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C’est l’une des affaires les plus sordides, les plus mémorables et les plus retentissantes de la chronique judiciaire française. Les circonstances du drame, un criminel dépassé par les événements, la sentence de la guillotine, prononcée dans une atmosphère de corrida : tout ici revêt un caractère tragique et de nature à marquer les esprits au fer rouge.  En juin 1974, dans une cité de Marseille, un jeune homme qui prétend avoir perdu son chien noir trouve un subterfuge pour tenir à distance le frère cadet de Maria-Dolores Rambla, huit ans, et enlever cette dernière. Son corps lardé de coups de couteau et le visage tuméfié est retrouvé le surlendemain, à une vingtaine de kilomètres au nord de la cité phocéenne.

Immigré espagnol, l’ouvrier boulanger Pierre Rambla se rend sur place et reconnaît formellement le cadavre de sa petite fille. L’homme s’écroule, la douleur lui a littéralement coupé les jambes. L’émotion est immense, de dimension nationale et à la mesure de l’horreur.
Christian Ranucci, représentant de commerce âgé d’à peine vingt ans et domicilié à Nice, confondu par plusieurs témoins à la suite d’un accident de la route à proximité immédiate de la découverte du corps, ne tarde pas à avouer. Il donne d’abord force détails sur les circonstances de ce fait divers tragique et admet notamment être le propriétaire du couteau qui a servi au meurtre. Quelques semaines plus tard, ses déclarations commencent toutefois à varier.

La peur de l’échafaud ? Toujours est-il qu’à l’approche de son procès, qui se tient en mars 1976, Christian Ranucci va plus loin : il se rétracte, parle d’aveux extorqués sous la torture et adopte une attitude consternante lors de son procès, entre agressivité et désinvolture. Comme s’il n’avait pas conscience de la gravité des actes dont il était accusé… et qu’il avait donc préalablement reconnus !

Ce manque flagrant d’empathie et un contexte volcanique – le petit Philippe Bertrand a été assassiné par Patrick Henry, qui a laissé bien plus de traces dans les mémoires que sa malheureuse victime, il y a à peine deux semaines – se révéleront trop difficiles à contrer pour ses avocats. Se heurtant à des murs, Christian Ranucci lui-même, des charges écrasantes et une opinion publique chauffée à blanc, ils ne peuvent lui éviter la peine de mort.

Le 28 juillet 1976, à 4h13, Christian Ranucci est guillotiné dans l’enceinte de la prison des Baumettes. La justice est passée. L’avant-veille, Valéry Giscard d’Estaing a rejeté la demande de grâce de l’accusé. En avril, il s’était exprimé sur la brûlante question de la peine capitale et avait estimé que les « rapts prémédités d’enfants comportant […] la quasi-certitude de la mort » justifiaient son application. Dans ses mémoires, le président de la République de l’époque a également évoqué l’existence d’une lettre de la mère de Maria-Dolores lui demandant de refuser la grâce, sans quoi elle « ne croirai[t] plus jamais à la justice ».

Deux années s’écoulent jusqu’à la parution d’un livre choc, Le pull-over rouge. Non sans panache, mais avec aussi beaucoup de liberté à l’endroit de faits incontestés jusqu’alors, Gilles Perrault, dont le best-seller sera adapté au cinéma dès l’année suivante, s’emploie à innocenter Christian Ranucci, qui aurait selon lui été au mauvais endroit, au mauvais moment. L’exécuté, devenu un mythe et dont le sort a pour partie contribué à l’abolition de la peine de mort, aurait-il fait l’objet d’une épouvantable méprise ? Le véritable coupable portait-il un pull-over rouge, alors qu’un vêtement comparable a été retrouvé à 1 200 mètres des lieux du crime et sachant qu’une témoin auditionnée durant le procès a fait état de la présence d’un homme portant précisément un pull-over rouge et importunant d’autres enfants, dans d’autres cités marseillaises, quelques jours avant le meurtre de Maria-Dolores ?

Plus de quarante après, nombreux sont ceux qui se souviennent de ce fait divers ou s’y sont intéressés. Le doute a germé dans bien des esprits et, incontestablement, l’ouvrage de Gilles Perrault a fait naître une polémique d’une rare longévité.

Convaincu de la culpabilité de Christian Ranucci, Jean-Louis Vincent, lui a en quelque sorte répondu en avril 2018 dans un autre livre, intitulé Affaire Ranucci, du doute à la vérité (éditions François Bourin).

Reprenant de nombreux procès-verbaux, compte-rendus, rapports d’expertises de professionnels mandatés et autres articles de presse de l’époque, laissant parler témoins à charge et à décharge, avocats de l’accusation et de la défense, proches et moins proches de l’accusé, n’occultant aucune des approximations qui ont émaillé l’enquête – il y en a bel et bien eu –, rappelant avec brio le contexte, cet ancien commissaire divisionnaire, aujourd’hui à la retraite, mène une démonstration magistrale dans un ouvrage de référence, contre-enquête d’une précision et d’une rigueur aussi rares que salutaires.

Nous nous sommes entretenus avec lui. Parce que ce travail méticuleux force le respect, parce que l’affaire Ranucci est un concentré de tragédies, parce que la plaie, quarante-trois ans après, n’est toujours pas refermée. Si tant est qu’elle puisse l’être un jour.

Jean-Louis Vincent, qu’est-ce qui vous a amené à vous pencher sur l’affaire Ranucci ?

Comme tout le monde, je me suis intéressé à l’affaire Ranucci, mais d’assez loin au tout début, lorsque la jeune Maria-Dolores a été enlevée. À l’époque, je finissais tout juste mon service militaire d’un an. Le drame avait alors suscité de la curiosité et de l’intérêt, bien sûr, mais les Français sont très rapidement passés à autre chose.

Pourquoi ? Parce que, tout simplement, les journaux et la télévision avaient annoncé que l’auteur des faits avait été arrêté et qu’il avait avoué son crime. Il était derrière les barreaux, en attente de son jugement et personne à ce moment ne prétendait qu’il pouvait être innocent. Pour le public, c’était bien le coupable qui avait été appréhendé et l’affaire était pratiquement close. 

Plus tard, Christian Ranucci a été jugé et guillotiné. Je me souviens que son exécution a suscité de nombreuses discussions. Pas tellement, encore une fois, concernant son éventuelle innocence, mais plutôt pour son passage sous le couteau de la guillotine. Le débat sur l’abolition de la peine de mort revenait en effet souvent à la surface et faisait rage à ce moment avec la terrible histoire de Patrick Henry, coupable du meurtre du petit Philippe Bertrand et qui avait réclamé la peine de mort pour l’assassin devant les caméras. Cette affaire avait créé une très forte émotion en France, bien plus que l’affaire Ranucci.

Par la suite, lorsque le livre de Gilles Perrault Le pull-over rouge est sorti, je dois confesser que je ne me suis pas intéressé à ce volet de l’histoire. J’avais effectivement entendu parler de ce pull-over rouge et je m’interrogeais sur le rôle qu’on pouvait lui attribuer, et qui était de nature à renverser les charges qui pesaient contre Christian Ranucci, mais sans aller très loin dans mes recherches.

Beaucoup plus tard, le 27 juin 1985, j’ai assisté à une émission diffusée sur la troisième chaîne, durant laquelle M. Perrault tenait le micro accompagné de la bienveillance manifeste du journaliste Philippe Alfonsi. En la circonstance, la verve de l’auteur, ses demi-sourires ironiques et ses affirmations péremptoires révélaient une assurance certaine, mais ne m’avaient pas convaincu.

Ensuite, je me suis d’abord fortement intéressé à l’affaire Dominici et à la fable racontée sur un commando d’espions venus abattre la famille Drummond, une nuit d’été en Provence. J’ai écrit un premier livre à ce sujet et j’ai pu à cette occasion mesurer le culot et l’outrecuidance de certains qui se permettent de tordre les vérités les plus élémentaires pour parvenir à des démonstrations qui, in fine, restent boiteuses. Pour autant, disons-le, ces thèses bénéficient le plus souvent d’une véritable complaisance des médias.

L’affaire Ranucci trottait encore dans ma tête et j’ai décidé alors de m’y plonger car j’en entendais parler régulièrement. J’ai fait la connaissance de Gérard Bouladou, policier à la retraite comme moi, et qui s’était, lui, penché depuis longtemps sur ce crime. Après avoir pris connaissance du dossier judiciaire établi à l’époque, je suis arrivé très vite à la conviction absolue, comme lui, que Christian Ranucci était bien le coupable.

Je me dois de préciser tout de suite ici que ce dossier présente quelques lacunes, aussi bien policières que judiciaires avec l’action de la juge d’Instruction Ilda Di Marino, chargée de l’affaire en son temps. Reste que si son contenu est beaucoup moins volumineux que celui de l’affaire Dominici, il est aussi beaucoup plus simple et je prétends qu’une personne dotée d’une intelligence normale qui veut bien en prendre connaissance avec un regard honnête, détaché de tout a priori, ne peut raisonnablement soutenir que Ranucci est un innocent condamné à tort.

Encore faut-il vouloir accomplir la démarche de consulter une source fiable ; et aussi être en capacité de s’avouer à soi-même que l’on s’est trompé. Ou que l’on a été trompé…

Concernant les personnes qui ont participé à l’enquête, elles sont de plus en plus rares et beaucoup de retraités ont quitté Marseille. J’ai cependant rencontré le commissaire divisionnaire Alessandra qui, à l’époque, a dirigé les investigations policières et se souvient bien de cette histoire. Pour ma part, je n’y ai participé en rien car, en juin 1974, je n’avais pas encore joint les rangs de la police. Ma première affectation, quelques mois plus tard, m’a conduit à Paris où je suis resté sept ans.

Vous aviez à peine 22 ans au moment des faits et deux de plus lorsque Christian Ranucci a été guillotiné. Que pensiez-vous de l’affaire à l’époque ? Quels souvenirs gardez-vous du climat général autour d’elle ?

Comme je viens de vous le dire, cette affaire ne m’avait pas particulièrement intéressé à l’époque. Pour le grand public, l’auteur du meurtre avait avoué, on avait retrouvé le couteau, arme du crime, sur ses indications et le dossier était bouclé. D’ailleurs, les journaux de l’époque, y compris la presse marseillaise, reflètent bien cette sorte de quasi-indifférence, quelques jours seulement après les faits.

À l’approche du jugement, il est certain que l’intérêt est allé crescendo, car se profilait alors l’ombre de la guillotine. C’était beaucoup plus cette perspective de voir un jeune homme de vingt-deux ans être guillotiné qui retenait l’attention du grand public, davantage que l’affaire en elle-même qui ne posait pas de question sur l’éventuelle innocence de l’accusé.

En revanche, comme je l’ai dit, l’affaire Patrick Henry avait bouleversé la France entière, surtout à cause du cynisme écœurant de l’intéressé. Par conséquent, le climat général n’était pas à la compréhension, encore moins à l’indulgence… Sans le moindre doute, cela a desservi Christian Ranucci.    

« Gilles Perrault donne au pull-over rouge une place dans cette affaire qu’il n’a jamais eue »

Comment s’est forgée votre conviction de la culpabilité de Christian Ranucci dans le meurtre de Maria-Dolores Rambla ?

Tout simplement par l’accumulation de charges accablantes qui font que Christian Ranucci ne peut être innocent.

Certes, il n’était pas possible d’avoir recours à l’ADN à l’époque, et on peut le regretter ! Notamment pour cette affaire, car je ne doute pas que le sang retrouvé sur le pantalon de l’accusé, vêtement qu’il avait abandonné dans le coffre de sa voiture, et celui qui était encore présent sur la lame du couteau au moment de sa découverte auraient « parlé ». On y aurait retrouvé l’ADN de la victime.

Malheureusement, tout ce que l’on a pu dire alors est qu’il s’agissait de sang du groupe A, lequel était celui de Maria-Dolores, mais aussi celui de Christian Ranucci. De même, c’est bien l’accusé qui a dessiné un plan du lieu de l’enlèvement, ressemblant très fortement aux lieux réels. Quant aux arguments soulevés, notamment par Gilles Perrault, pour tenter d’accréditer la version de l’innocence de Christian Ranucci, ils n’ont aucune valeur.

Il donne au pull-over rouge une place dans l’affaire que ce vêtement n’a jamais eue. J’en veux notamment pour preuve la copie du rapport du gendarme Salerio, qui dirigeait le chien chargé de rechercher le cadavre de la fillette. Or, ce chien n’a été d’aucune utilité le 5 juin 1974 dans la découverte du corps, mais le gendarme a également expliqué dans la rubrique « Indice de départ » que l’on a fait partir le canidé de l’emplacement où Christian Ranucci avait dissimulé sa voiture, dans la champignonnière. Autrement dit, du sol de la galerie.

Gilles Perrault pousse de hauts cris lorsqu’il entend cela. Selon lui, la chose est impossible car un tel « indice » ne vaut rien, mais je l’invite à se rapprocher de spécialistes. Certes, partir du sol n’est pas l’indice de départ idéal, mais comment faire lorsque l’on n’a pas autre chose ? Et à l’époque, les enquêteurs n’avaient pas autre chose !

Même si le pull-over rouge a été découvert un moment avant, personne ne peut dire qu’il appartient au criminel et faire renifler ce tricot au chien Dirol aurait été une belle bêtise ! J’ajoute qu’aujourd’hui encore, faute d’autre indice, il arrive qu’on parte d’une recherche au niveau du sol. Cela m’a été confirmé par un maîtredechien de la Gendarmerie, alors que je travaillais à la rédaction de mon livre.

Il en va de même pour les propos tenus par la dame Mattei, mise en avant par les avocats de Christian Ranucci et abondamment utilisée par Gilles Perrault. Son témoignage a été démonté lors de son passage devant la Cour d’Assises et j’ai eu confirmation de ses élucubrations par l’une de ses voisines qui, déjà à l’époque, avait démenti les affirmations de ce témoin de complaisance.

J’ai retrouvé cette personne qui m’a répété, sans la moindre ambiguïté, que la dame Mattei avait inventé une tentative d’enlèvement dont elle aurait été le témoin oculaire, depuis la fenêtre de sa cuisine, cela à partir d’une véritable « fièvre enfantine » qui s’était manifestée à l’occasion de la disparition de Maria-Dolores. Cette voisine était présente lorsque des enfants avaient raconté que l’un d’entre eux avait failli être enlevé. La dame Mattei et elle-même étaient sorties de leur immeuble et n’avaient rien vu. Elles n’avaient jamais été témoins d’une telle scène.

Un peu plus tard, ladite voisine s’est même vu proposer de l’argent par la susmentionnée dame Mattei, argent que lui aurait donné Mme Héloïse Mathon, la mère de Christian Ranucci, si elle acceptait de confirmer cette fable.

Tout ceci a été déclaré en 1977 par procès-verbal, dans le cadre d’une commission rogatoire d’un juge d’instruction. Donc avec prestation de serment de dire la vérité.

Christian Ranucci était domicilié à Nice au moment des faits. Comment expliquer qu’il se soit rendu à Marseille pour assouvir d’éventuelles pulsions sexuelles ? Pensez-vous qu’il a prémédité cet enlèvement ?

Il est difficile d’expliquer les motivations de Christian Ranucci. Lui-même a déclaré, à l’époque, qu’il était parti se balader durant le week-end sans but précis. Il avait d’abord été question qu’il aille faire un tour en Italie en compagnie de sa mère, qui n’a pas voulu, craignant la conduite trop rapide de son fils. Pourquoi Marseille ? Il a raconté qu’un de ses amis du service militaire y vivait (ce qui a pu être vérifié) et qu’il souhaitait lui rendre visite.

Pour ma part, je ne suis pas certain qu’il soit venu à Marseille avec l’intention d’assouvir des pulsions sexuelles. J’aurais plutôt tendance à croire que c’est « l’occasion qui a fait le larron ». Il a vu les deux petits Rambla jouer au coin de la rue et il s’est alors arrêté. Ce qui donne le vertige lorsqu’on pense à quoi tiennent parfois les existences humaines.

Croyez-vous que Christian Ranucci avait déjà des comportements déviants ou susceptibles de l’être avant de commettre l’irréparable ?

La juge Di Marino a voulu creuser cette question. À Nice, où l’on a diffusé dans la presse la photo de Christian Ranucci, deux personnes se sont présentées pour dénoncer le comportement de celui-ci qui avait selon leurs témoignages poursuivi une petite fille rentrant de l’école et entraîné un petit garçon dans un parking souterrain, sans se livrer à des atteintes sexuelles. Bien sûr, les témoignages doivent être reçus avec précaution car nos sens et notre mémoire sont faillibles.

Toutefois, l’histoire racontée par le petit garçon puis par son père à qui l’enfant a désigné un homme, deux jours après, comme étant celui qui l’avait emmené dans le parking, paraît assez crédible. Car le père, un adulte, a parlé avec l’individu, lui demandant ce qu’il faisait là, lui enjoignant ne plus s’occuper de son fils et désirant le conduire chez le gardien de la résidence. L’homme reconnu par l’enfant a pris alors la fuite en courant.

Cet homme, le père a été formel sur ce point, était bien Christian Ranucci. Il a affirmé cela devant la juge d’instruction et aussi devant la Cour d’Assises. Par ailleurs, je réitère, il avait échangé quelques mots avec lui et on peut supposer qu’à ce moment, il avait bien regardé son visage.

« Christian Ranucci a été complètement dépassé par les événements »

Imaginons que Christian Ranucci, au gré de ses pérégrinations, ait enlevé la petite Maria-Dolores sans pour autant vouloir abuser d’elle (considérant que son corps ne comporte aucune trace d’agression à caractère sexuel). Il a ensuite eu un accident de voiture qu’il n’a, pour le coup, jamais contesté. Peut-on penser qu’il a tué sous le coup de la panique, sans doute par peur d’être découvert avec une petite fille qui lui était totalement étrangère à ses côtés, ou croyez-vous qu’il comptait de toute façon lui ôter la vie, en abusant de sa victime ou non ?

Je ne crois pas que Christian Ranucci était parti pour tuer un enfant quelconque. Comme vous le dites, il a été pris de panique à la suite de l’accident. Il transportait certes un couteau à cran d’arrêt dans la poche de son pantalon, mais heureusement, tous les individus qui se promènent avec un couteau ne sont pas des tueurs en puissance.

En fait, je pense que Ranucci, jeune homme à la personnalité tourmentée, a été complètement dépassé par les événements et a agi sous l’empire d’une pulsion incontrôlable.

Une chose l’atteste à mes yeux : l’arrachage à mains nues des « argéras » (ajoncs de Provence) pour recouvrir et dissimuler le corps de Maria-Dolores. Il se trouve que je connais bien ces plantes qui poussent en nombre dans la garrigue, et je peux vous dire qu’elles piquent très fort ! Un homme dans son état normal n’agit pas ainsi et je souligne, au passage, que les traces de piqûres ont été constatées par le médecin lors de la garde à vue de Christian Ranucci.

Lui-même a avoué, avant de revenir sur ses déclarations. Au moment de la reconstitution, il a prétendu qu’il ne se souvenait plus du meurtre proprement dit…

Tout cela n’est pas impossible, mais en tout état de cause, s’il avait prémédité son affaire, on peut supposer qu’il s’y serait pris autrement ! Pas en poignardant une fillette à une vingtaine de mètres au-dessus d’une route, après un accident de la circulation…

Christian Ranucci a, nous l’avons vu, commencé par reconnaître les faits dans leur totalité, avant de se rétracter et de tout récuser. Comment pourrait-on expliquer ce 180 degrés ?

Ce n’est pas la première fois qu’un criminel avoue puis se rétracte ! Surtout lorsqu’il n’y a pas  de preuve matérielle irréfutable contre lui comme une belle comparaison ADN…

Chez Ranucci, la chose est allée progressivement. Il a d’abord nié devant la police avant d’avouer lors de la confrontation avec Mme Aubert. Par la suite, il a réitéré ses aveux devant la juge d’instruction et aussi face aux experts-psychiatres chargés de l’examiner. Ce n’est en fait qu’au moment de la reconstitution qu’il a commencé à dire qu’il ne se souvenait plus du meurtre proprement dit.

Je pense que Christian Ranucci avait beaucoup de mal à admettre, pour lui-même, qu’il avait pu commettre une telle horreur. En outre, on peut imaginer que, comme beaucoup de criminels, il voulait échapper à une lourde sanction qui risquait fort de l’atteindre. Sans oublier, élément très important, le rôle tenu par sa mère qui était convaincue de l’innocence de son fils, qui lui rendait souvent visite aux Baumettes et qui, j’ai de bonnes raisons de le penser, le poussait dans le sens d’une affirmation de son innocence. Ce qui fut une grave erreur…

Mais tous deux formaient une sorte de couple curieux et les observateurs judiciaires de l’époque l’ont bien dit. Christian Ranucci et sa mère avaient surtout un point commun : une absence presque totale de sens des réalités. Ils vivaient dans une sorte de monde imaginaire au sein duquel leurs désirs allaient nécessairement se concrétiser.

La thèse d’aveux obtenus sous la contrainte vous paraît-elle absolument irrecevable ?

Il faudrait déjà s’entendre sur le terme de « contrainte ». Si vous voulez dire que le commissaire Alessandra a insisté verbalement, lors de la première audition, pour obtenir les aveux de Ranucci, je pense qu’en effet les choses se sont passées ainsi.

Compte tenu des éléments très lourds qui pesaient sur lui et de la gravité des faits commis, il était tout à fait normal que le commissaire voulût obtenir des aveux, lesquels peuvent conduire aux preuves matérielles.

Je fais observer, au passage, que Ranucci a persisté à nier lors de cette première audition à l’Évêché.

En revanche, si vous faites référence à d’éventuelles violences qui auraient pu être exercées sur le suspect, comme lui-même l’a soutenu lors du procès, ma réponse est claire : je n’y crois pas une seconde, ce pour plusieurs raisons.

Pour commencer, il faut savoir qu’à l’époque, les journalistes étaient présents dans les couloirs de l’Hôtel de Police. Compte tenu de l’émotion suscitée par la découverte du cadavre de Maria-Dolores, ils attendaient dans la nuit le retour de Nice du commissaire Alessandra qui était parti chercher Ranucci. Nul doute qu’ils étaient aux aguets pour suivre l’évolution de l’enquête. Et les policiers, séparés des journalistes par une simple porte, auraient procédé à un « passage à tabac » ? Ce n’est pas sérieux !

De surcroît, Ranucci a été examiné par un médecin à la fin de sa garde à vue et ce dernier n’a pas noté de traces de coups ou d’autres violences.

J’ajoute que la juge d’instruction elle-même s’est déplacée à l’Évêché, pour s’assurer du bon déroulement de la garde à vue, et que Christian Ranucci ne lui a jamais fait part de violences, alors qu’il aurait pu le faire s’il l’avait voulu.

Il n’a tenu ce propos que devant la Cour d’Assises, à une époque où il s’était enfoncé dans ses délirantes certitudes.


Croyez-vous tout de même en l’existence d’un autre prédateur sexuel, portant ou non un pull-over rouge, qui aurait sévi à Marseille au même moment que Christian Ranucci ?

Si vous voulez parler de personnes à la sexualité malsaine qui s’en prennent, entre autres, à des enfants, il ne fait aucun doute qu’il en existait à Marseille à l’époque, comme d’ailleurs dans toute grande ville. Et c’est toujours le cas aujourd’hui.

Ce type de comportement est tout de même assez répandu, mais fort heureusement, il ne se traduit pas à chaque fois par des atteintes graves telles qu’un viol ou, pire, la mort de la victime.

Dans l’affaire Ranucci, il est certain que les fillettes Costantino ont rencontré dans leur résidence marseillaise des Cerisiers un individu vêtu d’un pull-over rouge qui a procédé à des attouchements sur elles et qui leur a demandé de faire de même sur sa personne, avant de prendre la fuite.

Les faits se sont déroulés le 1er juin 1974, soit deux jours avant l’enlèvement de Maria-Dolores, à plus de quatre kilomètres à vol d’oiseau de la cité Sainte Agnès où vivaient les Rambla.

Le mode opératoire de cet homme n’a toutefois rien à voir avec celui utilisé par Ranucci lorsqu’il s’est adressé aux enfants Rambla.

Et le fameux pull-over rouge retrouvé près des lieux du crime aurait-il pu appartenir à cet autre prédateur ?

Ce serait une coïncidence extraordinaire ! Rien ne permet de penser que le pull-over rouge découvert dans la champignonnière serait le même que celui de l’homme vu à la résidence des Cerisiers. Il ne s’agit là que de pures conjectures.

Il faut tout de même observer que Marseille est une grande ville, qui comptait environ 900 000 habitants à l’époque, auxquels il faut ajouter ceux de la région proche, ce qui nous fait dépasser facilement le million de personnes.

On voudrait qu’il n’y ait qu’un seul pull-over rouge porté par toute cette population ? D’autant que dans les années 1970, la mode était souvent à des couleurs assez voyantes. J’ai le souvenir d’avoir moi-même porté un pull-over rouge. Un de mes copains en avait un aussi avec, de surcroît, des boutons cousus sur l’épaule, comme le vêtement découvert dans la champignonnière. Sauf que les boutons du pull-over rouge de notre affaire sont de couleur dorée alors que ceux de mon ami étaient noirs.

Et puis, comment ce tricot rouge, porté par un prédateur sexuel,  aurait-il bien pu arriver dans la galerie ? Je sais bien que l’on a imaginé (Ranucci le premier, dans ses écrits, avant son exécution) des histoires extraordinaires pour tenter de faire admettre une telle fiction. Le vrai criminel aurait pris la place de Christian Ranucci dans son coupé Peugeot 304, dans des conditions délirantes, après avoir tué Maria-Dolores. Là, nous sommes en  pleines divagations…

« Le penchant de nombreuses personnes pour les explications romanesques est très fort »


On l’a évoqué, le livre de Gilles Perrault a fait couler énormément d’encre et déchaîné les passions sur cette affaire. Vous n’êtes certes pasd’accord avec lui, mais comprenez-vous tout de même qu’il ait pu faire naître le doute dans les esprits ?

Je pourrais vous répondre que je n’ai même pas à comprendre : je suis bien obligé de constater ! Gilles Perrault, avec un certain talent, a réussi à convaincre des centaines de milliers de personnes que Christian Ranucci était innocent. Ou à tout le moins de les persuader qu’il y avait de forts doutes sur sa culpabilité. Je le regrette et je déplore une telle crédulité, pour ne pas dire naïveté.

Mais il faut dire aussi que le penchant de nombreuses personnes pour les explications romanesques, et les soupçons d’erreurs judiciaires et d’abus policiers, auxquels il convient d’ajouter une larme de théorie du complot – tout en faisant vibrer la corde sensible – , est très fort. En d’autres termes, ces gens tombent du côté vers lequel ils fléchissent depuis longtemps.

Ajoutons que Gilles Perrault a su utiliser quelques « loupés » en les grossissant puis en les interprétant. Dès lors ,un public ignorant de l’affaire a vite fait de tomber dans le panneau, sans avoir vu quelques grosses ficelles.

Disons aussi qu’à l’époque, si Perrault a été poursuivi en justice par les policiers, et condamné, personne n’a jugé bon de lui répondre sur le fond de l’affaire. Il aurait été assez simple d’écrire un livre sérieux pour aller à l’encontre de ses affirmations, mais Gérard Alessandra me l’a dit : la haute hiérarchie policière n’y tenait pas. Le « pas de vagues » était déjà bien présent.

Je terminerai en disant que les médias ont été très complaisants avec cet ouvrage qui tombait à pic, sur fond de débat portant sur l’abolition de la peine de mort, sujet qui transcendait l’affaire Ranucci. Il suffit de relire les articles de presse de l’époque pour le constater. 

On a beaucoup dit, à tort selon vous, que les époux Aubert, témoins cruciaux dans cette affaire et qui ont pris en chasse Christian Ranucci, lequel venait d’avoir un accident de voiture peu après le rapt de Maria-Dolores Rambla, ont varié dans leurs déclarations. Que répondez-vous à leurs détracteurs ?

Je leur réponds que s’ils peuvent me montrer une déclaration signée des époux Aubert faisant état d’un « paquet assez volumineux », point qui a suscité de très nombreux commentaires, je suis preneur.

On a dit qu’Alain Aubert avait déclaré par téléphone aux gendarmes de Roquevaire puis à leurs collègues de Gréasque qu’il avait vu un homme sortir de la voiture de Christian Ranucciportant un «paquet assez volumineux ». Cette mention figure dans un rapport (et non dans un procès-verbal, la nuance est de taille) établi par le capitaine Gras, commandant les effectifs de gendarmerie, qui rendait compte des diligences de ses hommes depuis le début de l’affaire. Sur ce point précis, il exposait la teneur de propos reçus par ses subordonnés et non par lui-même.

Cet officier a très bien pu reprendre des mots tirés de leur contexte et Alain Aubert a également pu dire que, d’assez loin, l’enfant ressemblait à un paquet. On n’aurait alors retenu qu’une partie des choses, peut-être pour éviter des critiques ultérieures sur un possible manque de réactivité des gendarmes concernés.

Car quand Alain Aubert a téléphoné au commissaire Alessandra, à la demande des gendarmes, il a bien parlé d’un enfant sortant de la voiture, tiré par la main, et jamais d’un « paquet assez volumineux ». Quant à sa femme, Aline Aubert, personne ne dit qu’elle aurait évoqué un « paquet volumineux ».

De même, on dit que selon les époux Aubert, Christian Ranucci serait sorti de sa voiture par la portière côté chauffeur, après l’accident. « Impossible ! », clame Gilles Perrault. Pourquoi ? Parce que, d’après lui, la police a pu constater que cette portière gauche était bloquée suite au choc et que cela a été noté dans la procédure. Eh bien, je regrette, mais une telle constatation n’a jamais été faite, ni par la police, ni par la juge d’instruction.

À tort du reste car il aurait fallu, sans aucun doute, établir un procès-verbal de constatations effectuées sur le véhicule. Cela n’a pas été fait et c’est malheureux, mais pour étayer un raisonnement, il ne faut pas inventer des éléments d’enquête qui n’existent pas.   

« Héloïse Mathon, sans l’avoir voulu, a conduit son fils à la guillotine »


Que vous inspire le personnage controversé d’Héloïse Mathon, mère de Christian Ranucci, qui a toujours disculpé son fils ?

Comme je l’ai dit, on voit bien que cette personne avait une relation particulière, fusionnelle, avec son fils. Elle l’a confié à la presse : « je l’ai élevé comme une fille ».

Ce n’est peut-être pas ce qu’elle a fait de mieux et j’ai aussi évoqué tout à l’heure sa perception des réalités.

Gilles Perrault l’a connue et, à son sujet, a évoqué la réaction stupéfaite de personnes qui l’ont approchée et ont vu dans son comportement « un contrôle de soi presque monstrueux ». D’autres ont noté « une absence quasi-pathologique du sens des réalités ». On ne peut être plus clair… 

C’est elle qui a au surplus entretenu son fils dans cette chimère d’un acquittement possible. Elle avait réservé une voiture taxi Mercedes de couleur blanche pour le faire sortir en triomphe de la Cour d’Assises, au soir du verdict.

Il faut bien le dire : je pense qu’Héloïse Mathon, sans l’avoir voulu bien sûr, a conduit son fils à la guillotine. Il s’agit d’une horrible tragédie pour cette mère qui aimait son fils.

Au bout du compte, cette femme m’inspire principalement de la pitié, mais aussi le sentiment qu’elle a provoqué un terrible gâchis…  

Le comportement de Christian Ranucci durant son procès a été unanimement déploré, y compris par ses avocats, et on peut raisonnablement penser qu’elle a aggravé son cas. Toutefois, avec le recul, le verdict de la peine de mort vous paraît-il justifié ?

Non, la peine de mort ne me paraît pas justifiée dans cette affaire. Certes, comme l’a dit l’avocat général Viala, les faits commis par Christian Ranucci étaient passibles de la peine capitale.

C’est donc la loi qui a été appliquée, mais à l’époque, il était possible d’avancer des circonstances atténuantes. Or, je crois qu’elles étaient bien présentes ici…

Le comportement de Ranucci au moment du meurtre, peu de temps après son accident, montre qu’il n’a pas agi froidement, par calcul. Il était alors sous l’empire d’une sorte de folie momentanée, mais cela n’a pas été retenu.

Et pour cause : la loi prévoyait que l’état de démence (l’ancien article 64 du Code pénal) devait prendre appui sur une pathologie psychiatrique avérée, mais Christian Ranucci a été déclaré exempt d’une telle maladie. En outre, comme vous l’avez souligné, son attitude au cours du procès l’a fortement desservi et ce choix de défense visant à plaider l’innocence, alors que rien ne pouvait le disculper, a été une erreur catastrophique.

On en fait parfois reproche à ses avocats. D’ailleurs, l’un d’eux, maître Fraticelli, a refusé de plaider cette cause. D’un autre côté, comment plaider une culpabilité assortie de circonstances atténuantes si le principal intéressé, l’accusé, clame son innocence ?

Je crois – sans être certain que cela aurait « marché » – que maître Lombard aurait dû dire à la mère de Ranucci que, en l’état du dossier, il ne pouvait plaider l’innocence, que l’affaire allait à la catastrophe. Peut-être qu’en insistant sur ce point, plutôt que d’accorder du crédit aux paroles de la dame Mattei, il aurait obtenu une condamnation à de la réclusion criminelle, mais il ne s’agit là que de suppositions car j’ignore en fait ce qui pu se dire entre eux.


A titre personnel, seriez-vous favorable aujourd’hui au rétablissement de cette sentence, à tout le moins pour les tueurs d’enfant ?

Non. Pour être complet, je dirai que lorsque j’étais plus jeune, j’avais une attitude différente. Non pas que je considérais la peine de mort comme une admirable manifestation de civilisation ; disons plutôt que je la voyais comme un mal nécessaire, car je lui trouvais un avantage incontestable, à savoir que le criminel exécuté ne pourrait jamais récidiver.

Et puis je pensais aussi qu’elle avait peut-être une certaine exemplarité, même si l’argument était rejeté par le « camp d’en face » au prétexte que des crimes étaient commis à l’ombre de l’échafaud. Car, me disais-je, il ne fait pas de doute que si un homme déterminé à tuer renonce à son funeste projet par peur du couperet, il n’ira pas raconter son revirement.

On ne pourra donc mettre au « crédit » de la peine de mort son abstention d’un jour, mais qui peut dire que ce cas ne s’est jamais présenté ? Qui peut dire que des crimes n’ont pas été évités, simplement par peur d’un terrible châtiment ?

Et puis, au bout du compte, j’ai bien dû admettre également que la peine de mort présentait de nombreux inconvénients, bien connus. Mais l’argument majeur qui m’a fait changer d’avis est celui-ci : dans une « vie bonne » d’homme raisonnable, telle qu’Aristote a pu l’évoquer, existe la nécessité de se perfectionner, de pratiquer la vertu, de s’élever.

Je crois qu’il doit en aller ainsi pour les nations, les différentes nations qui couvrent notre planète, même si la tâche semble relever du vœu pieux.

Et je suis certain que la peine de mort ne grandit pas la nation qui en fait usage.

« Les magistrats dans leur ensemble sont des personnes honnêtes »

D’une manière générale, croyez-vous en la justice de notre pays ?

La justice est rendue par des femmes (de plus en plus souvent) et des hommes, en application de lois votées par d’autres femmes et d’autres hommes. C’est donc une affaire humaine, ce qui signifie qu’elle ne peut être parfaite.

Il peut lui arriver de se tromper, mais rarement, je le crois, et à plus forte raison pour ces graves affaires criminelles. Mais ce dont je suis certain, c’est que les magistrats dans leur ensemble sont des personnes honnêtes, qui ont une haute idée de leur fonction et qui essayent, en général, d’agir en toute indépendance. 

Bien sûr, j’ai quelques réticences si quelques-unes de ces mêmes personnes mettent en avant des convictions politiques, religieuses ou philosophiques. On ne leur demande pas cela : on leur demande d’appliquer la loi avec intelligence et objectivité, ce qui ne doit pas exclure la fermeté, notamment pour les multirécidivistes souvent à l’œuvre dans notre pays.   


La famille Rambla aura décidément, bien malgré elle, défrayé la chronique, Jean-Baptiste, le petit frère de Maria-Dolores, a lui-même tué deux personnes…

J’en ai dit un mot dans mon livre. Je crois que nos vies sont faites de processus dynamiques. Par moments, une spirale se met en place vers le haut. À d’autres moments, elle nous fait descendre. Ces spirales s’auto-alimentent, le bien produisant du bien, même chose pour le mal…

Christian Ranucci, par son acte criminel, a répandu l’horreur et la souffrance. Il a crucifié une famille entière et détruit sa propre mère.

Je crois que les crimes reprochés à Jean Rambla ne sont pas totalement étrangers à ce traumatisme important et difficilement contestable qu’il a ressenti depuis 1974 – traumatisme causé avant tout par Ranucci, mais aussi, peut-être, entretenu par d’autres.

Son second crime notamment, perpétré contre une personne qu’il ne connaissait pas et qu’il a tuée avec sauvagerie, si j’en crois la presse, semble venu de nulle part. Et pourtant, c’est bien son ADN qui a été retrouvé sous les ongles de la victime.

Aujourd’hui, s’il est déclaré coupable de ce crime qu’il avoue, Jean Rambla risque d’être lourdement condamné car il est en état de récidive légale. Nous serions alors en présence d’un homme devenu très dangereux, dont on n’imagine pas qu’il puisse circuler librement en ville, un jour, avec une telle charge de violence en lui.

Il n’empêche, lorsque je revois les photos du petit garçon perdu de 1974, je me dis que nos existences contiennent en germe des capacités phénoménales d’actes inouïs. Et cette idée  n’est pas de nature à me rassurer…


Outre l’affaire Ranucci, vous avez écrit un autre livre de référence sur l’affaire Dominici. Caressez-vous l’ambition d’en rédiger un troisième, sur un autre fait divers majeur de la chronique judiciaire française ? Y’a-t-il d’autres affaires sur lesquelles vous vous penchez, pour tenter d’établir ou de rétablir la vérité ?

Au moment où nous avons cet échange, je n’ai pas de projet précis en cours. J’ai entamé des démarches pour accéder à un autre dossier criminel bien connu, conservé aux Archives Départementales de la Gironde, à Bordeaux, dénommé « Affaire Mis et Thiennot ».

Il s’agit de l’histoire de deux hommes condamnés aux travaux forcés pour le meurtre d’un garde-chasse, Louis Boistard, commis le 29 décembre 1946 dans la Brenne. Mis et Thiennot ont avoué avant de se rétracter, déclarant qu’ils avaient parlé sous la torture.

Je voudrais bien travailler sur cette affaire mais, pour l’instant, les choses ne sont pas assez avancées. Je dirais même qu’elles sont à un stade embryonnaire. 

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Jean-Louis Vincent s’est fendu d’un ouvrage éminemment courageux et qui va à l’encontre de la thèse aujourd’hui la plus répandue, celle de l’innocence de Christian Ranucci.

Abouti, très solidement étayé, son travail d’investigation est frappé du sceau du professionnalisme, le professionnalisme d’un ancien policier chevronné, monté haut dans la hiérarchie et que l’on ne peut suspecter de corporatisme. Le professionnalisme d’un homme qui a pour lui le souci non pas du, mais des détails, lesquels ont fourmillé et ont eu pour certains une importance capitale – pas toujours justifiée ! – dans cette affaire.
Jean-Louis Vincent a eu l’honnêteté intellectuelle de n’éluder aucune faille du dossier, les approximation de l’enquête en tête, pour appuyer son propos. Par-dessus tout, il a traité l’affaire Ranucci avec l’intention louable et irrécusable non de défendre le travail d’autres policiers et la décision de justice qui a été rendue, mais de lever les doutes plus ou moins gros et plus ou moins fondés qui l’ont jalonnée.

Il découle de ses travaux un livre qui ne convaincra pas forcément tous les tenants de l’innocence de Christian Ranucci, tueur d’enfant trop jeune et à la trajectoire par trop bouleversante, mais auxquels il est en mesure de répondre par des arguments colossaux. Un livre de référence dans lequel l’auteur a le souci constant de ne pas juger le passé à l’aune du présent, et celui d’examiner les faits en respectant la chronologie et à l’aune de documents implacables. Un livre impressionnant, qui réussit le tour de force nécessaire de dépassionner un débat au demeurant passionnant.

Guillaume Duhamel

Guillaume Duhamel

Journaliste financier originellement spécialisé dans le sport et l'écologie. Féru de politique, de géopolitique, de balle jaune et de ballon rond. Info plutôt qu'intox et intérêt marqué pour l'investigation, bien qu'elle soit en voie de disparition.

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