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Frédéric Beigbeder publie Un Homme seul aux éditions Grasset. La fin de vie son père, devinée dans Un Barrage contre l’Atlantique, est racontée avec un style inhabituel. Un roman plus étonnant et plus émouvant que d’ordinaire

Frédéric Beigbeder est un écrivain rassurant. Il nous console de nos propres failles. Le lire, c’est découvrir qu’il y a quelque part dans le monde quelqu’un d’aussi égoïste et immature, et qui s’en amuse avec légèreté. A l’inverse d’André Gide qui s’était donné comme mission d’inquiéter, Beigbeder inocule à ses lecteurs le virus du second degré. Ses oeuvres complètes constituent une forme d’ARN messager qui modifie la conscience du lecteur et lui chuchote : rigole et profite, même si tout te semble dérisoire, rigole et profite donc, car nous sommes bientôt tous foutus. Bye, bye, l’esprit de sérieux. Comme le héros de Salinger, le secret du bonheur serait donc de prendre la tangente et de goûter au peu de liberté qu’il nous reste avant l’apocalypse. C’est en tout cas ce que nous avons pu retenir des textes du Holden Caulfield du VIe arrondissement.

La première lecture d’Un Homme seul est donc plutôt déconcertante, voire déceptive. Nous n’y retrouvons pas le style grinçant et amusant (qui n’empêche certes jamais l’expression de la mélancolie, au contraire) ni la l’impression de légèreté qui caractérise souvent les oeuvres de Beigbeder. Dans ce nouveau roman de « non-fiction », il retrace l’histoire de son père, dont les parents ont protégé des Juifs durant la guerre, mais ont abandonné très tôt leur enfant dans un pensionnat abominable, où ce dernier connaît un traumatisme qui ne le quittera finalement jamais. Jean-Michel Beigbeder a été ensuite le premier chasseur de têtes en France, a goûté aux palaces et aux jets privés du monde entier, a mené la grande vie de golden boy, sans jamais se préoccuper de ses enfants. L’auteur suppose même, documents à l’appui, que son père a été un agent de la CIA.

Splendeurs et misères d’un boomer

Il est ensuite question de la dernière partie de la vie du père, ruiné, obèse, rongé par un cancer et la maladie de Parkinson. Frédéric n’épargne pas Jean-Michel. Parfois avec froideur, tantôt avec dureté, il dresse un constat implacable de la vie son père, qui ressemble in fine à celui de la France : « Les Etats-Unis nous ont libérés mais aussi colonisés. La vie de mon père est l’histoire de notre américanisation enthousiaste, puis de notre déception de constater que non, décidément, nous ne serions jamais américains, pas plus que Johnny Hallyday ne fut James Dean ».

Reste toutefois l’énigme de ce changement de style, qui n’est pas uniquement lié à la maturité. Il y a même parfois beaucoup de relâchements dans l’écriture (l’utilisation du « Perso »), et certains passages semblent avoir été écrits d’une traite, sans relecture, comme si l’auteur avait voulu se débarrasser d’un poids. Il a fallu plonger dans nos souvenirs de beigbedériens afin de trouver une clef potentielle afin de résoudre cette énigme, de retrouver quelques jalons posés au cours de son oeuvre afin d’éclairer ce mystère stylistique. Le sésame pourrait ainsi être l’excipit de L’Egoïste romantique : « Au moment de conclure cette épopée, que me reste-t-il ? Une odeur. Le parfum du cuir dans les voitures anglaises de mon père. Une puanteur de luxe qui m’écoeurait. (…) Je voulais plaire à ce play-boy qui conduisait vite. Donc plaire à toutes les femmes, comme lui. (…) Oscar Dufresne n’était pas un célibataire qui cherchait l’amour ; c’était un petit garçon qui attendait son père. (…) De nouveau me voilà seul ; je remonte la vitre noire avant de cacher mon visage dans mes mains, à l’arrière de cette limousine silencieuse qui roule vers ma fin ». La mort du père a peut-être séché les larmes du dandy qui masquait derrière son insolence une bien grande tristesse. Frédéric Beigbeder n’est finalement pas un auteur si rassurant.

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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