Les Mouettes, roman de l’auteur hongrois Sándor Márai paru un an après son chef d’oeuvre Les Braises, est publié en ce mois de novembre par Albin Michel (avec une traduction de Catherine Fay). L’avis de Julien de Rubempré.
Sándor Márai n’est pas qu’un romancier, il est avant tout dramaturge ; et avec Les Mouettes, Márai signe une oeuvre dont lui seul a le secret, déployant tour à tour ses talents de tragédien autant que ses dons de styliste.
Pourtant, en racontant l’improbable rencontre entre un homme et une femme qui s’avère la copie conforme de son ancienne passion, Márai avait tout pour écrire du Marc Lévy des Carpates. Mais le talent fait la différence. En mêlant, selon la formule consacrée, « la grande Histoire et la petite », il dissèque autant les âmes que les soubresauts de son époque, dans un style qui le caractérise : l’émotion retenue.
Sándor Márai et le lyrisme silencieux
En bon aristotélicien, Márai respecte les codes de l’antique tragédie : unité de temps, de lieu, d’action et divise son œuvre en trois parties. Trois actes poétiques centrés sur la figure de la mouette, symbole de la grâce et de l’éternel retour ; rythmés par les dialogues des deux amants dont les silences, dirait Merleau-Ponty, « sont bruissants ».
Ce roman n’est rien d’autre que la démonstration du talent. Sándor Márai est un grand écrivain car il déroute, questionne, inquiète au sens gidien. Nulle profusion émotionnelle dans son oeuvre, mais du secret, des non-dits et des regards fuyants.
Le lyrisme de Sándor Márai est celui de Reverdy ou de Jaccottet. C’est un lyrisme non pas fondé sur l’élévation mais sur l’impossibilité d’exprimer la douleur ; un anti-lyrisme à la recherche constante d’une expression singulière, qui trouve son point d’orgue page 105 : « Je ne revêtirai plus l’accoutrement de l’Amour ni le masque su Séducteur : je veux me cacher le visage entre les mains et je veux me taire, parce que je suis un homme ».
En cherchant à se taire, Sándor Márai n’en finit plus de nous émouvoir et nous prouve que la littérature n’est finalement qu’un profond silence qui en dit long.