share on:

Philippe Bresson a invité la comédienne Fanny Ardant le temps de cinq émissions sur France Culture, dans l’émission A voix nue. Un bonheur à partager et à (ré)écouter sans limite.

Tout commence à Paris. Un salon, deux fauteuils.

Nous suivons Fanny Ardant, la maîtresse des lieux et nous pénétrons dans la tiédeur paisible d’un petit appartement parisien d’où l’on entend parfois, au loin, les sirènes pressées de quelque ambulance qui troublent la douce atmosphère de cette rencontre. On s’assoit avec discrétion dans un petit coin de la pièce, aux côtés de Philippe Bresson, et l’on écoute, sans en perdre une miette, parfois en fermant les yeux, la voix pénétrante de Fanny Ardant. Lorsqu’elle lit un texte de Marguerite Duras ou de Pasolini, on retrouve les intonations de la comédienne, allongeant langoureusement les syllabes et les laissant mourir du bout des lèvres. Parfois le rythme s’accélère. Suivant par là les conseils de Truffaut, Fanny Ardant parle d’un trait, d’un souffle. Plus de silences, mais une urgence. On se tend et on est traversé par cette force vitale qui envahit la comédienne et qui l’a poussée, après sa première rencontre avec le cinéaste et la naissance d’une idylle, à tout lire, à tout dévorer, à « plonger dans la mer », sans se poser la question de savoir si elle atteindra une terre.

« Même dans la servitude, il y a toujours cette chose en soi qu’on ne perdra pas », dit-elle au détour d’une de ces conversations.

Il y a ceux qui s’obstinent « à rouler dans la bonne ornière », et il y a ceux qui décident de quitter le « râtelier universitaire » pour vivre pleinement. Fanny n’a pas eu le choix. Elle grandit à Monaco sous la houlette du capitaine Ardant qu’elle admire, lit tout ce qui lui tombe sous la main, Stendhal – même à la messe – comme Dostoïevski, se lance dans des études à l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix en Provence où elle rédigera un mémoire intitulé « Anarchisme et surréalisme ». Il y a quelque chose qui est là et qui veut monter mais qui ne dit pas encore son nom. Alors la jeune fille part à Londres, pour travailler dans les relations internationales. Elle erre dans les bureaux d’une ambassade le jour, la nuit  elle est secrétaire dans un club Play Boy, où elle trie et range des dossiers. Celle qui se trouvait en Espagne au moment de la révolution étudiante de Mai 68 mène sa propre révolution individuelle et s’encrapule au possible. Elle finira par quitter son poste et Londres pour rejoindre les cours de théâtre de Jean Périmony dans le 17e arrondissement de la capitale. Fanny Ardant est née.

Bien entendu, on peut toujours mythifier une vie et se réfugier dans une forme de mensonge pour tenter de glorifier des événements qui ont pourtant été profondément traumatisants au moment où ils ont été vécus et subis ; on peut aussi avoir tendance à embellir et à établir un lien a posteriori entre des moments que le hasard seul a créés, mais tout semblait écrit dans le cas de Fanny Ardant, car elle avait ça en elle. « Même dans la servitude, il y a toujours cette chose en soi qu’on ne perdra pas », dit-elle au détour d’une de ces conversations. C’est cette  chose qui n’a jamais disparu qui la conduira à pousser les portes d’une école de théâtre ou bien à se rendre au rendez-vous que lui fixe François Truffaut en vue du tournage de La femme d’à côté.

Fanny Ardant, entre perfection et angoisse

Mais derrière l’assurance de la comédienne qui maîtrise à la perfection l’art de faire résonner les mots, il nous est impossible de ne pas entendre une profonde angoisse et un tourment véritable.

Ces moments de vie sont entrecoupés de lectures. On entend des extraits de La maladie de la mort de Marguerite Duras, de Pasolini… Quel plaisir d’entendre la magnifique lettre d’amour posthume envoyée par Madame de Mortsauf, dans Le Lys dans la vallée de Balzac, à son amant, Félix de Vandenesse, qui l’a délaissée au profit d’une autre femme ! Les silences de Fanny Ardant portent la douleur d’une femme blessée et éternellement amoureuse et, si « la seule chose au monde qui vaille la peine de s’agenouiller, c’est l’amour », cette lettre est une prière qui nous invite au recueillement.

Mais derrière l’assurance de la comédienne qui maîtrise à la perfection l’art de faire résonner les mots, il nous est impossible de ne pas entendre une profonde angoisse et un tourment véritable. Celle qui semble regretter que les gentilshommes d’hier, à qui l’on ne montrait sûrement pas de sang au théâtre pour éviter qu’ils ne se précipitassent sur scène l’épée à la main pour laver l’affront, aient été aujourd’hui remplacés par des brutes épaisses, porte sur tout ce qui l’entoure un regard lumineux. Elle aurait sûrement aimé que tous les hommes mènent leur propre révolution afin de ne pas tomber dans l’ornière et l’exigence qui l’anime doit parfois l’amener à désespérer de ses frères humains. Mais elle ne le dira pas.

Il est des êtres que l’on découvre au détour d’une voix, au détour d’un regard et qu’on a l’impression d’avoir toujours connus. C’est l’impression que j’ai eue à la fin de ces cinq entretiens. « Quand la vie se déroule, on a de moins en moins le temps de parler », dit Fanny Ardant dans le troisième entretien. Philippe Bresson, sans chercher à percer tous les secrets de cette femme mystérieuse et avec beaucoup de délicatesse, nous permet de nous asseoir un instant. On ne parle pas, on écoute. Cela aussi ne nous arrive plus. Quel bonheur !

 

Les émissions sont à réécouter sur le site de France Culture, A voix nue

https://www.franceculture.fr/emissions/voix-nue/la-musica-de-fanny-ardant

https://www.franceculture.fr/emissions/voix-nue/la-musica-de-fanny-ardant

 

 

 

Charles Guiral

Charles Guiral

Charles Guiral est professeur de Lettres classiques dans un Lycée de la région bordelaise. Sans aucune autre qualification, il ose s'intéresser aux lettres et à l'art, de façon générale. Les voyages ne l'intéressent pas.

Laisser un message