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En ce début d’année 2018,  Les Belles Lettres publient Endurance,  l’incroyable voyage de Shackelton d’Alfred Lansing. La traduction du fameux récit d’aventure, où l’écrivain-journaliste à l’aide d’archives d’époques et de témoignages des membres de l’expédition, a  pu retranscrire une des plus extraordinaires épopées de notre temps.

« Que le Seigneur vous aide à accomplir votre devoir et vous guide à travers les périls de la mer et de la terre ! Puissiez-vous voir les œuvres du Seigneur et toutes ses merveilles profondes »

 

Voici les mots écrits sur la page de garde de la bible de Sir Ernest Shackelton. Cette bible lui fut offerte par la reine mère Alexandra d’Angleterre avant qu’il n’embarque avec son équipage pour l’expédition Endurance en Antarctique au début du XXe siècle. Rétrospectivement, on serait tenté de voir par cet encouragement royal, une sorte d’étrange prémonition pour l’incroyable voyage dont l’explorateur britannique et ses compagnons allaient être les acteurs quelque peu forcés et contraints…

« Roald Amundsen, Ernest Shackelton entendait bien lui réussir une première mondiale: traverser d’un bout à l’autre le dernier continent. »

De toutes les grandes expéditions, celle de Shackelton en Antarctique entre 1914 et 1917 reste sans aucun doute la plus audacieuse. Le siècle naissant, la conquête des pôles, ultime frontière humaine, provoque encore et toujours la soif d’aventures des hommes. Bien que le pôle Sud fût conquis trois ans auparavant par un norvégien, Roald Amundsen, Ernest Shackelton entendait bien lui réussir une première mondiale: traverser d’un bout à l’autre le dernier continent, aidé par un attelage de chiens de traîneaux. Le projet : accoster d’abord l’Antarctique par le Mer de Weddel et quitter ensuite la terre à des milliers de kilomètres plus loin par la Mer de Ross.

Les exploits et les échecs

La tentative échoua. Aux abords du continent, le bateau pris dans la banquise, ne put après des mois de luttes où il voyait ses flancs se faire mordre petit à petit par les glaces, se frayer un chemin en eau libre et regagner sa liberté. Les « floes » fragments d’icebergs dus à l’éclatement de la banquise en innombrables morceaux, encerclèrent le navire et comme un effroyable étau, le brisèrent. Les hommes, privés de leur échappatoire, prisonniers de ce dédale infini de plaques blanches, «de petits morceaux de puzzle d’un jeu gigantesque imaginé par la nature» comme le raconte Shackelton, étaient désormais complètement démobilisés…

« Il faut imaginer tout un équipage, livré à lui-même dans des conditions effroyables pendant des mois et des mois sur des banquises ou des îles inhospitalières. »

Mais si cette aventure marque autant l’Histoire, et ce malgré l’échec, c’est avant tout grâce à la suite ahurissante d’exploits réalisés par les hommes de Shackelton pour survire et donc regagner la civilisation. À la lecture d’Endurance: L’incroyable voyage de Shackelton, on comprend rapidement que l’expédition prend ici des allures d’Odyssée. Il faut imaginer tout un équipage, livré à lui-même dans des conditions effroyables pendant des mois et des mois sur des banquises ou des îles inhospitalières, à lutter contre le froid ou la faim avec toujours en point de mire: se sortir coûte que coûte de cet Antarctique plus hostile que jamais. D’explorateur émérite, Sir Ernest Shackelton se révéla un grand meneur d’hommes. Car il lui en fallut une bonne dose d’abnégation et de volonté pour sans cesse remonter le moral de ses troupes, les affilier fermement à des tâches quotidiennes afin qu’ils ne faillissent pas. Le quart (fraction de temps pendant lequel un homme est à la veille d’un navire) étant toujours de mise sous le commandement du britannique, même si les pieds des marins se retrouvèrent à moitié immergés dans la glace et non plus amarrés sur le pont d’un bateau. Shackelton a su créer une dynamique inébranlable pour éviter la mutinerie, synonyme de mort pour tous en ces contrées du froid extrême.

Le récit d’une époque révolue

Si ces hommes n’ont pu établir un nouveau record, relever la prouesse d’être «les premiers à…», ils ont démontré jour après jour une force mentale sans fléchir malgré à la succession d’obstacles sur leur chemin. Endurance: l’Incroyable Voyage de Shackelton ressuscite l’exploit. Il raconte ce que les spécialistes considèrent comme la dernière expédition importante de l’âge héroïque de l’exploration en Antarctique. Il égrène scrupuleusement les péripéties tel un journal de bord et rend un formidable hommage à la mémoire de ces hommes.

« Les explorateurs d’alors et autres savants téméraires (…) ne rechignaient pas à s’élancer vers les pays mystérieux. »

Mais bien au-delà de cette aventure sous les latitudes australes, le récit d’Alfred Lansing évoque une époque désormais révolue où les progrès de la science naturelle jaillissaient d’expéditions pittoresques sur les franches oubliées d’un planisphère. Les explorateurs d’alors et autres savants téméraires, sous l’égide d’un pavillon, scrutant l’horizon à la longue-vue, chérissant la boussole comme un précieux guide dans le creux de la main, ne rechignaient pas à s’élancer vers les pays mystérieux pour repousser toujours plus loin les inconnues scientifiques et répondre ainsi aux grandes énigmes du monde. 

Rémi Champagne

Rémi Champagne

Né quelque part en Belgique. Culturellement nécessiteux et sournoisement incrédule devant les soubresauts du monde. Avec le rock'n'roll et le foot dans le rétro, toujours.

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