raisons de cette méfiance de l’Eglise envers la liberté, François Huguenin élargit la focale et convoque écrivains et philosophes pour étayer son propos. De saint Augustin à Toqueville, en passant par Burke, Chateaubriand, Montalembert et Maritain, l’historien livre une somme impressionnante de pensées qui se répondent à travers le temps, avec son talent de contextualisation que nous lui connaissons depuis A l’école de l’action française.
Huguenin fait bien de rappeler en introduction que « la Révolution française s’est faite au nom de la liberté et a engendré un despotisme d’une violence inédite. Le mouvement, débuté au diapason de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, a engendré la Terreur ». Il s’agit d’un premier paradoxe : comment une révolution, inspirée a priori par la liberté, a-t-elle pu être synonyme de persécution et de spoliation de l’Eglise ? Et, pourquoi l’Eglise, pourtant soucieuse elle aussi a priori de la liberté de ses sujets, a-t-elle condamné cette Révolution qui promettait l’émancipation ?
Eglise et liberté : chronologie d’une révélation
« Comment les premiers chrétiens qui vivaient dans l’Empire romain allaient-ils s’insérer au sein de la politique romaine ? Comment allaient-ils rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ? Quelle serait leur loyauté vis-à-vis de l’empereur, alors même qu’ils n’en partageraient ni le culte ni les croyances ? » En soulevant ces interrogations, l’auteur montre que le questionnement entre Eglise et liberté au sein de la cité est consubstantiel à la diffusion puis à l’affirmation du christianisme.
Dès les premiers temps de l’ère chrétienne, l’attachement à la liberté était pourtant fondamental. S’appuyant sur Tertullien et Irénée, François Huguenin remonte aux origines de cette dialectique, pour montrer que l’Eglise s’est finalement méfiée de la liberté une fois majoritaire, autrement dit une fois le catholicisme devenu religion d’Etat. La Révolution et son tropisme liberticide ont, des dizaines de siècles après, conforté Rome dans sa méfiance des régimes qui promettaient cette même liberté. Occupée au salut des âmes, elle se méfiait d’une liberté de conscience, potentiellement trompeuse et déviant vers la licence.
La « grande conversion » s’est donc opérée au XXe siècle, face aux totalitarismes. C’est en tout cas ainsi que François Huguenin résout cette équation millénaire. Les expériences meurtrières du nazisme et du communisme ont mis à jour la dimension sacrée de la liberté de l’âme humaine face au Mal et sa puissance folle de destruction. Huguenin livre finalement une synthèse hégélienne de problèmes antithétiques : si l’Eglise a rejeté la liberté, elle en a finalement intégré son principe en ce qu’il participe au bien commun de l’humanité tout en respectant la dignité de l’individu.
Si l’entreprise de François Huguenin force le respect de par son ampleur et son ambition, la résumer fidèlement relève de la gageure. Nous sommes ici contraints de le faire à grands traits. S’y plonger crayon à la main et bloc-notes à proximité est la meilleure solution pour tenir le fil jusqu’au bout de ce qui s’apparente au livre-synthèse de la pensée d’un intellectuel incontournable de notre temps.