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Gilles Sebhan revient à sa tradition en publiant un nouveau récit autobiographique qui aborde un thème peu habituel : le rapport de l’écrivain au métier de professeur. Un livre passionnant qui appuie là où ça fait mal et n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat.


Bien que Gilles Sebhan n’ait pas chercher à écrire un livre politique, on trouve dans ce texte de nombreux éléments qui poussent à faire réfléchir sur l’enseignement tel qu’il est fait en France aujourd’hui. Hors Classe paraît deux ans  presque jour pour jour après l’assassinat du professeur Samuel Paty. Et ce n’est pas un hasard. Cette tragédie a été un déclencheur d’écriture pour Sebhan qui a du confronter son propre rapport à ce travail pour tenter d’y trouver un sens, une explication.  Après avoir passé dix ans dans un collège d’une banlieue morose, Sebhan se retrouve à enseigner dans le lycée où il a lui-même été élève, dans une bulle bourgeoise au milieu de la banlieue rouge. Tous les enseignants ont forcément été touchés par l’assassinat de leur collègue. Tous ont dû remettre en lien leur enseignement avec cet événement et comprendre comment on pouvait en arriver là. Sebhan ne fait pas un livre politique mais il met le doigt au coeur du problème  : « L’école républicaine s’imagine encore avoir un pouvoir se des esprits qui depuis longtemps l’ont précisément choisie comme ennemie. L’institution refuse ou feint de refuser de croire que la guerre a commencé » (p.69). La guerre dont il parle c’est celle d’une vision qu’on tente d’imposer à un système qui ne parvient pas à dire un non franc et massif. L’institution et ses professeurs  sont  des déclassés. Ils ne sont plus les fonctionnaires bourgeois, respectés et choyés qu’ils ont été longtemps. Pour leurs aînés, une manne, profiter de la vie avait du sens. Époque révolue.  Sebhan relate un épisode dans une galerie d’art où sa collègue d’arts lui intime l’ordre de ne pas parler de leur vrai métier. Quand un métier aussi central doit être tu c’est qu’il a perdu de sa valeur, de son prestige. 

Le rôle et la personnalité de l’enseignant sont devenus des points cruciaux pour la réussite de toute pédagogie. À peine commencé, Hors Classe n’y va pas par le dos de la cuillère « L’exemplarité des professeurs est un mythe qu’il est bon de détruire d’emblée » (p.13). La comédie de la vraie vie des profs est bien réelle et offre à Gilles Sebhan la possibilité d’une galerie de portraits  digne des grandes pages de la littérature. De la collègue portant plug anal au CDI à  celui feignant de fuir tous rapports humains  mais vomissant quotidiennement dans un fossé son alcool de la veille avant son premier cours. Le trait de génie de l’auteur est de parvenir à décrire la réalité du métier et de ses différentes facettes, les plus pures comme les plus avilissantes, avec la même beauté, le même oeil bienveillant.  Le professeur débutant par exemple qui dans la même journée fait la même dictée à toutes ses classes  car « nous n’en étions pas à être des bons profs, mais à tenir jusqu’aux vacances de Noël »(p.12). Le livre est aussi perlé de scènes dont la beauté et  la richesse vous émeuvent quand par exemple lisant simplement le texte prévu à l’étude ce jour là, le professeur et ses élèves se rejoignent et s’enferment dans l’art, dans la force d’un texte et de sa profondeur : « Clandestinement cet après midi là, nous avons atteint un dérèglement du temps, une échappée de lunivers scolaire (…) j’aurais pu les laisser sortir dans la cour. Le plus beau était fait. » p.34. Voilà l’enseignement : de nombreuses difficultés, de nombreux moments de solitude pour quelques secondes de beauté pure qui vous rappellent pourquoi vous êtes là devant ces yeux adolescents. Gilles Sebhan en a bien conscience et raconte ces difficultés et ces fulgurances à merveille. 

Anti héros de la République

Dans ce livre, Gilles Sebhan se dessine comme un anti-héros, un contre-modèle de professeur. Ce livre est un cadeau à toute une profession tant il remet en question la doxa autour du « bon prof » dont personne n’a la même définition puisqu’elle dépend des attentes de chacun :  les élèves, les familles, l’institution. Personne ne cherche ni ne veut la même chose. Or c’est bien souvent pour les élèves que ce métier est finalement choisi. Et l’adolescent, c’est bien connu, ça n’attend pas toujours la même chose que ses parents, ou que « l’école ». Professeur dans un lycée où existe une option Arts Plastiques, l’auteur décrit ses élèves qu’il appelle « ses artistes ».  «  Je me reconnais en eux, tous ces élèves qui cherche quelque chose, une image un peu moins sage. (…)  Encouragé par mon amie prof d’arts plastiques, moi aussi j’ai fini par me mettre à la peinture. Je me suis inventé une seconde jeunesse dépassant l’idée que je me faisais de ma propre incapacité. J’ai appris de mes élèves. » (p. 147). Cette évocation de son activité de peintre, Gilles Sebhan l’amène comme un élément qu’il a pu tirer de ses élèves, de leur force d’immaturité, de leur gestion du dépassement de leur incapacité. Très peu d’adultes trouvent cette force de se réinventer. 

Enfin, lire un roman de Gilles Sebhan — ou plutôt ici, un témoignage— c’est se confronter à l’homosexualité franche, à l’observation des corps et des gestes comme la littérature traditionnelle ne le fait que trop rarement, c’est évoquer des réalités crues, voire profondément dégueulasses. Mais ici point de dégoût ni d’exagération : les corps et les attitudes des adolescents et de leurs professeurs ne sont pas surjoués. Sujet épineux choisi ici par l’auteur de La Dette  et de  Haut Risque :  toutes les scènes sont vraies, et sont surtout réellement vraisemblables. L’érection volontaire du jeune provocateur du fond, la beauté pure de chemisier d’une élève, les regards insistants d’un autre, évoquant son histoire d’amour. Les critiques les plus directes et les plus méchantes. Tout cela existe car ces adolescents sont des personnes, des individus. Le professeur est toujours un spécialiste du vivant avant d’en être un de sa discipline. C’est l’existence pure qui est représentée dans ce livre : celle d’un homme qui atteignant la « hors classe », un des plus hauts échelons dans la carrière d’un professeur, démarre une réflexion sur le pourquoi de sa présence fidèle dans et hors la classe. Toute une carrière, passée aux cribles, des horribles temps de début où personne ne vous forme à rien, à l’arrivée du professeur stagiaire dans votre classe vous classant dorénavant dans la sacrosainte case du « prof de profs ». Et la vie des élèves, que le professeur enferme ici dans son texte « encagés dans un livre de verre », et dans d’autres auparavant : présents par leur érotisme, leur sensualité, leur intelligence, leur profonde bêtise, leur beauté, leur humour, leur doute, leur force. L’existence pure de ces élèves face à un professeur qui « leur donne (…) un regard qui admet leur existence sans volonté de les transformer en singes savants ». C’est sans doute en cela que Gilles Sebhan est un professeur qui compte et un écrivain qui compte. Il est un écrivain vous apprend et un professeur qui vous attend. 

Ce n’est peut-être pas la clef de tous les problèmes de l’éducation nationale, mais il y a peut-être ce Hors Classe quelque chose à chercher et à amener dans la classe. 

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Christophe Berurier

Christophe Berurier est professeur. Il aime les mots et le vélo.

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