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Le livre  sur les vitraux de Marc Chagall à la cathédrale de Metz, A la recherche d’une autre réalité,vient au moment opportun pour  compléter l’exposition en cours  au Centre Pompidou sur Chagall, le passeur de lumière ( exposition jusqu’au 30 août 2021).

En effet, alors que le Centre Pompidou de Metz présente une vision globale de l’oeuvre vitrailliste du peintre  Chagall  dans différents lieux , mon livre  se focalise   quant à lui essentiellement  sur son travail réalisé à la cathédrale de Metz. 

Dans mon ouvrage,  toutes les pièces de verre peintes par le maître sont ainsi  décryptées et analysées. Il s’ensuit également une critique d’ensemble sur l’oeuvre réalisée par ce grand peintre.

Pour sa part comme il a été déjà indiqué,  l’exposition au Centre Pompidou explore surtout toute  l’œuvre de l’artiste pour ce qui concerne  l’importance de la lumière et du vitrail.  Elle appuie notamment  son analyse   à partir des maquettes des vitraux réalisés pour de nombreux édifices, dans la région Grand Est (Metz, Reims, Sarrebourg), l’Allemagne voisine (Mayence) et à l’international (Israël, États-Unis, Angleterre, Suisse).

Ensuite pour élargir  son propos, le Centre met pour la première fois en correspondance les mêmes maquettes avec un important ensemble de peintures, sculptures, céramiques et dessins issus des collections du Centre Pompidou, du Musée national Marc Chagall de Nice, de musées internationaux et de collections particulières. 

Enfin toujours selon ce même musée d’art contemporain, le vitrail permet à Chagall  d’accéder à l’invisible  car  c’est « une chose mystique qui passe par la fenêtre ». D’où l’intitulé de l’exposition: « Chagall, le passeur de lumière »

Pour ce qui me concerne,  si mon livre démontre aussi cette même  attractivité de l’artiste pour cette autre réalité, il révèle aussi des particularités propres au travail du maître dans cette cathédrale de Metz.

Ces traits  singuliers de l’oeuvre chagallienne à Metz  n’ont été  en réalité que très peu évoqués dans  l’exposition  proposée par le Centre Pompidou.

On dénombre au moins 6 caractéristiques propres à l’oeuvre réalisée par Chagall à Metz mais ce nombre n’est pas limitatif:

  1. Utilisation d’une à deux couleurs fondamentales:

D’une manière générale, les trois baies réalisés par Chagall à Metz ( le vitrail de la Création et  les deux baies du déambulatoire intérieur) étonnent par la violence des couleurs utilisées.

Le Vitrail de la Création

Il s’agit du jaune solaire, couleur primordiale du grand vitrail de la Création du transept nord et du bleu sombre associé à un rouge agressif pour les deux baies du déambulatoire intérieur.

Chagall accentue volontairement l’expressivité de ces différences  représentations grâce à la couleur, en privilégiant une seule teinte ou deux au maximum, celles-ci ayant vocation de s’imposer à toutes les autres.

Ce choix d’une ou deux couleurs fondamentales remonte à ses tout premiers débuts  dans la peinture , lors de ses premières années passées à Saint-Pétersbourg en 1906-1907. Son maître de l’époque lui conseille  alors de limiter  le nombre de couleurs  pour mieux les dominer.

Enfin pour les deux baies retirées du déambulatoire intérieur, le bleu sombre associé au rouge agressif lui permet également d’égayer cette partie sombre de la cathédrale. 

Chagall, jeune homme,  avait  pris l’habitude  dans sa chambre peu éclairée à Saint-Pétersbourg de peindre également avec des couleurs vives pour compenser le manque de lumière. D’où son attrait déjà à cette époque pour la technique du clair obscur propre à Rembrandt et au Caravage.

II) Le symbolisme des partitions et des polarités:

Les couleurs dominantes des vitraux citées précédemment  approfondissent également un symbolisme d’une grande importance. 

A la force envahissante  de la quasi-monochromie du jaune du vitrail de la Création correspondent des représentations solaires alors que le bleu nuit avec le rouge feu du déambulatoire intérieur sont davantage associés, à des images nocturnes, crépusculaires, telluriques  et lunaires.  (opposition soleil/lune)

Deux mondes qui apparaissent à la fois opposés et complémentaires comme le Yin et le Yang.

Opposés comme le sont d’une part le monde paradisiaque du premier vitrail et d’autre part l’histoire humaine de l’après-chute qui est narrée dans les deux baies du déambulatoire.

Complémentaires, aussi comme le sont Adam et Eve, tout en sachant par ailleurs que cette polarité homme-femme reste toujours liée à l’événement de la chute.

Enfin la représentation de l’ange chez Chagall est particulière et notamment dans ses vitraux à Metz. Il apparaît toujours avec une tête biface comme le dieu Janus. L’ange représente cet être androgyne ( à la fois mâle et femme) qui existait au début de la création.

Cette utilisation de l’être biface est une caractéristique tout à fait  remarquable de l’oeuvre chagallienne à Metz, elle confirme la connaissance par l’artiste  de la Kabbale, par la référence de l’être androgyne appelé  « Adam Kadmon ».

III) Tout est subordonné au mouvement et au dynamisme:

Chaque vitrail semble être traversé par un dynamisme étonnant. Ce dynamisme va croissant  de la gauche à la droite et la lecture de chaque représentation va dans ce sens, vers toujours plus de dynamisme.

Le premier vitrail (le vitrail de la Création) débute par la scène de la création de l’homme jusqu’à l’expulsion du  paradis d’Adam et d’Eve.

Parallèlement, on assiste aussi dans les deux autres baies         du  déambulatoire à un long continuum historique qui va crescendo du sacrifice d’Isaac  jusqu’à la déportation des Juifs à Babylone (l’Exil).

L’artiste termine toujours son récit par une sortie fracassante.

La source profonde de ce dynamisme doit être recherchée dans le hassidisme, mouvement religieux  qui a fortement marqué Chagall.

IV) La judaïsation du Christ:

Chagall insère souvent dans son oeuvre l’image du Christ et d’une manière générale des motifs chrétiens.

Il avait une tendresse particulière pour l’homme Jésus mais en le représentant souvent dans cette cathédrale,  il ne s’agissait nullement de sa part d’une quelconque conversion au christianisme. Il voyait le Christ sur la croix comme la représentation du Juif persécuté et nullement comme le rédempteur du monde.

Le Christ qu’il nous montre apparaît  sur une croix dans un soleil  tournoyant. Ses reins sont ceints du châle que portent traditionnellement les juifs dans la synagogue. Il porte sur son front un phylactère, une petite boîte cubique  enfermant  des bandes  de parchemin  sur lesquelles sont inscrits des versets de la Torah.

A  Reims, l’archevêque avait bien compris sa démarche de judaïsation à Metz  et a demandé au peintre de restituer un Christ vraiment rédempteur pour sa cathédrale.

V) Le luftmensch

Plus qu’ailleurs, on voit constamment dans ses vitraux des personnages en lévitation. Ainsi notamment le personnage de Moïse  qui apparaît comme un être volant lorsqu’il gravite le mont Sinaï pour recevoir des mains de Dieu, les Tables de la Loi.

A d’autres occasions ce seront des anges avec Jacob, bref c’est l’illustration de son Luftmensch qui est un terme yiddish  qui veut dire littéralement  l’homme (Mensch) de l’air (Luft).

Ces différentes  mises en scène se veulent en réalité métaphysiques. 

Il n’y a pas d’ordre assigné pour chacun d’entre nous d’être là, à être ce que l’on est, à faire ce que l’on fait. Seule règne la contingence et rien ne justifie la stabilité . C’est une invitation  à réaliser  ce que nous sommes et à flotter à sa suite dans les airs !

VI) La couleur comme un moyen de construction:

Chagall se révèle être aussi  un grand coloriste, certainement le plus grand au même niveau que Matisse.

Il a recours à la peinture et à la couleur comme moyen primordial de construction.

A ce titre la peinture crée la forme et devient sujet de son oeuvre.

Ainsi par exemple dans le vitrail de la Création, la couleur crée des territoires particuliers:

  • première lancette: un triangle  d’un rouge profond est censé représenter le limon d’où est tiré l’homme par l’action, de l’ange;
  • dans le bas de la première lancette et milieu de la deuxième: des espaces verdoyants où évoluent des animaux, des volatiles et ensuite des équidés;
  • troisième lancette: un foyer de bleus d’où émerge le serpent;
  • quatrième lancette: un triangle de bleus plus profonds;

Dans chaque lancette de ce vitrail, la couleur ruisselle et se déploie, se fait homme ou ange, animaux et monde extérieur.

Par la construction des couleurs et des images, Chagall promeut une unité à travers la chimie de la matière colorée et la construction psychique du tableau.

Conclusion:  

Pour conclure, Chagall rejoint le spirituel par sa façon poétique de peindre.

Il est effectivement  le passeur de lumière comme le suggère l’exposition au Centre Pompidou.

Par chacune de ses représentations en effet,  Chagall permet d’accéder à une vision ouverte à la rencontre de l’invisible.

L’art infiniment poétique et spirituel de Chagall « n’enferme pas Dieu dans une représentation trompeuse, il rapproche, il suggère, il éveille la contemplation personnelle, il ne taille pas d’images de Dieu » (Père Couturier)

Chagall est quête de l’inaccessible et nous incite par conséquent à voler toujours plus loin et toujours plus haut à l’image de son Luftmensch.

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N.B. : Le livre est aussi en vente sur le site de l’éditeur http://www.editions-des-paraiges.eu/magasin/page1.html

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Christian Schmitt

Critique d'art. Auteur de "l'univers de J.L. Trévisse, artiste peintre" (ed. Lelivredart 2008) et de trois autres ouvrages sur les vitraux réalisés par des artistes contemporains aux ed. des Paraiges: Jean Cocteau (2012), Jacques Villon (2014) et Roger Bissière (2016). A retrouver sur : http://www.espacetrevisse.com

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