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Sur les murs de la capitale, d’étranges créatures y sont parfois représentées, celles-ci prennent souvent la forme d’animaux et d’insectes qui ont subi par ailleurs de curieuses mutations.

Ces dessins sont signés « Codex Urbanus », comme le nom d’un manuscrit ancien.

En fait l’auteur, Antoine T. né en 1974, est un dessinateur du street art qui s’est mis sur le tard à vandaliser les lieux publics.

Sans formation artistique initiale, il travaillait depuis un certain temps déjà comme cadre supérieur  au sein  d’une entreprise. Or, subitement comme par révélation, il quitte en 2011 le bureau pour le mur «  à force de voir des graffeurs » comme DacRUZ, Seyb, Oré ou Ludo. Et depuis   comme eux, il se met à dessiner dans la rue.

« je n’ai pas osé tout de suite dessiner dans la rue, j’ai commencé par coller des plaques de céramique sur lesquels j’avais peint. Mais rapidement, je me suis rendu compte que c’était un exercice pénible (les éléments à transporter étant lourds) et de plus  mon travail subissait des vols répétés. Cela m’a gonflé.

Aussi le plus simple pour moi a été   de venir dorénavant avec seulement des marqueurs à peinture, des posca. La greffe a  alors pris  tout de suite.. »

 

Et en plus  le fait d’utiliser « Codex Urbanus » va l’identifier plus que d’autres.

« Codex qui veut dire manuscrit en latin, raconte une histoire qui a un côté médiéval. Pour moi au départ, il s’agissait du nom du projet et par la suite, celui-ci est devenu le mien. Tout le monde m’appelle désormais Codex Urbanus. »

Le street art, une grande famille

« Je ne m’imaginais pas que le street art est une grande famille. Aujourd’hui 6 ans plus tard, je possède la plupart des noms de ces artistes dans mon répertoire téléphonique. Ce sont les impressionnistes du XXI ° s. On se retrouve souvent dans des expos, dans des projets communs, on fait des collages ensemble. 

Mais   ce que je préfère avant tout  c’est le contact du feutre sur le mur. Ce travail en vandale, je le fais tout seul parce que cela fait partie de ma liberté.

Mon travail  c’est  principalement le bestiaire, je n’ai pas fini avec le bestiaire, cela m’amuse toujours autant. »

(Ici sur le mur, lorsque Nadège Dauvergne, Tetar et Codex Urbanus se rencontrent…)

Pourquoi les animaux sont-ils si bizarres ?

« Le principe c’est de croiser des animaux qui existent et surtout ne pas regarder à quoi ils ressemblent. Tout se fonde d’après mon imagination et pas forcément en fonction de la réalité. »

Bien entendu ces dessins font penser à des chimères, aux enluminures médiévales  ou à des codex  des civilisations de l’Amérique du Sud (les Aztèques notamment).

Mais  des parallèles   existent aussi avec les oeuvres de certains grands  peintres comme Jérôme Bosch, Dali,  Wilfredo Lam ou encore  Marc Chagall avec son bestiaire génétiquement modifié.

Ainsi comme   ce peintre russe, Codex Urbanus a une façon extraordinaire de montrer une autre réalité en s’intéressant à l’imaginaire des Terres Inconnues. 

Mais plus encore, il a une  manière  particulière de représenter l’étrange qui peut aller  jusqu’à une certaine forme de  monstruosité. 

En fait il s’avère que cette métamorphose  est  plutôt censée nous délivrer  un message contre notre civilisation perçue comme décadente, sclérosée.

Un bestiaire qui abolit la dichotomie primitif-civilisé

 

On découvre, en effet,  derrière ces représentations monstrueuses parfois même choquantes,  comme  une référence à l’esprit Dada qui opposait, en son temps,  un « non » à la civilisation qui avait mené à la guerre. 

Derrière ces figurations provocantes, on semble  proclamer un « oui » nietzschéen à l’existence dans toutes ses possibilités même dans les formes les plus terribles et les plus délirantes.

Georges Bataille a illustré ce courant de pensée en contestant l’ethnocentrisme européen  et en réfutant la thèse évolutionniste selon laquelle la civilisation européenne représenterait le stade ultime du progrès de l’humanité.

En revanche, il affirmait la supériorité des primitifs et parmi eux les animaux sauvages qui ont sa préférence, car ils sont les seuls à être « véritablement outlaws » (« Métamorphose », Documents, 1929, n°6, p.333).

Les animaux nous rappellent ce que nous avons oublié, cette « innocence cruauté » et cette « opaque monstruosité des yeux ».

En conclusion, selon lui, être sauvage, est la vraie liberté, la seule vraie dignité.

Un art de la transgression 

Codex Urbanus rejoint également Bataille dans le fait que son activité de street artiste s’inscrit dans une activité illégale, c’est-à-dire une activité de vandale. 

C’est pourquoi cet artiste travaille de préférence au milieu de la nuit, quand les rues sont vides.

Déjà par le choix des motifs qui sont des êtres étranges, qui choquent parfois…Codex Urbanus conforte en fait  un art qui s’inscrit délibérément dans la transgression.

Sa démarche semble toujours très proche de Bataille qui s’est inspiré des communautés « primitives » pour valoriser la transgression en participant à des fêtes exubérantes dans le  seul but de se régénérer en puisant à la source de vie. Tout cela afin de changer ses habitudes et de se laisser aller tout simplement…! 

Et qui plus est,  ce besoin de métamorphoser sa vie conduit à  réveiller quelque chose d’archaïque dans l’homme, comme un cri. Ce qui l’amène en définitive   à se conduire bien souvent  comme l’animal.

La beauté doit inclure son opposé 

C’est en définitive le même leitmotiv adopté par Bataille et par bon nombre de surréalistes.

Le bestiaire de Codex Urbanus fonctionne effectivement à l’image de ce principe qui fait surgir à partir d’images choquantes des choses sublimes.

Le vrai art doit frapper au ventre. Comme l’étrangeté doit se mêler au familier afin de déranger l’ordre habituel.

L’art vandale que propose Codex Urbanus s’inscrit donc  parfaitement dans cette nouvelle réalité de l’art qui est par essence hors-la-loi.

La réalité conjugue les contraires, car l’idéalisme comme la société met en quarantaine tout une part de l’humain. Restaurer  par conséquent cette réalité du bas procède de cet anarchisme esthétique.

Christian Schmitt

www.espacetrevisse.com

site de Codex Urbanus

http://www.codexurbanus.com/ 

   Une vidéo sur Codex urbanus   : https://www.facebook.com/streepart/videos/811946692348045/

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Christian Schmitt

Critique d'art. Auteur de "l'univers de J.L. Trévisse, artiste peintre" (ed. Lelivredart 2008) et de trois autres ouvrages sur les vitraux réalisés par des artistes contemporains aux ed. des Paraiges: Jean Cocteau (2012), Jacques Villon (2014) et Roger Bissière (2016). A retrouver sur : http://www.espacetrevisse.com

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