Après avoir surmonté forfaits et polémiques stériles, l’équipe de France de football s’est hissée en finale de « son » Euro. Elle l’a perdue d’un souffle contre un Portugal organisé, patient et capable de digérer la perte précoce de Cristiano Ronaldo, son meilleur élément. Il restera dans les annales la belle épopée d’un groupe à la solidarité exemplaire et au talent fou, et une immense bouffée d’oxygène pour un pays tancé de toutes parts depuis de longs mois.
On aurait tant aimé écrire que la France attendait cela depuis seize ans. Seize interminables années au cours desquelles l’équipe de France est passée tout près de remporter une deuxième Coupe du Monde – une saga intercalée entre un Mondial 2002 épouvantable, un Euro 2004 décevant et un Euro 2008 affligeant – avant le psychodrame Knysna, outrage à la morale, entrainant une désaffection populaire que d’aucuns croyaient insurmontables, puis le début du renouveau sous l’impulsion de Didier Deschamps. Ce meneur d’hommes exceptionnel, puits de science footballistique et personnification du pragmatisme aurait amplement mérité la consécration continentale.
Il ne l’a pas gagné, mais cet Euro est celui de ce bâtisseur hors pair, aussi sûrement qu’il est celui de « CR7 », blessé et contraint d’abandonner ses partenaires, en pleurs, avant de s’improviser sélectionneur adjoint et de prodiguer consignes et encouragements en boitillant.
Cet Euro est aussi, bien sûr, celui d’Antoine Griezmann, meilleur joueur du tournoi, mental et mentalité irréprochables, prophète en son pays et des buts à la pelle. Quelque peu poussif, la faute sans doute à une saison très longue avec l’Atletico Madrid et à la nécessité de digérer la déception d’une défaite en finale de Ligue des Champions face au voisin honni du Real, son début de tournoi a vite été oublié et les inquiétudes de L’Equipe balayées en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.
Les Français ont définitivement adopté ce petit gars au visage poupin et à la maestria platinienne, étourdissant contre l’Allemagne au cours d’une demi-finale à déconseiller aux cardiaques – un doublé comme face à l’Irlande -, rapide comme l’éclair et capable de rendre simple ce qui est infiniment compliqué. Malchanceux en finale, « GR7 » n’en a pas moins changé de statut. Au point de devenir un prétendant très sérieux au podium du prochain Ballon d’Or.
Hugo Lloris, ce héros
Cet Euro est celui de Moussa Sissoko, auteur d’un tournoi solide et meilleur joueur français de la finale. De la puissance, de l’explosivité, une énorme envie pour celui dont la sélection n’avait pas fait l’unanimité, étant donné la triste saison de Newcastle, et des états de service avec les Bleus pas inoubliables. Hier à Saint-Denis, l’ancien parisien était partout. Une de ses frappes, téléguidée et d’une impressionnante fluidité, aurait même pu faire mouche sans l’intervention de Rui Patricio, ultime rempart en état de grâce et qui a littéralement convoqué la baraka.
Cet Euro est celui d’Hugo Lloris, auteur d’arrêts décisifs au détriment de la Mannschaft, encore imbattable avant la crucifixion d’Eder, et qui avait annoncé la couleur dès le match d’ouverture contre la Roumanie. Sûr de sa force, « neuerien » d’un bout à l’autre de la compétition, voire mieux, le portier de Tottenham a sauvé la baraque à plusieurs reprises, palliant à merveille les quelques défaillances de sa défense, réputée maillon faible des Bleus, mais qui, bien qu’amputée de Raphaël Varane, Jérémy Mathieu (blessés) et Mamadou Sakho (suspendu pour dopage), aura largement fait le travail.
Partant, cet Euro est aussi celui de Laurent Koscielny, qui a su mettre sa légendaire nervosité de côté au meilleur moment et s’est mué en patron. Très solide dans les duels, le joueur d’Arsenal a toujours su se jouer de la forte pression qui pesait sur ses épaules. Même constat pour Samuel Umtiti, futur Barcelonais, appelé de dernière minute qui a fait mieux que remplacer Adil Rami à compter des quarts de finale. Celui-là n’a jamais failli non plus, alors même qu’il étrennait la tunique bleue. Un baptême du feu plus que réussi et, assurément, l’avenir de l’arrière-garde tricolore…
Cet Euro est évidemment celui de Dimitri Payet, l’homme fort de la phase de poules, redoutable technicien doué d’une force de frappe rare. Les larmes du Réunionnais au moment de sa sortie dans la foulée de son but libérateur contre la Roumanie resteront l’une des images fortes du tournoi. La preuve irréfutable de l’attachement au maillot, valeur réclamée par tout un pays. Davantage dans le dur à compter des matchs à élimination directe malgré une nouvelle réalisation devant l’Islande, le joueur de West Ham n’en demeure pas moins un pilier qui a su petit à petit gagner la confiance de Didier Deschamps. Il la lui a bien rendue.
Cet Euro est celui de Paul Pogba, talent pur très attendu qui s’est fait violence. Les images de son prétendu bras d’honneur au sortir du match contre l’Albanie auront été une tempête dans un verre d’eau. Elles n’auront pas suffi à démobiliser le « Juventino », qui a retrouvé tout son allant et sa grinta au fil des rencontres et inscrit le deuxième but des siens en quart de finale. Son acolyte du milieu Blaise Matuidi, d’abord émoussé après une saison intense avec le PSG, n’a pour sa part eu de cesse de se démener, ratissant tout ce qu’il pouvait pour tenter de (r)amener les siens dans le sens de la marche et s’imposant comme l’un des meilleurs éléments de cette finale tragique.
Cet Euro est celui de N’Golo Kanté, l’une des révélations de la saison, sacré contre toute attente champion d’Angleterre avec Leicester. Redoutable milieu récupérateur, prince de l’effort, il a coupé un nombre incalculable d’offensives adverses et devrait, sauf catastrophe, devenir l’un des tauliers de l’équipe de France de demain.
Cet Euro est celui d’Olivier Giroud, qui après une longue traversée du désert avec Arsenal s’est réveillé au meilleur moment. Celui qui avait la tâche de faire oublier Karim Benzema s’en est acquitté, « scorant » à trois reprises, dont une ouverture du score contre la Roumanie et deux buts passés à l’Islande, en sus d’une lumineuse déviation de la tête pour la deuxième réalisation d’Antoine Griezmann face à l’Irlande. L’ex-Montpelliérain a en outre pesé sur (presque) toutes les défenses, en bon point de fixation, même s’il est globalement passé à côté de son sujet face à l’Allemagne et a été bien muselé hier soir. Souvent critiqué pour son rendement, Olivier Giroud n’a cependant pas à rougir de la comparaison avec le Madrilène. Doux euphémisme…
La France qu’on aimera toujours
Par-dessus tout, et même si l’histoire se termine mal, cet Euro est celui de la France.
Cet Euro n’est pas celui de Karim Benzema, coupable de déclarations pitoyables dans la presse espagnole. Non-sélectionné en raison de son implication dans la crapoteuse affaire de la sextape, l’ancien Lyonnais s’était tiré une balle dans le pied, tandis que sa déclaration d’amour au maillot bleu intervenait bien trop tard pour convaincre. Il s’est logé une autre balle, probablement dans la tête celle-ci, en accusant le sélectionneur d’avoir « cédé à une partie raciste de la France », emboîtant ainsi le pas à Eric Cantona – qui a persisté et signé – et à Jamel Debbouze – qui a, lui, regretté ses propos. Une accusation grave et infondée, fustigée y compris par SOS Racisme, ce qui n’est pas rien, et insupportable au regard de la confiance qu’a continué d’accorder Didier Deschamps à Karim Benzema lorsque ce dernier ne mettait plus un pied devant l’autre en équipe de France. Dans les années 1990, Les Guignols de l’Info demandaient à Jean-Pierre Papin (« JPP ») de revenir, « parce que la France, elle a besoin de toi ». L’attaquant merengue n’aura très certainement (plus) jamais droit à une telle supplique, parce que la France n’a objectivement pas besoin de lui.
Par-dessus tout, et même si l’histoire se termine mal, cet Euro est celui de la France. D’une France vaillante devant son public. D’une France très malmenée, entre attentats, menace terroriste latente et tensions sociales extrêmement fortes, mais qui a recouvré un peu de sa grandeur. D’une France volontiers critiquée à l’étranger, mais qui garde toujours en elle les ressources morales et l’unité nécessaires pour se sublimer. D’une France giflée, mais qui refuse de tendre l’autre joue et se ressoude dans l’adversité. D’une France qui redevient fière de ce qu’elle est, portée par la vocation fédératrice du football, et qui se reconnaît dans cette équipe qui lui ressemble. Cet Euro est celui de cette France qu’on aime railler, mais qui a l’orgueil des grands pays. Il est celui de cette France courage qu’on aime encore. De cette France magnifique qu’on aimera toujours.
Cet Euro est celui de cette France qu’on aime tant railler, mais qui a l’orgueil des grands pays. De cette France si imparfaite, avec ses immenses défauts et ses terribles travers, mais animée par le refus de perdre et de se perdre.
Cet Euro aura beau s’être soldé par un crève-cœur, il est celui de cette France courage qu’on aime encore. De cette France magnifique qu’on aimera toujours.