Cy Twombly né Edwin Parker Twombly Jr. (1928-2011) est une figure incontournable de l’art américain. Il vient à la suite des artistes qu’on appelait les Expressionnistes abstraits tels que Jackson Pollock, Mark Rothko ou encore Barnett Newman.
Avant tout homme de synthèse, cet artiste, natif de Lexington en Virginie, réussit à réconcilier en quelque sorte les deux écoles antagonistes issues de l’abstraction et de la figuration grâce à son écriture.
De même, s’intéressant tout particulièrement aux glyphes, il crée des liens avec les époques anciennes de l’Antiquité.
Bref sa peinture ne cesse de créer des passerelles grâce à une oeuvre à la fois simple et inimitable.
Aussi en analysant les dernières années de sa création, celles qui couvrent la période de 2003-2011, nous verrons que l’artiste va déployer une force créatrice étonnante grâce à la monumentalité de l’expression ainsi que l’éclat des couleurs.
Mais au préalable, Twombly débute par des peintures plus nostalgiques, toutes empreintes d’une émotion contenue avant l’émergence ensuite d’une peinture véritablement gestuelle et narrative.
Winter Pictures
Il s’agit de la série Sans titre (Winter Pictures) exposée en 2004 à la galerie Gagosian à Londres.
Cette série comprend 12 panneaux en bois dont 10 seront réellement exposés. Tous peints à l’acrylique, avec des grands traits expressifs, verticaux aux tons brun-marron.
On ressent une atmosphère d’une grand tristesse, l’artiste a dû s’inspirer de la pluie tombant sur les vitres de sa maison de Gaète en Italie.
Twombly reproduit en effet sur la toile l’écoulement de gouttes isolées qui à travers leur parcours sinueux vont grossir en s’associant à d’autres gouttes et former ainsi de véritables ruisseaux.
Ausssi toutes ces dégoulinures provenant d’une peinture très liquide accentue encore cette sensation d’impuissance face à l’action des éléments naturels.
En revanche, Il est indéniable que ce déploiement de substances liquides ajoute de la vivacité et de la verticalité à son oeuvre.
De même cette série abstraite (Winter Pictures) annonce les peintures gestuelles de l’artiste lorsqu’il abordera certains motifs de l’antiquité.
Peintures dionysiaques
Cy Twombly a toujours été fasciné par le thème dionysiaque.
L’artiste s’est beaucoup nourri des lectures liées au culte de Dionysos, ce dieu du vin célèbre pour ses orgies et les danses rituelles de ses adeptes.
Ces mêmes danses rituelles proches de la transe vont d’ailleurs fortement inspirer sa peinture.
Ces rites vont apparaître en 2004, notamment dans cette toile ( voir ci-dessus) où l’on associe Bacchus à Psilax, puisqu’il devient ainsi un Bacchus « ailé » qui se joue de tous les obstacles et de toutes les difficultés.
Ces tableaux se présentent comme des oeuvres sauvages et énergiques où rien ne semble arrêter le geste twomblyen. D’où l’apparition de ces courbes rouges qui s’entremêlent nerveusement et rageusement sur fond beige. Elles produisent également des dégoulinures, en réalité plus fines mais aussi bien plus abondantes.
Derrière cette pulsion charnelle du thème bacchique qui fascine le peintre, se dévoile en fait sa subjectivité et son monde intérieur.
« La toile sera le résultat de cette vision, où le peintre va véritablement montrer le geste, ainsi que le note Barthes, le savourer autant que de le donner à savourer en laissant la matière en témoigner. »[1]
La Rose
Après les toiles liées aux cycles dionysiaques, Twombly consacre les années 2006-2008 à l’étude du cycle floral. Certes le geste est moins ample car il se concentre sur les pétales et les contours des fleurs mais le motif le captive tout autant.
Il s’intéresse, en effet, aux fleurs et en particulier aux roses en raison de leur réalité, leur beauté ainsi que pour l’imaginaire qu’elles révèlent.
Ainsi notamment dans les cinq toiles peintes à l’acrylique de The Rose, exposées à la galerie Gagosian de Londres en février 2009, l’artiste exprime une sensibilité exacerbée allant jusqu’ à exprimer l’idée hégélienne de la beauté d’une plante, qui est dans sa forme extérieure:
« (…) Elle est condamnée à une extériorisation continuelle, sans retour sur elle-même, sans individualité propre et sans unité véritable , et, pour elle, se conserver , c’est se développer au dehors.
C’est pour cette raison que la régularité et la symétrie , qui constituent l’unité dans le développement à l’extérieur, sont un moment essentiel dans
la forme des plantes. »[2]
L’artiste rend hommage à cette plante qui est tout à la fois objet, symbole et culte. Mais pour lui, la rose se suffit, car il l’aime pour elle-même.
Lignes d’écriture
Après ce travail de figuration sur les fleurs, l’artiste retourne à des formes plus abstraites avec ses lignes d’écriture.
Twombly crée son propre langage fait de signes abstraits s’apparentant à une langue archaïque. Cela fait penser aux glyphes, ces signes graphiques des civilisations anciennes comme l’écriture maya.
« Des signes abstraits qui ont un rôle prépondérant dans l’organisation de l’oeuvre.
Ils offrent un rythme similaire à celui de la parole ou de la musique, fait de pauses et d’accélérations fortes ou légères , allant jusqu’à s’effacer parfois.
Le but de Twombly n’est pas de raconter une histoire concrète, mais , tel un compositeur, de créer une symphonie offerte à la subjectivité du spectateur. »[1]
Salalah,
Salalah, Salalah…l’artiste aime ce mot, sa musicalité qui lui rappelle l’océan indien ( Salalah
étant la capitale de la province du Dhofar).
Les boucles, son dernier cri expressif
Camino Real (Part II), 2010. Acrylique sur panneau de bois, 252,4 x 15,1 c
Avant de quitter ce monde en 2011, les dernières séries du peintre sont riches en couleurs et en contrastes. Un motif unique parcourt toutes ses oeuvres, à savoir une ligne de boucles jaunes, rouges et orangées sur fond d’un vert acide.
La boucle reste le motif favori chez Twombly car elle exprime le mieux sa subjectivité en procédant à une création instinctive voire sauvage.
En cela, il est fidèle à Kandinsky qui disait: « La forme est l’expression du contenu intérieur ».
Dans la série intitulée Camino Real, il s’inspire de la pièce de théâtre éponyme de Tennessee Williams. Le titre Camino Real semble d’abord avoir été choisi pour sa sonorité mais aussi pour son histoire, chaque acteur recherchant désespérément une issue :
« Où est la sortie ? » . Chacun cherche sa voie, et s’échappe comme il peut.
Pour l’artiste le seul exutoire possible, ce sera sa peinture et sa frénétique action à travers les tourbillons de couleurs.
« Le geste de la boucle est aérien et expressif, il soulève , libère l’artiste qui se sent presque en lévitation, et bouleverse le spectateur. Ce mouvement ressenti par Twombly est à mettre en parallèle avec la sensation de voler exprimée par Tennessee Williams durant l’écriture de Camino Real…
Mais malgré l’éclat des couleurs et la vivacité des lignes, il s’en dégage une impression de disparition. »[1]
Assurément
la boucle constitue bien son dernier cri
expressif .
[1] Cy Twombly , op.cit., p.p. 154-156
[1] Cy Twombly , op.cit., p.108
[1] Cy Twombly , Dernières Peintures 2003-2011, de Nela Pavlouskova, Editions du Regard, Paris 2014, p.51
[2] G.W.F.Hegel, Esthétique, tome premier, p.50. Disponible sur: http://www.prepagrandnoumea.net/TEXTES/HEGEL%20Esthetique%20Tome%201.pdf