Edvard Munch est un peintre norvégien (1863-1944).
Le Cri est l’oeuvre qui l’a fait connaître et qui reste l’une des plus emblématiques de l’art moderne. En effet c’est elle qui caractérise le mieux notre époque avec son ambiance fondamentale marquée par le pessimisme.
La danse vers la mort
Mais comment comprendre cet artiste si ce n’est en relatant aussi sa propre vie ?
En effet, Edvard déverse sur la toile tout ce qu’il avait lui-même vécu car la vie était pour lui comme une danse vers la mort.
Il avait perdu sa mère à l’âge de 5 ans et quelques mois plus tard ce fut le tour de deux de ses soeurs. Et si son père était toujours vivant, en réalité il ne pouvait pas compter sur lui. S’exprimant peu, taciturne, il était médecin des pauvres à Oslo.
Dans ces conditions, Edvard était toujours angoissé et son seul refuge deviendra rapidement la peinture lorsque dès son adolescence l’une de ses tantes l’incita à peindre.
Mais au début, cela ne suffira pas à l’équilibrer puisque son état psychologique se dégradera ensuite considérablement durant une bonne partie de l’âge adulte. En effet il ne s’améliora réellement qu’a partir de 1908 à l’âge de 45 ans seulement! Auparavant il connut une grave dépression nerveuse qui l’affecta considérablement.
Aussi toutes ses oeuvres réalisées jusqu’à cette époque ont reflèté la maladie, l’angoisse panique et des atmosphères morbides. Ainsi le Cri a été réalisé durant cette période notamment s’agissant de l’oeuvre de 1893 selon la technique du tempera sur carton qui constitue l’une des 5 versions, la dernière étant de 1895.
Par la suite, l’artiste une fois guéri, ce sont alors des peintures plus apaisées que l’on découvre avec des décors de la vie simple de tous les jours. Mais fondamentalement l’amélioration de son état n’entraîna nullement chez lui une diminution de sa voyance hallucinatoire, ni d’ailleurs de sa sensibilité nerveuse.
La magie de la ligne
Au cours des dernières années de son longue maladie, l’artiste avait déjà assimilé toutes les techniques apprises auprès des grands maîtres lors de ses différents séjours parisiens.
Ainsi en 1892, lorsqu’il découvre la magie de la ligne et l’art plan de Gauguin.
Depuis cette période, le monde semblait vibrer autour de lui. D’où la naissance du Cri comme il le relata lui-même:
« (Dans la nature), les lignes et les couleurs frémissaient et palpitaient. Ces vibrations de la lumière ne provoquaient pas seulement l’oscillation de mes yeux, mes oreilles aussi étaient affectées et commençaient à vibrer. Ainsi, j’ai véritablement entendu un cri. Alors j’ai peint le Cri »
( selon Richard Shiff dans l’ouvrage Edvard Munch ou l’ « Anti-Cri » Editions Pinacothèque de Paris 2010)
L’artiste jouera sur la ligne et notamment sur l’onde linéaire pour évoquer une image et une situation. Celle-ci traduit toujours la vie et le mouvement.
A la source de la vie, il y a « la lumière et le mouvement » affirmait-il sans cesse.
Sa théorie de l’art est en fait très en phase avec la science de son époque.
« Aujourd’hui » déclare-t-il, « j’ai entendu une conférence à la radio expliquant que la lumière est faite d’ondes et que par conséquent, elle est aussi matière. C’est exactement ce que j’ai écrit dans mon journal il y a vingt ou trente ans (vers 1900).
J’ai écrit que tout est en mouvement et qu’on peut même trouver le feu de la vie dans une pierre. La variété des mouvements détermine la forme et la variété de la matière. » (selon Richard Shiff, op.cit.)
Le peintre expérimentera tout particulièrement ce vitalisme dans une oeuvre intitulée Clair de la lune au bord de la mer en 1892.
On découvre dans cette toile la lune qui dirige son rayon de lumière vers le bas. L’artiste représente cette onde linéaire sous la forme d’au moins quatre reflets de cercles lunaires.
La lumière lunaire en pénétrant le rivage, s’introduit aussi dans la matière et devient elle-même matière. Cette transmutation par la peinture est en adéquation avec les principes énoncés par Munch.
Le reflet lumineux de la lune prend ainsi la matérialité solide de la roche.
Ce faisant Munch « élabore en métaphysique moderne sa pensée: l’essence de la nature et de la vie est mouvement avant même de devenir matière » (op.cit.)
Mais avec le Cri, l’artiste va jouer encore plus fortement sur la force des ondes immatérielles qui affectent la matière.
La force des ondes ondoyantes
Ici le personnage de cette toile ressent un cri perçant mais quelle signification peut-on donner à cette sensation ?
Par le jeu des lignes ondoyantes, l’artiste veut évoquer une détresse à la fois corporelle et émotionnelle.
Mais mis à part ce personnage situé à l’avant, on n’assiste pas à l’émergence de formes et de couleurs fantastiques ou terrifiantes derrière lui ?
Ainsi les deux personnages que l’on distingue loin derrière lui ne semblent pas être affectés par les mêmes formes ondoyantes.
Certes le ciel et la mer semblent accompagner le même mouvement ondulatoire mais sans indiquer le même sentiment de détresse.
En réalité le véritable désarroi vient plutôt de la détresse matérielle infligée à la toile elle-même. On peut effectivement constater ici et là des griffures, éraflures et trainées comme étant l’expression d’un marquage matériel sur le support matériel.
A l’évidence l’artiste veut corréler la sensation humaine à la sensation matérielle et inversement.
La sensation humaine devient sensation matérielle et réciproquement.
Ainsi le sujet est affecté par tout ce qui constitue son environnement et il est donc emporté en permanence par un flot de vie. Celui-ci se manifeste notamment dans l’ondoiement chromatique comme cela a pu être observé.
Mais le mouvement peut-être généré aussi par la tension entre les polarités.
La tension entre les polarités
Pour en revenir à la scène décrite par le Cri ,on a pu observer effectivement une tension existant entre l’avant et l’arrière : l’homme en panique au premier plan et les deux personnages statiques situés très loin à l’arrière.
Cette mise en opposition spatiale constitue une polarité qui favorise toujours le mouvement et donc la vie.
Mais ce que veut nous dire aussi l’artiste c’est qu’aucune séparation matérielle ne peut arrêter l’onde de vie.
Edvard ménage habilement ce mouvement de va-et-vient entre le premier et l’arrière plan pour créer une vitalité sans fin.
On retrouve une tension similaire dans une oeuvre de 1906 dénommée Avenue sous la neige (voir ci-dessous)
L’artiste met en scène également une autre perspective dépouillée où deux figures apparaissent au tout premier plan comme dans une pièce de théâtre.
Avenue sous la neige, 1906
On a l’impression que ces deux personnages sont poussés à la sortie par le ciel qui à l’arrière descend déjà pour ondoyer entre les rangées d’arbres.
Les arbres qui sont alignés bougent effectivement sous l’action du ciel puisqu’ils semblent reculer et se redresser alternativement.
Munch peint l’ensemble de ces différentes formes avec « tant de fluidité que les lignes sinueuses se renforcent les unes les autres, liant les figures entre elles et avec le sol, élément de vie qui aurait tendance à s’installer entre les formes selon le principe de l’illusion picturale » (op.cit.)
Ainsi l’artiste veut nous signifier que le monde vibre en permanence autour de nous. Dans ces conditions une fréquence ou une vibration peut toujours , à l’image de ces lignes ondoyantes, en cacher ou en étouffer une autre.
De même l’image du Cri peut aussi en cacher une autre, celle par exemple du silence de la nature.
Or, le silence hantait l’âme du peintre et seules par conséquent les ondes du mouvement lui insufflaient de l’énergie et peut-être surtout de l’espoir ?
Christian Schmitt