Dans un essai aussi surprenant que stimulant, Antoine Compagnon interroge la littérature et les « retours sur investissement » permis par cette dernière (La Littérature, ça paye !, aux éditions Equateurs).
Sale temps pour les études littéraires ! Quand l’étude des langues classiques se réduit à peau de chagrin, quand le niveau de français s’effondre dans la quasi indifférence générale, quand la lecture de La Princesse de Clèves a été jugée obsolète par un ancien président, il y a effectivement de quoi s’inquiéter. Il suffit également de songer à la mine contrite des conseillers d’orientation face à un étudiant désireux de s’orienter vers les lettres pour avoir un aperçu du manque de reconnaissance de la filière. Le marché du travail est dorénavant ainsi fait : la sélection se fait par l’argent, dans les business school ou les écoles de communication et de journalisme (quand elles ne sont pas tout cela à la fois), pour acheter un diplôme et un carnet d’anciens d’élèves afin d’être coopté le plus rapidement possible. Dans un tel marasme, l’essai d’Antoine Compagnon n’en semble que plus surprenant.
La littérature, ça paye ? Oui, répond-il avec pragmatisme, « La littérature donne ce que la langue anglaise nomme la literary literacy« , autrement dit « La lettrure (…) tout simplement la culture, la cultura animi, disait-on en latin, l’instruction littéraire ». Au-delà du cadre strictement scolaire, le goût de la lecture n’est pas qu’un art de l’oisiveté réservé à une élite éloignée des préoccupations quotidiennes. Comme le montre Antoine Compagnon, la culture littéraire permet un pas de côté pour analyser la société, mettre en récit, conceptualiser, ce n’est pas un placement à court mais à long terme, qui rend meilleur dans son métier : « Il est aujourd’hui reconnu (…) qu’on devient de meilleurs juristes, de meilleurs médecins, de meilleurs conservateurs de musée, quand on a de la lettrure ». Un ouvrage nécessaire donc, à faire lire à HEC comme à la Sorbonne, pour déciller les yeux parfois obtus des business men comme pour donner un regain d’espoir aux étudiants littéraires souvent déboussolés.