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“Et puis voilà… Et puis tant pis.”. Ces mots, tirés des premières pages de Mort à crédit, admirablement lus par Fabrice Luchini, s’appliquent assez bien à son spectacle “Poésie ?”, donné pour quelques jours encore au Théâtre du Montparnasse à Paris.

Car de littérature ou de poésie il est finalement peu question dans ce “seul en scène” proposé par l’acteur français. A l’exception donc de cette lecture de Céline et du “Bateau ivre” dans son intégralité, on aura droit aux Fables de La Fontaine revisitées en verlan, à du Labiche version comédie de boulevard en deux saynètes – la même rejouée une seconde fois, au cas où nous n’aurions pas compris -, et à une ou deux citations de Paul Valéry émaillant le spectacle. Le reste ressemble plus à un one man show à la Gad Elmaleh, dans le style Luchini’s Late Show starring himself.

On en sort donc qu’à moitié déçu, en se disant qu’il y avait quand même la place pour faire quelque chose d’un peu plus exigeant intellectuellement.

Le comédien ne fait en fait que raconter des anecdotes personnelles, connues d’à-peu près n’importe qui pourvu qu’on ait regardé Luchini chez Ruquier ou Ardisson ne serait-ce qu’une fois dans sa vie. Dans le désordre, cela donne : le garçon coiffeur à la Goutte d’Or et le balayage sur Marlène Jobert, le coursier traversant la place Saint-Augustin en pleine nuit, la rencontre avec Rohmer, son assignation à la catégorie “d’être asexué” à la sortie de “Perceval le Gallois”, ses discussions métaphysiques avec Johnny Hallyday à propos de Schopenhauer et de Nietzsche, et ainsi de suite. C’était du reste assez prévisible. On en sort donc qu’à moitié déçu, en se disant qu’il y avait quand même la place pour faire quelque chose d’un peu plus exigeant intellectuellement.

Le public n’attend pas Luchini pour lire des livres …

Il ne s’agit pas ici de critiquer la réussite de Fabrice Luchini : son spectacle fait salle comble. Tant mieux pour lui. Seulement, Luchini ne peut pas s’empêcher de mépriser son public d’une manière ou d’une autre. D’abord, expressément, en supposant que les trois-quarts de l’assistance est venue plus ou moins de force, par suite d’une volonté féminine ou d’une convenance sociale – on passe sur l’hypocrisie intellectuelle qui consiste à penser que le sujet proprement culturel de son spectacle n’intéresse en fait personne -, mais surtout, aussi, en suggérant par ce qu’il appelle des “respirations théâtrales” que la poésie dont il était initialement question n’était finalement rien d’autre qu’un bon prétexte pour un peu d’amusement populaire à peu de frais. On a presque l’impression que le spectacle, conçu autour d’une idée pertinente – qu’est-ce qu’est la poésie ? ou plutôt : où est véritablement la poésie ? – lui permet de mieux se retourner pour faire passer ses anecdotes éculées.

Le monde n’a pas attendu Luchini pour lire Céline.

Si bien évidemment tout le monde n’a pas envie de se farcir deux heures de lecture du Voyage au bout de la nuit ou d’Une saison en enfer à 18h30 en rentrant du boulot, l’acteur parie (à raison) sur l’idée que cet état de “tension” ou de concentration premier des spectateurs ne fera qu’accroître l’hilarité générale de la salle devant ses simagrées – le “Mamy Blue” repris en choeur lors du rappel, dont le caractère improvisé et spontané est donc renouvelé chaque soir. Le vrai problème, c’est qu’on est à peu près certain que le concept originel du spectacle, loin d’en rebuter plus d’un, est l’une des raisons du succès de ce spectacle. Il est donc assez dommage et regrettable que Fabrice Luchini ne tienne pas son pari jusqu’au bout, et préfère se contenter de ses petits effet habituels sur son auditoire. Car, n’en déplaise à l’ex-gamin du quartier des Abbesses, cette attente culturelle existe bel et bien. Il n’est d’ailleurs qu’à voir, pour s’en convaincre, le succès des émissions d’Antoine Compagnon sur France Inter, “Un été avec Montaigne” en 2012, puis “Un été avec Baudelaire” l’année suivante. Malheureusement, Fabrice Luchini est persuadé que les “gens” ne lisent pas, et ne s’intéressent que très peu à la littérature. La preuve la plus éclatante aura été cet entretien croisé avec Alain Finkielkraut dans l’émission “Répliques” sur France Culture en avril 2010, où l’acteur affirme sans ciller “[qu’il] ne faut pas avoir la vanité de penser que sur mille personnes qui viennent, un seul repart en lisant (…) Les gens qui viennent voir mon spectacle repartent et lisent du Christine Angot”. Le monde n’a pas attendu Luchini pour lire Céline, mais on aurait bien aimé qu’il nous en lise davantage et qu’il nous en parle. Modestement.

Liens

Fabrice Luchini : « La poésie n’est pas que dans les poèmes » (Europe 1)

« Poésie de la prose française », Fabrice Luchini dans Répliques avec Alain Finkielkraut (France Culture)

Un été avec Baudelaire, Antoine Compagnon (France Inter)

Victor Lefebvre

Victor Lefebvre

Étudiant en philosophie. Littérature et football (le club champion de France en 2011). Je me contente de Vahid Halilhodzic en attendant Marcelo Bielsa. Mémoire sur Bernanos et Kierkegaard en cours.

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