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L’émission Touche pas à mon poste est un véritable succès depuis la rentrée dernière. Durant différentes séquences, les journalistes sont amenés à donner leur point de vue sur les programmes télévisés. De ces prises de bec, il en ressort une question pertinente que les chroniqueurs survolent : la télévision doit-elle répondre aux attentes du téléspectateur ?

Durant la seconde moitié du XXème siècle, la culture de masse et la télévision faisaient leur apparition, et avec elles la possibilité d’offrir au plus grand nombre l’accès à la culture, la véritable, comme la littérature, l’histoire ou encore l’art sous toutes ses formes. Elle était alors considérée comme une fenêtre sur le monde, une ouverture vers une source inépuisable de connaissances, une bibliothèque moderne. La naissance du poste était vectrice de progrès, l’Homme allait pouvoir s’affranchir de ses origines sociales, s’élever à la culture dite « bourgeoise ». Cependant, dès 1955, André Malraux affirmait qu’« il existe une télévision pour passer le temps et une autre pour comprendre le temps ». Force est de constater que, soixante ans plus tard, la question posée reste la même, et qu’elle se retrouve dans bon nombre d’émissions, de manière implicite, ou traitée superficiellement.

Le point de cristallisation de cette question fut atteint à l’occasion d’un débat sur Ce soir ou jamais, émission animée par Fréderic Taddeï, Christ cathodique de la culture pour les uns, pape de l’élitisme pour les autres. En effet, le téléspectateur a pu assister à un véritable combat idéologique, certes superficiel, audience oblige, mais présent en filigranes, et qui a débouché sur une interrogation fondamentale : la télévision doit-elle répondre aux attentes du téléspectateur ou doit-elle, à l’inverse l’inciter à regarder autre chose, afin de l’instruire, de l’éduquer ?

Cyril Hanouna : le démocrate cathodique

« offrir au téléspectateur lambda la possibilité de voir ce qu’il a envie de voir »

Un premier groupe, Cyril Hanouna en tête, représente le concept de ce que l’on appelle la démocratie hertzienne. Le peuple décide ce qu’il va voir chez lui ce soir à la télévision, il représente le sacro-saint audimat, le Graal à atteindre, car c’est lui qui a le pouvoir de vie et de mort sur un programme, et donc, par extension, sur son animateur. Il est alors fondamental, de l’avis de Thierry Moreau, Gérard Louvin, et Jean-Michel Maire, de défendre tous les programmes populaires, et par conséquent de donner à voir ce que le téléspectateur lambda veut voir (« d’offrir au téléspectateur lambda la possibilité de voir ce qu’il a envie de voir »). Ils se font les défenseurs du petit peuple contre l’élite, de véritables Mao du petit écran, le petit Télé Z rouge à la main contre le débat jargonneux des émissions de culture qui exclut l’auditeur devant son petit écran, raillant le manque d’ambiance et de gaieté sur les plateaux, taux d’audience à l’appui.

Il n’est pas rare de voir ces chroniqueurs défendre la scripted reality, la télé-réalité, ou encore Patrick Sébastien, figure de proue de cette démocratie, critiqué, dénigré par l’intelligentsia cathodique, présentateur trop populaire, voire populiste du Paysage Audiovisuel Français.

Enora: pas raison sur tout

« Patoche », le compagnon d’une des chroniqueuses, Valérie Bénaïm, est désormais plus important que le traitement d’une émission culturelle. Au nom de l’audimat.

Le second considère l’objet télévisuel autrement qu’un simple espace de divertissements destiné à nourrir le peuple de questions bonus, de tubes de Michel Sardou, et d’anecdotes de Michel lors de son week-end à Center Parc. La petite lucarne est alors, selon Enora Malagré, la militante anti-beauf de province adepte du langage banlieusard bien plus chic, Jean-Luc Lemoine, Valérie Bénaïm et Christophe Carrière un manuel scolaire destiné au plus grand nombre. La télévision, et surtout le service public, France 2 en tête, doit en conséquence agir tel un despote éclairé, concept issu des Lumières au XVIIIème siècle, prônant la victoire de la raison par l’instruction, sous l’égide d’un monarque idéal au service de l’Etat. Le petit écran devient un Voltaire moderne, son directeur des programmes une entité supérieure raisonnée qui propose des émissions enrichissantes afin de mieux instruire, éduquer son prochain, prenant le risque de l’endoctriner, à l’instar de Canal +, ou de se détacher du peuple et donc de le toiser à l’image d’Arte.

Le débat prend alors fin, déjà, sous la houlette du présentateur Cyril Hanouna qui, à l’aide d’une danse de l’épaule et de la Compagnie Créole remet les compteurs à zéro, mais aussi le téléspectateur dans le droit chemin, afin qu’il ne perde pas de vue le sens premier du programme. Il passe un bon moment, sans s’embêter avec de telles considérations. La question reste donc en suspens.

La tension entre ces deux visions diamétralement opposées du média télévisuel est un puits sans fond idéologique. Il semble cependant que la volonté du peuple ait une longueur d’avance. Preuve en est la tournure que prend le programme, à savoir d’incessants happenings qui laissent le débat de fond de côté. Ainsi « Patoche », le compagnon d’une des chroniqueuses, Valérie Bénaïm, est désormais plus important que le traitement d’une émission culturelle. Au nom de l’audimat.

Hannah Arendt l’avait bien compris dès 1961 dans la crise de la culture, soutenant que « la société de masse ne veut pas la culture, mais les loisirs ». Touche pas à mon poste ne fait que répondre aux exigences de cette société.

Andrés Rib

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Andrés Rib

Ancien de la Sorbonne. Professeur de Lettres. Aime le Balto, et la Philo.

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