Partagez sur "« A la place du mort » : le roman choc de cette rentrée littéraire"
Les éditions des Equateurs publient A la place du mort, un premier roman époustouflant signé Paul Baldenberger.
Dans Le Plaisir du texte, Roland Barthes distingue deux délectations possibles : le « texte de plaisir », classique, qui conforte le lecteur dans ce qu’il aime et le « texte de jouissance » qui le surprend, le choque, le bouscule dans ses habitudes. Incontestablement, A la place du mort est à classer dans la deuxième catégorie. Ce n’est pas « une claque » selon l’expression consacrée. C’est un uppercut, qui déboîte la mâchoire et laisse sur le carreau quelques instants.
Ce narrateur qui se souvient du viol dont il a été victime lorsqu’il a été enfant aurait a priori de quoi effrayer, voire repousser, mais l’auteur ne tombe pas dans les écueils propices à ce genre de confession : ni voyeurisme, ni pathos. En nous replongeant dans la France des années 80 et grâce à une écriture ciselée, fluide et dépouillée de fioritures, Baldenberger évoque cette tragédie avec une certaine distance, et parfois avec quelques traits d’humour.
A la recherche du mal perdu
Presque pudique, l’homme ne se dévoile pas et laisse la place à son « moi profond » d’écrivain pour mettre en musique ce drame parsemé de réminiscences amoureuses, mondaines ou géographiques.
La biographie de l’auteur au dos du livre suffit à s’en faire une idée : « Paul Baldenberger vit et travaille à Paris ». Nous n’en saurons pas davantage. Presque pudique, l’homme ne se dévoile pas et laisse la place à son « moi profond » d’écrivain pour mettre en musique ce drame parsemé de réminiscences amoureuses, mondaines ou géographiques.
Les citations de Proust égrainées chapitre après chapitre rendent évidente la filiation avec l’auteur de la Recherche du temps perdu. A partir de la narration de ce crime, surgissent d’autres souvenirs plus ou moins heureux qui décrivent la construction d’un homme qui doit vivre avec. Nous lisons d’ailleurs page 139 : « A l’écrit ce n’est pas pareil, le souvenir perd sa peau, fait sa mue et se transforme. C’est comme les décalcomanies de mon enfance, on rature rageusement le petit avion ou l’autobus et, hop ! cela se colle sur la page à rayures du cahier d’écolier Le Gaulois que l’on a emporté en vacances (…). C’est peut-être précisément ce que je suis en train de faire. La décalcomanie d’un viol ».
L’écriture rend présent et sensible le passé, sauf que cette madeleine est terrifiante et qu’elle est imbibée d’un thé maléfique. Chez Proust, la dégustation du fameux gâteau s’accompagne de cette déclaration : « J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel ». Pour Paul Baldenberger, les mots lui permettent d’être parmi ceux qui sont « Un peu plus vivants que morts ». Comme un lien entre le bonheur de Combray et le tragique de cette banlieue parisienne. Comme un écho à l’universelle recherche de soi. Et du temps perdu.