Partagez sur "Bronx : la bouillabaisse frelatée d’Olivier Marchal"
Olivier Marchal a toujours aimé réaliser des films noirs, de ce noir qui tâche et rend ce qu’il imprègne perdu à jamais. Son dernier film, Bronx, s’inscrit sans surprise dans le monde qu’il a construit : un monde sclérosé, obscur, où police et voyous s’affrontent et se confondent. Le résultat tient ici malheureusement plus de la farce que du polar.
Le réalisateur de MR 73 n’a jamais eu les moyens de ses ambitions. Son nouveau film, diffusé sur Netflix, met en lumière toutes les lacunes qu’on pressentait dans les précédents. Les voilà toutes cristallisées dans ce bien mal nommé Bronx, film sensé nous immerger dans le monde du crime organisé marseillais. La première des tares du cinéma d’Oliver Marchal est, sans aucun doute, son incapacité à construire des personnages autres que des carapaces creuses. Rarement un cinéaste aura systématiquement mis en scène dans chacun de ces films des individus aussi stéréotypés et caricaturaux. Sur ce point, la plongée dans le milieu marseillais pouvait laisser présager du pire. Le réalisateur se vautre dans l’utilisation des clichés les plus grossiers. Aucun des classiques du genre ne manque à l’appel. Sont présents au rendez-vous : le policier ripoux, le parrain sanguinaire, les malfrats corses patibulaires, le truand sadique… N’en jetez plus, le film fait passer un épisode de Joséphine Ange Gardien pour une oeuvre subtile à la sensibilité réaliste. Car la réalité policière n’est jamais visible dans ce film. Marchal, pourtant ancien flic, ne filme pas la police qu’il a connue – l’a-t-il vraiment connue ? — mais un monde qu’il fantasme et qu’il nous sert sous la forme d’une tambouille frelatée . 1h56 durant, on boit une mauvaise soupe de polar dont le cuisinier tente de relever le goût avec de mauvais morceaux d’inspirations melviliennes marinée dans une sauce de références américaines. La fascination de Marchal pour le cinéma d’outre-atlantique étant un des aspects les plus artificiels — voire parfois ridicules — de ses films, elle lui fait importer des éléments qui tiennent davantage de la série californienne The Shield que de l’ancien bastion de Jean-Claude Gaudin : les SUV Chevrolet de la police marseillaise ou les insignes depolice autour du cou paraissent tout aussi incongrus qu’un verre de pastis dans un épisode de New York Police criminelle.
L’inspiration américaine pourrait avoir du bon mais, de film en film, Olivier Marchal ne fait que caricaturer toujours plus grossièrement le style de ses références, Martin Scorcese et Michael Mann, deux maître dont le talent est pour lui un horizon lointain, aussi lointain que peuvent l’être les astres pour un rongeur. Dans ce pastiche de Heat, rien ne nous est épargné pour accentuer la noirceur du scénario. Mises à part quelques rares éclaircies afin de rappeler le cadre méridional de l’action, la photographie confine systématiquement au lugubre. Bien que l’on connaisse la difficulté pour la police française à bénéficier de locaux décents, on rit à la vue du commissariat où exercent les membres de la BRI, héros du film, un commissariat allures de cachot médiéval où les ordinateurs auraient remplacé les instruments de torture. Une horde de barbus aux cheveux longs et sales s’y affiche tantôt en chemise ouverte, tantôt torse nu à la sortie de la douche, ponctuant chacune de leurs phrases par des « enculé » ou des « connard ». Néanmoins, la pauvreté des dialogues n’est rien à côté des lacunes du scénario dont certaines facilités laissent pantois. Dans une scène mémorable, le héros, Richard Vronski, retrouve ainsi l’arme d’un meurtre, un fusil mitrailleur, dans une poubelle au beau milieu de la scène du crime pourtant fouillée par la police criminelle ! Et ce n’est qu’un exemple des invraisemblances grotesques auxquelles s’adonne Marchal. Tout le reste est à l’avenant et même le dénouement sidère par son improbabilité.
Rien ne sauve ce film de la cellule dans laquelle il devrait finir ses jours, si ce n’est une médiocrité pompeuse qui se prend très au sérieux et à force de se prendre au sérieux, paradoxalement, devient un objet d’amusement et de curiosité. Son impressionnant casting ne change rien à l’affaire. Toute la bande d’Olivier Marchal est de la fête pour cachetonner et prendre sa part du gâteau chez Netflix. Ainsi, dès l’introduction, Gérard Lanvin nous fait la seule chose qu’il sache faire depuis 40 ans, c’est-à-dire jouer les durs à cuire avec trois expressions différentes à son vocabulaire. Catherine Marchal, une des rares cautions féminines de ce film testostéroné, ânonne péniblement son texte. A ces habitués de l’univers marchalien s’agrègent un Jean Reno bouffi et fatigué qui récite son rôle avec peine et une Claudia Cardinale dont nous ne dirons rien par respect pour son immense carrière. Le rappeur Kaaris fait du Kaaris, jouant les caïds avec une insigne de police en bandoulière. Mis à part Moussa Maaskri, assez convaincant en patron du « banditisme », personne, dans cette immersion marseillaise qui tourne à la noyade, ne sort la tête de l’eau.
Marseille, scène du naufrage, aurait pu apporter au moins sa beauté méditerranéenne au film. C’est pourtant pour de probables raisons budgétaires que Marchal tourne ses scènes sans que l’on puisse réellement l’apercevoir. Reconnaissons que les calanques sont parfois joliment abordées, particulièrement lors d’une scène de règlement de comptes au clair-obscur nocturne. Les cités nord de la ville sont étrangement absentes et les flics en vivent très éloignés, dans des maisons avec vue sur mer dignes de princes saoudiens en villégiature dans la région. Non décidément, Olivier Marchal semble ne rien connaître de la réalité de la police d’aujourd’hui. Celle-ci lui semble aussi étrangère que le talent des grands réalisateurs américains qui le fascinent. Heureusement pour lui, n’étant plus flic mais réalisateur, Marchal n’a pas la police des polices aux trousses prête à lui faire payer cette bavure cinématographique.