L’un demeure un des plus grands compositeurs du XIXe siècle, l’autre reste, dans les mémoires, le plus immonde dictateur de l’Histoire. Dans un essai de haute volée (De Wagner à Hitler, Portrait en miroir d’une histoire allemande, aux éditions Passés composés), Fanny Chassain-Pichon retrace l’itinéraire du génie de la musique et du peintre raté, avec leur antisémitisme forcené en fil rouge.
Pour le béotien, la lecture de l’essai de Fanny Chassain-Pichon est une claque monumentale. Tout d’abord, peu de livres ont révélé la haine des Juifs qui animait le compositeur de L’Anneau de Nibelung. Ses essais et ses lettres qui n’ont rien à envier à Mein Kampf sont peu connus. Et pour cause : Wagner était un antisémite forcené, et même pire. Il ne reculait devant aucun cliché de l’époque, à l’égard du Juif forcément avide d’argent, planifiant en secret la destruction de la civilisation européenne.
Si le goût d’Adolf Hitler pour Nietzsche est connu, sa passion pour Wagner l’est moins. Il s’agit d’ailleurs bien plus qu’une simple inclination artistique, les textes de Wagner ont imprégné l’imaginaire de l’ignoble moustachu depuis le début de son histoire. Les liens entre la famille Wagner et Adolf Hitler sont révélés au grand jour. Leur filiation intellectuelle aussi.
En mettant les deux biographies en regard, l’auteur explique le lien entre les deux hommes : « Comme Wagner après l’échec de la révolution, l’apprenti dictateur visait un ennemi principal, sinon unique : le Juif. Si Wagner reprochait aux Juifs leur appartenance à un groupe culturel et religieux, Hitler était davantage focalisé sur l’aspect racial. Mais un chemin peut être tracé de la culture à la race : in fine, le Juif doit être combattu ».
De Wagner à Hitler, l’opéra funeste
Si Wagner a influencé Hitler sur le plan idéologique (ainsi que d’autres théoriciens fumeux), si l’imaginaire nordique du premier a façonné l’esprit du second, il n’en reste pas moins qu’Hitler a surtout retenu la notion de spectacle. Pour ses discours ou ses allocutions, tout était mis en scène avec une scénographie très étudiée et, dans l’esprit du Führer, l’inspiration wagnérienne était constante.
Fanny Chassain-Pichon l’explique : « Ses discours relevaient ainsi déjà d’une mise en scène très étudiée : lui, héros wagnérien des temps modernes, usait sur scène d’une gestuelle théâtrale, d’un langage adapté ponctué de leitmotivs. Le Führer n’oublia jamais les lectures du jeune homme qui rêvait de devenir artiste ». Wagner n’a pas seulement apporté à Hitler un corpus idéologique mais aussi un imaginaire tout entier tourné vers le paganisme (qui s’oppose au judéo-christianisme de l’Europe). Les deux hommes sont liés par un goût de la destruction au service d’une improbable régénération.
Hitler préparait chacun de ses meetings comme un immense spectacle. Une chevauchée permanente des Walkyries qui oscille entre la démence et la mégalomanie suicidaire, l’hystérie collective et la longue et tragique marche vers l’abomination suprême. Le lien entre les deux hommes symbolise finalement la pulsion de mort inhérente au nazisme et, finalement, la tragédie de l’Allemagne au XXe siècle.