Partagez sur "Jean-Yves Tadié : le professeur qui a choisi de rêver"
Jean-Yves Tadié, l’éminent professeur et critique, publie ses mémoires L’Autre côté du temps, aux éditions Plon. Parler de soi quand on a évoqué les autres toute sa vie : une véritable gageure.
Il est toujours difficile pour un professeur de briser la glace, d’ouvrir la salle des machines, de remonter le fil de son histoire. Plus récemment, Antoine Compagnon l’a réussi avec La Classe de rhéto (Gallimard, 2012), levant le voile sur la formation scolaire et universitaire des années soixante. Un proustien, lui aussi, ou plutôt un passeur de Proust : il n’est donc pas étonnant que Tadié se mette à son tour à la recherche de son temps perdu. Sans lui, son sens de la pédagogie, son talent de critique comme d’orateur, sans sa passion voire son obstination, Marcel Proust n’aurait certes pas connu la même postérité. Tour à tour biographe, éditeur et critique de son oeuvre (sans oublier ses travaux sur Dumas ou André Malraux), Jean-Yves Tadié demeure celui qui a transmis Proust. Sans vulgariser, sans simplifier : à son image, en finesse, en décomplexant le lecteur face à l’immensité de la montagne à gravir. Il n’est donc pas étonnant que le titre de ses mémoires porte l’empreinte du Temps.
L’Autre côté du temps nous conduit dans le Paris de la Seconde Guerre, les lycées et l’université de l’après-guerre, nous suivons ensuite l’auteur en jeune professeur au Cameroun et en Egypte, toujours entre deux salles obscures pour voir Murnau et Von Stroheim. Tadié retrace son itinéraire intellectuel mais aussi d’homme, un homme pas comme les autres, façonné par les livres. Bien plus que cela, il ressort du premier tome de ses mémoires que la littérature a été un refuge, une protection. Tadié a préféré lire que vivre. Comme le narrateur du Temps retrouvé, il a très rapidement compris que la vie était dans les livres. « C’est cela, confie-t-il après une confession touchante d’élève persécuté par ses camarades, je devais avoir, moi aussi, un courage passif ». Cette forme de retrait face à la rumeur du monde, Tadié la doit au goût de la lecture. Son livre garde une certaine pudeur (on ne se défait probablement jamais d’une enfance chez les Jésuites), et porte la trace de son élégance et de son érudition. Son goût de la lecture, il le résume en ces quelques lignes qu’il faudrait inscrire au fronton de chaque établissement scolaire : « Que si l’on m’objecte qu’il y avait peu d’évènements dans ma vie, je répondrais qu’une lecture profonde est un évènement capital, qui ébranle le cerveau, l’inconscient, le système d’idées, la vue sur le monde ». Une lecture qui devient une leçon de vie.