Un attentat a visé l’ambassade de France à Tripoli, mardi 23 avril, blessant deux gardes français, dont un grièvement, et provoquant d’importants dégâts matériels. Une voiture piégée serait à l’origine de l’explosion.
7h du matin ce mardi 23 avril 2013. La France tient son Benghazi, l’attaque au consulat américain du 11 septembre 2012 qui avait coûté la vie à l’ambassadeur Stevens et trois agents. Mais les similitudes semblent s’arrêter là. Les dégâts sont importants: le bâtiment, en plein quartier résidentiel est dévasté. Les deux gardes ont été soufflés, l’un d’eux est grièvement blessé, son pronostic vital n’est heureusement pas engagé.
Cette fois-ci, pas de foule enragée dans le quartier bourgeois de Gargaresh. L’heure très matinale de l’attentat est un indice: la volonté de tuer n’est pas première. Détonnée quelques heures plus tard, le bilan eut été plus lourd. Benghazi était une punition, Tripoli est un avertissement.
Les condamnations officielles n’ont pas tardé: le ministre français des Affaires Étrangères Laurent Fabius a promis que «les services de l’État mettront tout en œuvre pour que la lumière soit faite sur les circonstances de cet acte odieux». Son homologue libyen Mohammed abd el-Aziz d’ajouter: «nous condamnons fermement cet acte que nous considérons comme un acte de terrorisme contre une nation soeur qui a soutenu la Libye pendant la révolution».
L’ambassadeur Antoine Sivan exclut tout départ de Libye. Envoyé par la France auprès des rebelles du CNT en 2011, cet arabisant, ancien du Qatar (2006-2008) et d’Iraq (2000-2003), ne compte pas abandonner le travail entamé il y a deux ans. En parallèle de l’action aérienne des forces anglo-françaises et de leurs alliés, il était au sol à coordonner la circulation d’informations et de matériel.
Son implication directe auprès des réseaux ayant renversé le rais Kadhafi pourrait laisser supposer l’implication de réseaux héritiers du pouvoir renversé. Mais la reconstruction du pays est chaotique, et le gouvernement officiel doit compter avec une myriade d’acteurs locaux qui ne s’apprêtent pas à rendre les armes.
Pays jeune, unifié par le colonisateur italien, la Cyrénaique est largement autonome, et la région du Fezzan, chapelet d’oasis en plein désert, est encore largement sous le contrôle de forces héritières de l’ancien régime. Selon que l’on se trouve sur la côte ou dans le Djebel Nefusa berbère la Tripolitaine n’échappe pas non plus au morcellement politique. Cette situation profite bien entendu à tous les réseaux criminels et terroristes, libyens comme Ansar al-Sharia, ou étrangers comme Aqmi, profitant de la situation pivot du pays entre Algérie, Nord-Mali, Nord-Niger, Égypte et au-delà tout le Moyen-Orient.
Même dans la capitale libyenne les factions armées circulent librement. Impliquée dans une vendetta entre groupes rivaux l’une d’entre elles a tenté de bloquer l’aéroport de la ville, provoquant une fusillade et un mort. Dès lors, en attendant une éventuelle revendication de l’attentat de ce matin, difficile de privilégier une piste plutôt qu’une autre: ce ne sont pas les suspects qui manquent.
L’attentat survient aussi en pleine visite de deux députés membres de la commission aux affaires étrangères, Jacques Myard et Jean Glavany, visite qui succède à celles en Tunisie et en Égypte à la rencontre des nouvelles autorités et des Frères Musulmans dont la présence croît continuellement en Libye. L’ambassade française à Tripoli se trouve donc à la croisée de chemins compliqués et dangereux. Un peu au sud de Ghadames se trouve côté algérien de la frontière le site gazier d’In Amenas, théâtre de la sanglante prise d’otages en janvier dernier.
Mi-mars la chaîne d’information Russia Today a reçu des documents sensibles dont l’officialité n’a pas été confirmée. On y retrouve des échanges de mails entre Hillary Clinton et Sidney Blumenthal, conseiller politique et informateur. On retrouve concernant la France deux informations à recouper. La première fait état du refus des renseignements français de faire suivre des informations aux renseignements libyens par le canal algérien. La seconde fait le lien entre Mokhtar Belmokhtar et les réseaux libyens.
En 1935 la France signe un traité avec l’Italie par lequel elle cède à Rome la bande d’Aozou (sud), Ghadames et quelques autres territoire en bordure de l’Algérie. Réoccupés entre 1940 et 1955, ces territoires n’ont pas perdu de leur importance stratégique, et le retour de la France en Libye vient confirmer l’unité stratégique du Sahara.