share on:

Après les attentats survenus à Paris le 13 novembre dernier, le roman d’Ernest Hemingway Paris est une fête est revenu à l’honneur.

Le titre original, A Moveable Feast, devenu Paris est une fête, symbolise ce que la ville de Paris incarnait pour Hemingway comme pour le monde entier dans les années 20 : un phare tant intellectuel que politique, artistique et scientifique. Et il faut dire qu’une capitale abritant Picasso, Aragon, Cocteau, Chagall ou Picabia, est un cas unique dans l’histoire de l’humanité.

Les Années folles, l’insouciance au sortir de la Grande Guerre, le surréalisme, Flossie Mills et Joséphine Baker … C’est toute cette atmosphère que le narrateur d’Hemingway retranscrit dans ce récit autobiographique où l’on croise aussi Gertrude Stein et Francis Scott Fitzgerald.

C’est le Paris dont nous rêvons encore, la ville des Arts, lorsque la culture vivait encore et avait un sens. Georges Pompidou n’avait pas encore enlaidi les Halles, François Mitterrand n’avait pas encore défiguré le Louvre. De cafés fumants en guinguettes, Paris vivait au rythme du music-hall et des bals populaires, et un jeune plumitif désargenté comme ce narrateur pouvait vivre son rêve éveillé au cœur de cette ville-univers.

Paris et le divertissement immobile

Sartre et Beauvoir n’écrivent plus au Flore auprès du poêle. Ce café n’est plus qu’un simple encart sur Le Guide du routard pour appâter le touriste chinois qui a envie de dépenser vingt euros pour une part de tarte aux pommes surgelée. Pour Hemingway, Paris est une jeune et belle femme légère, mouvante, gracieuse : elle est à présent une vieille rombière mal fardée et dénaturée tant par la folie de l’art dit moderne que par ces innombrables chaînes de magasins qui chassent les derniers libraires. Zara a délogé Tristan Tzara.

Sartre et Beauvoir n’écrivent plus au Flore auprès du poêle. Ce café n’est plus qu’un simple encart sur Le Guide du routard pour appâter le touriste chinois qui dépense vingt euros pour une part de tarte aux pommes surgelée.

La muséification, c‘est le drame parisien contemporain. Et donc la gangrène marchande. « Moveable Feast » titrait Hemingway, parce que cette ville était heureuse et « mobile », au sens que la pensée était en mouvement, que les gens savaient où ils allaient et ne ployaient pas encore sous le joug d’un matérialisme mortifère dont le désir suprême n’est au fond que la suppression de soi. 

Plus rien de moveable dans notre capitale en 2015. L’expression « ville qui bouge » ne révèle paradoxalement rien d’autre que son inexorable paralysie et chaque appel au rassemblement festif n’est rien d’autre qu’un Téléthon urbain pour tenter de ranimer ce Paris qui n’est plus Paname. C’est une journée du patrimoine ambiante, aux loyers établis pour chasser le prolo et attirer le milliardaire russe. Un immense terrain vélibéral pour faire du footing ou des courses de rollers avec des gilets fluos, pour une génération amorphe qui s’est jusqu’alors sentie hors de l’Histoire avant que le réel ne lui explose à la tronche.

La fête, rien que la fête, juste la fête

Le slogan #JeSuisEnTerrasse illustrait à merveille cette anorexie intellectuelle qui tient le festif comme seule et unique réponse au terrorisme.

Avant que le génie médiatique ne fasse des banquises la première des priorités, les attentats faisaient la une des journaux. Quelques journalistes ont même parlé des dangers liés au salafisme des « territoires perdus de la République », avant que le grand cirque télégénique essaie de faire croire qu’une réunion de dirigeants infoutus de diriger leur propre pays puisse sauver la planète.

Après la transhumance mignonnette des Charlie en janvier, rebelote au mois de novembre. Ils hurlent qu’ils n’ont pas peur, se maquillent et font des danses devant le Bataclan, mais peuvent se piétiner lorsqu’ils entendent un farceur lancer un pétard. Ils veulent fraterniser avec le monde entier, alors qu’une partie de ce dernier a d’ores et déjà choisi son ennemi. Ils adorent le multiculturalisme, sans penser une seule seconde qu’une société multiculturelle pourrait s’avérer multiconflictuelle.

Le slogan #JeSuisEnTerrasse illustrait à merveille cette anorexie intellectuelle qui tient le festif comme seule et unique réponse au terrorisme. Cette génération biberonnée au Red Bull, qui aime la musique électronique et n’a que la télévision comme référent intellectuel se croit désormais héroïque car elle n’hésite pas à braver sa peur pour boire une bière dehors. Tremble, État islamique ! Ces jeunes guerriers prêts à tout iraient même jusqu’à organiser un festival techno pour mieux honnir ton nom. Ils considéreraient même François Hollande comme un chef de guerre crédible.

Celles et ceux qui, sans l’once d’une culture historique et d’une définition exacte du fascisme, traitaient de facho quiconque osait se revendiquer du bleu-blanc-rouge, obéissent docilement à leur président qui a appelé à pavoiser. Le gouvernement a même édité un fascicule pour faire des « selfies patriotiques ». La modernité n’en a donc pas fini d’infantiliser et de trouver des trésors de bêtises pour masquer ses failles.

La légèreté, le beau, le goût ont laissé leur place à la pesanteur, la laideur sclérosée et le vide. La « Moveable Feast » est devenue la célébration perpétuelle de l’immobilisme paresseux, bruyant, émotif et tapageur.

Paris était une fête chez Hemingway. Paris n’est plus qu’une fête en 2015.

Julien de Rubempré

mm

Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

Laisser un message