Partagez sur "« Illusions perdues » de Xavier Giannoli : la renaissance de Rubempré"
Sortie sur les écrans en octobre 2021, l’adaptation du chef d’oeuvre de Balzac par Xavier Giannoli est une franche réussite.
Se rendre dans une salle obscure pour regarder la transposition cinématographique d’un livre que l’on admire constitue souvent un dilemme. Si la fidélité à l’oeuvre se doit d’être incontestable, la liberté du réalisateur doit aussi se faire sentir. Et se mesurer à Balzac relève pour le moins de la gageure.
Giannoli a parfaitement compris Illusions perdues. Benjamin Voisin y campe un Rubempré / Chardon à la perfection, Xavier Dolan est très juste, Vincent Lacoste est tout simplement excellent, et Jeanne Balibar est aussi rayonnante que magnétique. Les libertés prises avec le livre (le rôle bien trop important de l’éditeur interprété par Depardieu, la claque orchestrée par Singali) ne nuisent pas aux propos.
Le film aurait pu devenir un pensum insupportable avec son lot de costumes et d’anachronismes moraux. Gianolli opte finalement pour le même degré de cruauté que Balzac à l’égard du « petit milieu » parisien. Edition, théâtre, journalisme : la satire n’épargne aucun univers.
« Lucien de Rubempré est apparu tel qu’en lui-même à l’écran. Juvénile, génial, agaçant, lâche, inconstant »
Les quelques oublis sont en revanche plus gênants : quid de d’Arthez, et du Cénacle ? Quid de la pauvre soeur de Lucien, Eve, qui se saigne pour son frère depuis sa province ? Quid du roman que Lucien compte écrire, illustrant par là même la volonté de « l’écrivain total », propre au XIXe siècle ?
Il n’en demeure pas moins que Lucien de Rubempré apparaît tel qu’en lui-même à l’écran. Juvénile, génial, agaçant, lâche, inconstant. Si, dans le roman, il ne devient tout de même pas Pete Doherty dans ses plus mauvais jours, son ascension et sa lente dégringolade n’en sont pas moins restituées comme il se doit. C’est un film qui s’inspire du livre plus qu’une adaptation.
Magie du cinéma, donc : même à l’écran, cela reste du Balzac jusque dans son exubérance. Et Rubempré incarne jusque dans ses traits le cruel portrait qu’en dresse Balzac : « Il se méprisera lui-même, il se repentira mais la nécessité revenant, il recommencerait car la volonté lui manque, il est sans force contre les amorces de la volupté, contre la satisfaction de ses moindres ambitions ». I