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Les Belles Lettres proposent un recueil des textes en prose du poète portugais, un ouvrage qui apporte un regard différent sur l’oeuvre de Pessoa, le génial poète du Livre de l’Intranquillité mais par trop méconnu en dehors de ce chef d’oeuvre.

Dans le texte 171 de l’Intranquillité, Fernando Pessoa confie : « Au beau milieu de mon travail journalier — toujours semblable à lui-même, terne et inutile —, je vois surgir brusquement l’évasion : vestiges rêvés d’îles lointaines, fêtes dans les parcs des anciens temps, d’autres paysages, d’autres sentiments, un autre moi ». Il faut garder à l’esprit que ce recueil de confidences poétiques est celui que Pessoa écrit en dehors de la monotonie de sa vie de bureau (il attribue d’ailleurs la paternité de l’oeuvre à son double littéraire Bernardo Soares), et la citation ci-dessus illustre non seulement son besoin d’évasion, mais une évasion par les sens, par l’imaginaire, par la beauté. Pessoa peut dire avec Dostoievski que la Beauté sauvera le monde et avec Rimbaud que « Je est un autre ».

« Moi, le jour, je suis nul, et la nuit, je suis moi »

Le recueil Comment les autres nous voient confirme la voie tracée dans son chef d’oeuvre, et Pessoa y montre l’étendue de son éclectisme : il parle de commerce, de la dictature, de ses contemporains, de la vie, de la beauté. Sa sensibilité y éclate peut-être encore plus naturellement. Je retiens particulièrement la note 60, dans laquelle il confie : « Moi, le jour, je suis nul, et la nuit, je suis moi », et aussi : « En prose, nous parlons librement, nous pouvons inclure des rythmes musicaux sans cesser de penser, nous pouvons inclure des rythmes poétiques sans y être assujettis. Un rythme de vers fortuit n’altère pas la prose. Un rythme de prose fortuit fait trébucher le vers ». Quelle merveille théorique ! Mais avec la légèreté de Pessoa, le pas de côté permanent qu’il s’efforce d’effectuer, pour ne pas encombrer sa prose comme sa vie de bureau alourdit déjà son quotidien. Pessoa demeure le poète qui déleste l’existence de ses poids morts.

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Comment les autres nous voient, édition des Belles lettres

Proses publiées du vivant de l’auteur II 1923-1935

Proses réunies et annotées par José Blanco. Traduites du portugais par Simone Biberfeld, Parcidio Gonçalves, Dominique Touati et Joaquim Vital.

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