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Publié chez Albin Michel, Sur cette terre comme au ciel de Davide Enia est un beau roman sur l’enfance, la boxe et l’amour. 

Les yeux d’un lecteur ne sont jamais neutres. Ses attentes non plus. Surtout lorsqu’il ouvre un roman italien. Nous n’abordons pas un livre américain de la même manière qu’un ouvrage anglais ou espagnol, de même qu’un étranger a ses propres espérances esthétiques en ouvrant une oeuvre française (sauf celle de Christine Angot). De ce point de vue, Sur cette terre comme au ciel les dépasse allègrement. 

« Je savais qu’on perd ce que l’on possède. On perd le petit fil, la patience, la phalange d’un doigt, son temps, ses après-midi dans les embouteillages, les pièces pour téléphoner, son taille-crayon, les boutons de chemise, les mots sur le bout de la langue ».

C’est l’histoire d’un narrateur qui retrace son enfance et la vie de sa famille depuis la guerre jusqu’aux années 80. Boxeur comme son père qu’il n’a pas connu, comme son grand-père et son ogre de monstre, Davidù apprend le latin avec sa grand-mère, traîne avec ses amis débraillés dans Palerme, se baigne dans la mer tiède avec la gracieuse Nina. La mafia n’est jamais loin. Tout comme les coups de poing qui pleuvent, sur les rings et dans les cafés. 

Les phrases sont soyeuses et colorées. Les réflexions sur le temps qui file et distribue son lot d’uppercuts sonnent juste : « Je savais qu’on perd ce que l’on possède. On perd le petit fil, la patience, la phalange d’un doigt, son temps, ses après-midi dans les embouteillages, les pièces pour téléphoner, son taille-crayon, les boutons de chemise, les mots sur le bout de la langue » (p. 65). 

Le purgatoire de Palerme

« Les chemins de l’Enfer sont pavés d’éclats de verre. On y marche pieds nus ».

Ce narrateur est aussi touchant que le Bandini de John Fante. L’atmosphère est aussi brûlante que dans Gomorra. La couverture sent bon comme la pasta ch’i tenerumi du grand-père Rosario qui mijote sur un coin du vieux poêle. La petite Nina dont le narrateur tombe fou amoureux donne envie de monter sur un ring pour impressionner ses petits yeux mutins. 

Palerme constitue non pas un enfer dans ce roman, tout au plus un purgatoire : « Les chemins de l’Enfer sont pavés d’éclats de verre. On y marche pieds nus » (p. 341). Il y a une lumière au bout du chemin, qui resplendit sur les corps d’enfants insouciants qui se baignent dans l’eau turquoise ainsi que sur les gants de Davidù qui terrassent ses adversaires un à un. 

Davide Enia montre qu’il est possible de reconstituer une atmosphère sans verser dans la liste de clichés. Ancien pugiliste lui-même, il sait combien tomber au tapis est une épreuve humiliante et qu’il faut pourtant se relever. La Sicile, véritable héroïne de cette oeuvre, s’y dévoile toujours plus fascinante et envoûtante. Un roman à lire et à relire, minchia

 

 

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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