share on:

Alors que les éditions Tallandier publient les oeuvres d’Augustin Cochin (La Machine révolutionnaire, préface de Patrice Gueniffey et présentation de Denis Sureau), les éditions Perrrin rééditent celles de Sébastien Charléty (Histoire du saint-simonisme et Histoire de la monarchie de Juillet). Deux oeuvres majeures dans la perception et la compréhension de l’histoire contemporaine.

En 1975, Michel de Certeau écrivait dans L’Ecriture de l’histoire : « « Est abstraite, en histoire, toute ‘doctrine’ qui refoule son rapport à la société… Le discours ‘scientifique’ qui ne parle pas de sa relation au ‘corps’ social ne saurait articuler une pratique. Il cesse d’être scientifique. Question centrale pour l’historien. Cette relation au corps social est précisément l’objet de l’histoire ». En creux, Certeau démontre que l’histoire est toujours le produit d’une société donnée et qu’en cela, son aspect scientifique devait être sinon discuté, du moins interrogé. En tant que matière universitaire – voire d’institution – l’Histoire est en cela toujours encadrée par un discours et une série de pratiques qui peuvent évoluer au fil du temps. Du récit historique propre à Michelet à l’école des Annales en passant par la « description archéologique » chère à Michel Foucault, le métier d’historien s’est enrichi grâce aux autres sciences (linguistique, psychologie, philosophie), et c’est à l’aune de ces apports successifs que nous pouvons mesurer l’impact d’Augustin Cochin (1876-1916)  dans l’historiographie.

Denis Sureau : « L’historien communiste repenti estime que Cochin est avec Tocqueville une référence capitale pour comprendre le mécanisme révolutionnaire ». 

Dans son excellente introduction, Denis Sureau note : « La publication en 1978 de Penser la Révolution française de François Furet a brusquement mis à nouveau la figure de Cochin sous les projecteurs, à partir d’une analyse à la fois critique et bienveillante. L’historien communiste repenti estime que Cochin est avec Tocqueville une référence capitale pour comprendre le mécanisme révolutionnaire ». Ces mécanismes, Cochin n’hésite pas à convoquer la sociologie de Durkheim pour les comprendre. Une véritable révolution intellectuelle. Dans l’authentique chef d’œuvre Les Sociétés de pensée et la démocratie moderne, Augustin Cochin analyse la pensée des Lumières et le mécanisme révolutionnaire qui aboutira à la Terreur. Figure abstraite du peuple déifié, influence de la libre pensée et des loges maçonniques, règne d’une minorité sous des oripeaux démocratiques : chacun de ses constats résonnent encore aujourd’hui avec force.

Écrire l’histoire, aimer l’Histoire

Dans sa préface à L’Histoire de la monarchie de Juillet de Sébastien Charléty (1867-1945), Arnaud Teyssier indique : « (…) ceux qui ont fait la révolution de 1830 sont d’abord des bourgeois, des intellectuels libéraux, sincèrement attachés aux acquis de 1789, mais nullement désireux de susciter à nouveau les désordres et la violence des années qui ont accompagné et suivi la première chute de la monarchie en 1792 ». Un constat qui répond à celui de Cochin. Dans le chapitre « De Molé à Guizot », il expose ainsi « La ruine du pouvoir parlementaire ». Alors qu’Augustin Cochin décrit cette « machine révolutionnaire » qui est avant tout un cruel mécanisme de sélection des chefs, Charléty nous montre l’échec constant du parlementarisme et de son corollaire : la représentativité démocratique. Bien que républicain, il n’hésite pas à questionner ces concepts qui ont agité le XIXe siècle. Il faudra attendre Charles de Gaulle et la Ve République pour trancher cette question.

« L’audace de Cochin, sa volonté de décloisonner les savoirs de son temps comme l’élégance de sa plume constituent une œuvre incontournable. »

Par-delà les idéologies et les méthodes propres à chacun de ces historiens remis au goût du jour, il faut saluer leur qualité littéraire et leur hauteur de vue intellectuelle. L’audace de Cochin, sa volonté de décloisonner les savoirs de son temps comme l’élégance de sa plume constituent une œuvre incontournable. La richesse des annotations de Denis Sureau comblent les lacunes du lecteur d’aujourd’hui qui (re) découvrent cette plume inclassable. Le constat est le même pour Sébastien Charléty : nous retrouvons le charme et l’exigence de l’Histoire telle que la comprend Ernest Lavisse, comme nous sentons son désir de comprendre et de raconter les évènements avec le souffle qu’ils méritent. Les « déconstructionnistes » qui tiennent l’université française depuis plusieurs décennies ne comprennent pas qu’écrire l’Histoire avec verve et passion n’est pas nécessairement faire du « roman national » (comprendre enjoliver les faits par excès de patriotisme) mais bien un plaisir de transmettre. Dans La Société féodale, Marc Bloch écrit : « L’historien n’a rien d’un homme libre. Du passé, il sait seulement ce que ce passé même veut bien lui confier ». La relecture des grands historiens boudés par la tradition universitaire est déjà un premier pas vers les confidences du passé, tout du moins une salutaire et joyeuse ouverture d’esprit.

mm

Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

Laisser un message