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Disparition d’un grand spécialiste de la fin du XIXe siècle et pédagogue, Dominique Kalifa, qui s’est éteint à l’âge de 63 ans. Sa carrière littéraire se termine sur la direction d’un grand ouvrage sur l’art de nommer les époques, la chrononymie. Il manquera.

En octobre 2004, le baccalauréat en poche, l’auteur de ces lignes entre pour la première fois dans un monde qui lui était totalement inconnu: l’Université. Le centre de Tolbiac dans le XIIIe arrondissement de Paris, annexe de la Sorbonne abrite les cours d’une première année d’études d’Histoire. Parmi les grands professeurs que je vais alors rencontrer Dominique Kalifa est en haut de la liste. Son cours sur les récits de crime à  la Belle Epoque est passionnant dès la lecture du résumé. Bien sûr dès sa première prise de parole les jeunes étudiants débiles que nous étions, surpris par un petit zozotement durent effacer leurs petits sourires moqueurs et prétentieux. Nous avions devant nous un homme d’une grande rigueur intellectuelle et d’une habileté à  transmettre assez rare pour avoir laissé leurs traces près de vingt ans plus tard. En travaillant sur son premier grand livre L’Encre et le Sang, nous avons appris ce qu’était l’histoire contemporaine. Rien que cela. En nous faisant sourire et nous pendant littéralement à  ses paroles de manière hebdomadaire dans l’Amphi N du centre Tolbiac, c’est l’éloquence et la réflexion qu’il nous montrait. Rien d’étonnant à  ce que depuis, ses interventions régulières dans les grandes émissions de France Culture ou dans les colonnes de Libération aient l’effet d’une madeleine de Proust pour le professeur que je suis devenu. En perdant Dominique Kalifa de mon champ intellectuel, je perds, nous perdons, un grand pédagogue, un grand orateur et surtout, évidemment un grand historien.

Dominique Kalifa, historien du crime, du noir, du bas-fonds

Après l’agrégation d’histoire et un passage par l’Ecole Normale Supérieure, la carrière de l’historien commence d’un point de vue littéraire en 1995, avec la publication de l‘Encre et le sang, récits de crimes et société à  la Belle Epoque. Dans cet ouvrage, Kalifa évoque avec brio les voyous et les reporters qui les poursuivent, dans une France souffrant des suites de l’Affaire Dreyfus. Il y déploie tout son talent pour transmettre au lecteur le pouvoir de la presse qui s’impose peu à peu en « racontant »  les crimes. Sa carrière d’historien se clôt par trois grands ouvrages résumant en quelques sortes son évolution. Tu entreras dans le siècle en lisant Fantomas (Vendemiaire, 2017) est un abécédaire rendant hommage au roman populaire de l’homme masqué : Kalifa y raconte comment le héros populaire a laissé sa trace dans l’oeuvre des artistes et des romanciers du début du XXe siècle. Dominique Kalifa ne s’intéresse pas aux faits eux-mêmes mais bien davantage au traitement de ces événements. C’est ainsi une manière nouvelle de faire de l’histoire de notre époque contemporaine que nous découvrons en lisant ces oeuvres. Il fait l’histoire de la réception des faits. En ce sens il avait perçu l’enjeu de notre époque où le traitement de l’information prend plus de place que l’information elle-même.

En 2018 l’historien s’attaque à  une histoire capitale : il publie une Histoire Érotique de Paris, chez Payot, dans laquelle il montre comment depuis le milieu du XIXe siècle, les femmes et les hommes, artistes ou anonymes, ont pu vivre la capitale avec une ferveur érotique de tous niveaux : des repérages de Landru aux relations amoureuses de fiacre, jusqu’aux années 60.C’est le moment dans la carrière de l’historien où le prisme s’élargit, où il devient une personnalité publique en vue à la fois des grands médias mais aussi de l’émission de François Angelier, qui accueille tous ceux qui ont Mauvais Genres. Enfin, la dernière publication officielle, qu’il a dirigée, change encore de niveau pour atteindre le niveau historiographique. Dominique Kalifa est devenu l’historien que l’on invite pour parler de la chrononymie, l’art de nommer le temps. Le livre qu’il dirige, Les noms d’époques (Gallimard, 2020) est le résultat d’un travail colossal, fruit de la réunion des plus grands historiens et d’une carrière, d’un regard sur notre temps et sur l’époque contemporaine qui lui permettait de sentir, à  sa manière, l’histoire en train de se faire. L’un des articles qu’il a rédigé dans cette dernière publication s’appelle « L’Ère des posts » et démontre l’incapaci de l’homme du XXIe siècle à nommer son temps, sans nouveau mot car sans nouveau jalon. La mort de Dominique Kalifa est une grande tristesse pour l’histoire et pour le monde intellectuel français. Et c’est la mort d’un grand professeur, et d’un grand universitaire. Il rejoint ainsi le professeur  de rhétorique, Georges Molinié, autre membre de mon panthéon universitaire.

Au revoir, Monsieur le Professeur Kalifa. Et surtout, merci.

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Christophe Berurier

Christophe Berurier est professeur. Il aime les mots et le vélo.

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