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Après la publication de Noir en 2022, et six ans après Sur les chemins noirs qui lui a valu sa renaissance physique, Sylvain Tesson publie Blanc, chez Gallimard. Un journal de voyage dont la pureté et la sincérité laissent des traces. Retour aux sources du Blanc.


Avec ce journal de voyage Sylvain Tesson renoue avec la neige comme on renoue avec ses premières amours. L’élément marque l’ensemble de son oeuvre : de l’Axe du Loup  en 2004,  à la Berezina  napoléonienne en 2015 en passant par la pause prise dans Les Forets de Sibérie, dans sa cabane sur le lac Baïkal en 2010, Sylvain Tesson est un homme du froid, de la neige, de la lumière brulante. Dans Blanc, l’auteur relate les étapes de son voyage au long cours qui s’étale sur quatre hivers. Sous-titre possible : Journal d’une traversée des Alpes à Ski, en prenant son temps. Dans ce nouveau journal de voyage, Tesson est marqué par le temps et par l’époque. Là où il y a vingt ans, les étapes de ses voyages se mesuraient à trois ou quatre chiffres, ici, point de distance surhumaine, on se déplace à skis dans l’espace et dans le temps, ce qui les rend beaucoup plus longs. Flanqué du guide de haute montagne Daniel du Lac, Tesson part de la Méditerranée plein nord pour traverser les Alpes vers l’Est, direction l’Italie puis la Slovénie. D’un élément l’un, les deux hommes et leurs acolytes de quelques étapes ont pour point de départ et d’arrivée la Méditerranée, mer de référence du monde ancien. 

La neige, la Méditerranée, le voyage lent où les étapes font toutes à peine plus de dix kilomètres (en témoigne la raideur des dénivelés évoquée à chaque entrée du journal) apparaissent comme autant de moyens de s’inscrire dans un héritage. Héritage culturel d’abord pour l’auteur  de récit autour de la figure d’Homère et du voyage d’Ulysse, héritage culturel encore pour le Tesson-moujik, amateur de grands espaces slaves. Héritage littéraire direct quand dès la première page de son journal il nomme les auteurs de son panthéon de la « phrase de départ ». Rimbaud, Montaigne, Gide, saint Mathieu et même Virginie Despentes. L’apparition de l’auteur de Vernon Subutex  et du récent Cher Connard, n’est pas comme on peut le croire une provocation. Tesson fait référence à celle qu’il appelle « Mme Despentes », à deux reprises dans son journal. C’est sa formule « On se lève et on se casse » qui plait à Tesson. Cette formule c’est leur point commun, leur manière de regarder le monde d’un peu plus loin que les autres.  Plus loin c’est Charles Ferdinand Ramuz qui est cité pour sa Séparation des Races. L’auteur suisse de La grande peur de la montagne  poursuit la marche des références et des modèles qui parsèment les écrits de Sylvain Tesson. 

Blanc est aussi un livre de renaissance pour Tesson. Il y évoque ses Chemins noirs  qui lui avaient permis d’allier rééducation, marche, et littérature. Après les Chemins noirs, après les dessins de pendus dans Noir, Blanc est décrit comme pouvant « pourvoir la joie. (…) Alors s’opère l’éclaircie de l’être par le lavement du regard » (p. 31). Ce voyage est un « voyage absolu » (p.31). Les Chemins Noirs furent une rééducation. La Panthère des Neiges fut un grand voyage, une quête avec objet, à des milliers de kilomètres. Blanc, c’est l’éloge du voyage dans la pureté, dans l’âme, sur le territoire européen, avec des étapes de douze kilomètres. Nous ne saurons jamais si Tesson écrit pour voyager ou s’il voyage pour écrire, mais ses livres sont toujours ceux d’un écrivain dont l’humilité et la sincérité dansent avec l’amour de la formule, des bons mots et des voyageurs qui l’ont précédé dans ce geste toujours répété des « rebelles intermittents » (p. 60). Tesson c’est l’esprit français des mousquetaires aux hussards, celui qui s’écarte habilement des considérations politiques pour ne garder que cigares, franche camaraderie, sports, et choses de l’esprit. Alice Zeniter en fait l’archétype de l’auteur blanc de plus de cinquante ans dominant dans son dernier livre, comme si elle lui cherchait des scandales dans la tête. Tesson les fuit, comme il fuit son époque, comme Blanc, en son troisième hiver lui a permis de fuir la pandémie du Covid 19. 

Blanc, comme l’espoir.

Ce journal de voyage offre d’entrevoir des moments de vie dont le commentaire ironique montre toute l’acuité portée sur l’existence, mais aussi quelques envolées frisant la philosophie de refuge. Alors qu’il passe une page entière à raconter comment lors de la dernière étape de leur premier hiver de voyage, du Lac et lui ont attendu leur arrivée à Val d’Isère pour y croiser « Charlotte, Virginie, Charlène, Anna, peut-être », la chute de l’histoire est sans appel « il n’y avait personne ».  « L’alpiniste est ce type qui ne trouvera jamais là-haut ce dont il manque en bas mais sera toujours prêt à y retourner » (p. 83). La seule leçon réelle que Tesson nous invite à tirer de son voyage de quatre ans : « ne pas tout savoir » (p.100). Le constat devient presque métaphysique quand le narrateur reconnait « Allions-nous vraiment vers un but ? Non, nous allions dans le Blanc, nous étions passagers de la substance. » (p. 152). À plusieurs reprises, le « Blanc » est comparé à une drogue, un narcotique. L’effet d’infinité qui s’offre à tous voyageurs ayant connu  la haute montagne peut créer la même attirance incontrôlable que le désert saharien a pu engendrer sur un Rimbaud vieillissant. Le Blanc c’est l’ultime voyage, celui qui sans but, ne vous fait que voyager dans le voyage même. 

Le style de Tesson est identique. Et c’est un bienfait. Les phrases sont relativement courtes, s’enchaînent, en de courtes périodes comme des skis se posant l’un derrière l’autre dans la poudreuse. Mais à chaque fois, son dernier ski se casse la gueule volontairement ; sortie de trace. Effet de chute et ironie grinçante du commentateur ahuri par la folie de son entreprise : « A peine les skis rangés, le thé à la violette chauffait sur le réchaud de du Lac. L’alpinisme : alternance quotidienne entre la vie de sportif et la vie de vieille dame. » Tesson se fait aussi chantre moqueur  du minimalisme moderne. Quiconque a déjà réalisé une randonnée sur plusieurs jours sait que le poids que l’on traîne est important et que celui-ci tend à se réduire au fil des jours, et des dépôts dans les refuges que l’on croise. « Mon calepin, ma frontale, mon recueil de poèmes(…) quand la logistique diminue, la vie s’augmente. Le bonheur est dans la purge » (p. 223). La langue de Sylvain Tesson trouve un nouveau rebondissement puisque l’auteur profite même de son journal pour y insérer une nouvelle fictive qu’il a écrite durant l’une de ces soirées de refuge. Dystopique au possible, « Égalité, Égalité, Égalité », s’ajoute aux quelques textes de fictions écrits pour l’homme à la gueule de traviole : la devise française a changé, le culte de l’égalité s’attaque à la géographie et à l’injustice des dénivelés. Quelle solution d’hurluberlu les ministres vont-ils trouver pour que le territoire soit au maximum « égalitaire » ? Le texte est bref, sans concession et plein d’un humour noir dont Tesson est coutumier. Mais cette nouvelle reflète l’ensemble de l’oeuvre de son auteur, et on y décèle plus qu’un humour noir, disons, une peur : celle de la folie du monde dans lequel nous vivons et qui, pour quiconque a vécu un morceau du siècle précédent, paraît tout bonnement effrayant. Heureusement il reste le Noir, le Blanc, et les lignes qu’on en tire. 

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Christophe Berurier

Christophe Berurier est professeur. Il aime les mots et le vélo.

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