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Les éditions L’Artilleur proposent une réédition du Voyage au centre du malaise français (initialement paru en 1993), un maître-ouvrage qui prophétise, vingt ans avant, le marasme français dans lequel nous baignons aujourd’hui.

A mi-chemin entre Cassandre qui annonce la mauvaise nouvelle jusqu’à n’être plus écoutée et Tirésias qui divulgue ses oracles du fond des enfers, Paul Yonnet a été un intellectuel incontournable et pourtant inaudible qui avec deux décennies d’avance a deviné l’abîme dans lequel la France était en train de s’enfoncer. Marcel Gauchet a raison d’indiquer dans la préface : « Les modes se démodent, les ‘potes’ sont passés à autre chose, le vocabulaire a évolué, mais le fond, lui, n’a pas vraiment bougé. L’interdit dont Paul Yonnet a fait les frais, l’un des premiers, s’est consolidé, généralisé, systématisé ». Même le déchaînement inouï à la parution de son livre annonçait les futurs tribunaux médiatiques tenus aujourd’hui par les Sanson des plateaux progressistes.

La différence des « potes »

Paul Yonnet avait donc tout anticipé, à commencer par l’inexorable montée et l’exaltation du sentiment de « différence ». Le modèle français, universaliste et assimilationniste, s’est heurté dans les années 80 à une immigration africaine de masse et a commencé à faire face aux revendications de l’islam. La gauche a vu un moyen de remplacer son électorat ouvrier par de nouveaux électeurs, en les flattant dans leurs revendications différentialistes. François Mitterrand, plus machiavélique, a immédiatement trouvé un moyen d’instrumentaliser SOS Racisme afin de faire gonfler le Front National pour faire la nique au RPR.

L’élastique de l’antiracisme a cassé en avril 2002 avec l’éviction de Lionel Jospin au premier tour, puis s’est définitivement rompu en 2022 avec la reprise des thèses indigénistes par la France Insoumise. Paul Yonnet reprend point par point les étapes de cette lente agonie du « malaise français », de l’orchestration médiatique et politique des « potes » de SOS Racisme afin de désunir la nation pour mieux instaurer un discours victimaire qui justifie l’immigration de masse comme les revendications séparatistes. C’était il y a trente ans. Une éternité. Et nous n’avons rien fait.

La destruction du roman national

Enième clou dans le cercueil de la France éternelle : le nécessaire effacement de la grandeur française des mémoires. Yonnet montre comment le français a été « beaufisé » dans la culture populaire (grâce notamment à Cabu, mais nous pouvons aussi rajouter les Deschiens et autres farces détentrices du label esprit Canal, dont le mépris de classe latent servait avant tout à ringardiser le français populaire).

Pour mieux valoriser l’Autre, il a fallu se déprécier nous-mêmes. L’auteur note ce paradoxe édifiant : « Ainsi la France, seul pays d’Europe continentale à n’être pas devenu fasciste, ni totalitaire, ni dans les années 1930, à la différence de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne, de la Russie, se trouve-t-elle marquée du sceau de l’infamie ». La fameuse repentance, qui inonde désormais jusqu’aux manuels d’histoire des petits français. La culpabilisation du français qui doit oublier son Histoire pour mieux faire place à l’étranger, par essence meilleur et régénérateur (le même discours que l’on retrouve aujourd’hui pour faire accepter la répartition des migrants dans les campagnes). La discréditation du roman national pour mieux installer la fable antiraciste. Tout y était.

La relecture du Voyage au centre du malaise français provoque un vertige encore plus grand que dans les années 90, puisque d’une part tout s’est avéré et que, d’autre part, tout a empiré. La France, que Renan voyait comme un « plébiscite permanent », est désormais un referendum perpétuel pour réclamer plus de différences, plus d’altérité, plus de dissemblances … partant plus de séparation et donc de désagrégation. Tout ce qui a ouvert la porte au wokisme d’aujourd’hui et de demain, porte qui à présent se referme sur nos doigts.

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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