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Après l’  « éthnicisation » – excusez ce néologisme – ou américanisation  d’une partie  de l’humour français, commencée avec le Jamel Comedy Club au début des années 2000, nous assistons depuis quelques années à sa politisation accrue. On a pensé que la moquerie constante d’un président à la dérive a pu être une alternative heureuse de divertissement. Cependant, elle se produit souvent au détriment du rire. On remarque une chose, plus la politisation s’accentue, moins l’humour est présent.

Si cette tendance est sans doute minoritaire dans l’ensemble de cet univers, médiatiquement, entre les revues de presse, les chroniques, spectacles, émissions et reportages d’« infotainment » (info et entertainment), nous assistons à un véritable raz-de-marée.

L’humour est basé sur une exagération telle qu’elle provoque le rire. S’il n’y a plus exagération, hyperbole ridicule, exubérance, situation absurde, nous sommes dans la moquerie. Nous rions aux dépends d’autrui.

De l’humour sur scène

Dans une comédie, une pièce de théâtre, un sketch, on rit de l’énormité de la proposition, de sa disproportion. Or, si la « vanne » ou la situation est trop ancrée dans la réalité, si elle vise de manière trop particulière l’individu, cela se transforme en peloton d’exécution, sous l’œil du public.

Commençons ici par préciser qu’il est presque impossible de donner une définition qui satisferait tout le monde. Il peut être juif, noir, pince-sans-rire. Le Larousse nous dit qu’il est une forme d’esprit « s’attachant à souligner le caractère comique, ridicule, absurde ou insolite de certains aspects de la réalité ». Il permet à l’Homme de prendre du recul sur ce qu’il vit. C’est l’élément le plus important, il s’agit de le souligner pour avancer dans la réflexion. La distanciation est l’antithèse de la moquerie, qui elle reste dans l’immédiat.

Dans une comédie, une pièce de théâtre, un sketch, on rit de l’énormité de la proposition, de sa disproportion. Or, si la « vanne » ou la situation est trop ancrée dans la réalité, si elle vise de manière trop particulière l’individu, cela se transforme en peloton d’exécution, sous l’œil du public. Un humoriste pour être efficace, au sens humoristique du terme, doit être capable d’observer son monde, ses mouvements, ses soubresauts et en tirer une matière inédite. Il ne le commente pas, il le magnifie, en extraie l’étrangeté drolatique.

C’est l’humour d’observation, popularisé par Jerry Seinfeld. Assistant à une scène de la vie quotidienne, il l’analyse – en prenant du recul – pour y faire apparaître son caractère atypique, son absurdité.

Le métier d’humoriste procède de l’égo, ou plutôt l’égo précède le métier d’humoriste. C’est normal, il en faut pour se produire sur scène, seul, face à de parfaits inconnus. On se dit en soi-même « je suis drôle, je suis capable de faire marrer les gens ». C’est tout de même quelque chose de très immodeste.  La plupart du temps, on voit dans les parcours d’humoristes à succès une propension à contrebalancer cela par une capacité à voir la banalité tragique du monde.

L’humoriste ne se produit pas pour donner des leçons au public ou leur dire comment penser ou voir la vie (c’est le métier d’un politique). Il les fait rire, en tout cas c’est sa mission première, en essayant de ne pas tomber dans la vulgarité.

De la scène à la politique : le voyage sans retour

A cet instant, le comique se transforme en commentateur. Il n’est plus libre de rire de l’absurdité de la situation puisqu’il a fait sien le discours du mécène.

Il peut faire réfléchir les gens occasionnellement. En revanche, lorsqu’on lui commande une pièce, il y a mécénat, donc mécène. Aujourd’hui, les mécènes sont les émissions de télévision. C’est-à-dire que la « pièce » (ici le sketch) est influencée par celui qui la commande. On observe cela dans ces émissions où l’actualité (et non plus le monde) sert de carburant à l’humoriste et le mécène – l’émission – le rémunère pour la mettre en scène. Il n’est alors plus capable de s’exprimer librement, de manière absolue. Il doit se conformer. Cependant, la majeure partie du temps, il est conformé a priori. Il a intégré le ferment intellectuel et idéologique de la production télévisée ou radiodiffusée.

A cet instant, le comique se transforme en commentateur. Il n’est plus libre de rire de l’absurdité de la situation puisqu’il a fait sien le discours du mécène. Si l’on poursuit cette comparaison, dans la situation de départ, c’est le public qui joue le rôle de mécène. Or, lorsqu’il est happé par le médiatique, la télévision, la radio, c’est elles qui deviennent le payeur, donc le référent essentiel de son travail. La liberté d’expression n’existe guère dans ces entités. Enfin, on constate une absence totale de recul sur son environnement, le « chroniqueur », le comique de service reste irrémédiablement la tête dans le guidon, incapable de s’élever pour avoir un regard neuf sur le monde qui l’entoure.

Ensuite le spectacle issu de ces babilles télévisées sera emprisonné dans l’actualité, donc sera politique. Le joyeux drille étrillera ses cibles sans pouvoir, souvent inoffensives. Il sera vu comme transgressif par L’Express, Télérama ou le Nouvel Obs. Plus on s’attaque à une cible, moins elle est dangereuse. Dans un entre-soi bien ordonné, la subversion factice est souvent jouée en 3 actes. Après une série de scènes parisiennes, le comique sera repéré par un individu influent dans le monde des médias :

  1. Débuts modestes à la télévision ou la radio puis moqueries sur des affaires en cours du politique ou du puissant, qui mettra l’inconscient sous les projecteurs. Ses collègues l’inviteront dans leurs émissions, dans une joyeuse consanguinité. Du coup on ne sait plus qui est qui, l’interviewé devient l’intervieweur. Le spectacle à succès vient ensuite , il est à son firmament.
  2. Licenciement ou mise à l’écart du préposé ménestrel pour avoir « défié les puissants ».
  3. Épanchement du susnommé dans les médias pour justement geindre sur sa mise à l’écart, second spectacle, puis retour sur une autre antenne.

Par magie et selon le mot de Kundera : le bouffon devient ainsi le roi, drapé de son martyr, dans un tourbillon d’autosatisfaction. Ici le martyr se caractérise par la célébrité et l’argent, notamment chez le sieur Guillon. Le problème avec ses gesticulations, c’est que ça vieillit très mal. En revanche la comédie la plus pure, définie plus haut, ne se démode jamais. Je pourrais multiplier les exemples mais cela serait faire insulte nos lecteurs.

On en vient finalement à utiliser la scène pour dénigrer tout ce qu’on n’apprécie pas. Le politique est considéré comme un refuge subversif. Une grande partie de l’humour français s’y est rendu, peut-être par facilité et cela ne fait plus réagir personne mise à part quelques twittos simplets et soumis à l’énervement. On n’assiste plus à un spectacle comique, mais une tribune.

Je suis drôle car « j’ai raison, les autres ont tort »

De toute façon, et comme dans la presse en général, on ne va voir que ce qui nous contente et qui nous permet de rester dans notre cocon idéologique. Nous ne nous risquons guère à aller sur des terres vues comme inhospitalières.

C’est là que le bât blesse, car si par mégarde nous n’avons pas apprécié la prestation d’un comédien, ce ne sera pas sur des critères de l’humour, du caractère drôle du spectacle mais sur son bord politique.  De « gauche », on dira « oh il n’est pas drôle, et en plus il est de droite », alors que c’est la seconde partie de la phrase qui conditionnera la première. Inversement, si l’on est « de droite » quand on dit qu’on ne trouve pas ça drôle, on vous répondra que c’est parce-que vous êtes un fasciste.  On s’excusera de ne pas avoir ri.

De toute façon, et comme on le constate dans la lecture de la presse, on ne va voir que ce qui nous contente et qui nous permet de rester dans notre cocon idéologique. Nous ne nous risquons guère à aller sur des terres vues comme inhospitalières.

Les gens de droite iront sans doute en priorité voir Gaspard Proust. Les islamistes antisémites de banlieue (le public tel qu’il est dépeint par notre presse) iront  en priorité voir Dieudonné. Les gens de gauche, les minorités de banlieue et des quartiers parisiens dit « populo » iront s’encanailler avec d’anciens membres du Jamel Comedy Club qui auront réussi sur ses relais médiatiques qu’offre ce tremplin. France Inter, Canal+ ou le service public seront en effet des points de chute privilégiés pour pour une partie d’entre eux. Comme dans la politique, chacun milite pour son parti en fonction de ses origines et de ses aspirations. Du rire communautaire, on passera aisément à la satire politique militante. Ainsi les Charline, les Ferrari, adoubé par Laurent Ruquier (preuve que les chiens ne font pas des chats), Guillon et, plus récemment, Barré sont considérés par beaucoup comme les fers de lance de cette nouvelle tendance. Fary semble être le dernier à entrer dans cette farandole de contentement.

Mais nous ne rions plus, nous sommes condamnés à sourire.

Il est donc plus rémunérateur de se réfugier dans la politisation. Cela pose la question de ce qui vend, de ce qui assure un succès auprès du « parti des médias », cher à Brice Couturier. L’humour s’est substitué au politique. Et nous ne rions plus, condamnés à sourire.

Paradoxalement, les Hommes, les programmes, les déclarations constituant la politique française dans son ensemble s’approchent du néant, du zéro absolu. On a pu le constater avec « L’émission politique » qui finalement allait à rebours de son titre. Nos troubadours essaient donc de nous faire rire essentiellement avec du rien. C’est peut-être aussi pour ça qu’on ne goûte plus vraiment les innombrables chroniques, sketches et autres bons mots à ce sujet. Pour finir, ce n’est pas la seule offre humoristique qui a le droit de cité, mais elle est de plus en plus présente.  Le problème, dans cet  « état de catastrophe naturelle » intellectuel, c’est qu’on pense que c’est de la comédie alors que ça n’a plus grand-chose à y voir. Il faut je crois toujours essayer de rire avec (prise de distance) et ne pas rire de (moquerie).

C’est une clé de sens pour retrouver son chemin dans ce dédale de vanités.

 

 

 

 

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Rémi Loriov

Rémi Loriov est un homme libre qui s'intéresse à tout. On dit souvent à son propos : "personne ne sait ce qu'il fait, mais il le fait très bien." Il aime les histoires.

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