Partagez sur "Au péril de la psychanalyse : entre utopie et refus"
« Ce qu’on ne veut pas savoir de soi-même finit par arriver de l’extérieur comme un destin. » [C. G. JUNG].
La psychanalyse fait partie des Sciences Humaines. A ce titre, c’est une science « molle », comme l’économie (sauf l’économisme néo-classique qui postule un homme autonome, indépendant, maitre de ses désirs, rationnel, bref une fiction). Elle n’affirme pas l’existence de déterminismes mais de faisceaux de prédispositions psychiques (ex : un enfant ayant une mère très directive et un père absent – non au sens physique mais symbolique – sera statistiquement prédisposé à avoir une faible estime de soi).
La psychanalyse postule l’existence d’un inconscient (individuel selon Freud, individuel et collectif selon Jung). La voie royale d’accès vers celui-ci réside dans les rêves, moyen pour l’inconscient d’user de personnes et d’évènements de notre vie pour nous faire prendre conscience des forces de l’ombre qui nous manipulent à l’insu de notre volonté consciente.
La psychanalyse pour être entreprise ne nécessite ni culture, ni intelligence supérieure, mais une grande capacité à l’introspection, ce qui est donné à peu d’hommes. Comme l’écrivait C. G. JUNG, « Ce n’est pas en regardant la lumière qu’on devient lumineux, mais en plongeant dans son obscurité. Mais ce travail est souvent désagréable, donc impopulaire ».
Elle n’est un chemin ni vers une perfection idéalisée, ni vers la supériorité intellectuelle ou morale, mais un moyen d’accéder à la vraie liberté : connaître à chaque instant les vraies motivations de nos actes, qu’elles soient désir, éthique, peurs, volonté de puissance, perversions, etc.
Le travail analytique tend à réunifier les contraires qui s’affrontent en soi. C’est une succession de prises de conscience et de luttes pour advenir à soi-même (découvrir « qui » l’on est) et se libérer (savoir à chaque instant ce que l’on désire, que ce soit pour de bonnes ou mauvaises raisons).
La magie de la parole psychanalytique
Par la mise à jour progressive des schémas de répétition, puis de leurs prémices, les traumatismes oubliés ou refoulés de l’enfance, l’homme se libère peu à peu des chaînes qui l’emprisonnent.
Dans un espace hors du temps et hors du monde, où la totale et absolue liberté de parole a pour seule contrepartie l’interdiction absolue et totale du passage à l’acte, la parole libérée, sans entrave, censure, jugement, approbation, confirmation ou critique, permet successivement la plongée en soi-même, la mise à distance, et la prise de conscience intérieure irrépressible (l’opposé de la compréhension intellectuelle froide et désincarnée).
En ce lieu (le cabinet de l’analyste), il n’y a plus ni perfection, ni difformité, ni bien, ni mal, ni obligation, ni procrastination, ni force, ni faiblesse. Mais il y a « la » Vérité. La sienne propre, la seule qui vaille, pas celle que l’on affecte, pas celle qu’il est permis de montrer au monde. Par la mise à jour progressive des schémas de répétition, puis de leurs prémices, les traumatismes oubliés ou refoulés de l’enfance, l’homme se libère peu à peu des chaînes qui l’emprisonnent. Or, tout pas dans la peur de l’obscurité rapproche de la lumière.
Avec les rêves, l’autre porte d’accès à l’inconscient réside dans la capacité à parler sans censure. Dans les faits, la clinique constate qu’il faut compter trois années (en moyenne) pour réussir à parler sans censure, c’est-à-dire être capable de dire à tout instant n’importe quelle idée, fantasme, image qui passe par la tête, aussi perturbante, écœurante, insoutenable, ou rocambolesque qu’elle soit.
La prise de conscience
La découverte, qui peut être parfois pénible, nauséeuse de soi-même est toujours une libération.
Elle ne s’analyse pas, mais alors pas du tout, comme une compréhension intellectuelle d’un problème, l’analyste n’étant d’ailleurs pas un distributeur automatique de réponses. Bien sûr, il peut arriver que dans le cadre de l’analyse, on obtienne une réponse précise à une question précise, mais ça demeure rare.
La prise de conscience est de l’ordre de l’intériorité, c’est-à-dire une vérité d’évidence qui surgit de façon fortuite et inattendue, incidemment pourrait-on dire ; elle jaillit à la suite d’un lent et long travail de plongée en soi-même, souvent alors que l’on parle (croit-on) d’autre chose. Comme l’écrit encore C. G. JUNG : « L’émotion est ce moment où l’acier rencontre une pierre et en fait jaillir une étincelle car l’émotion est la source principale de toute prise de conscience ».
La prise de conscience pourrait s’analyser comme une descente « dans » les Enfers. Pourquoi « dans » et non « en » ? Parce qu’il s’agit quasiment d’une visite touristique guidée ou plutôt accompagné ou encore main dans la main avec l’analyste. La découverte, qui peut être parfois pénible, nauséeuse (les sensations « physiques » durant les séances, rares, sont un signe exceptionnel de résolution des conflits : le corps rejoue somatiquement un affect pour l’expulser), de soi-même est toujours une libération.
La « neutralité bienveillante », oxymore nécessaire
En 2015, la psychanalyse « pure et dure » n’a plus cours.
Dans un premier temps (environ trois ans, où on ne parle d’ailleurs pas de psychanalyse, mais de thérapie), on fait physiquement face à l’analyste ; il nous « soutient » par son regard, par ses propos, et endosse un rôle de béquille. Quand on lui dit ses peurs, il ne nous encourage pas à ôter progressivement nos défenses (de toute façon, la volonté n’y est pour rien à l’affaire), mais au contraire nous aide à rajouter des verrous à notre porte ; bref, il nous confirme dans notre vision du monde, afin que nous prenions confiance en lui. Il nous laisse répéter librement en boucle toujours les mêmes choses, comme on le fait déjà si bien tout seul aujourd’hui, afin, un jour, de prendre conscience de notre radotage… Durant cette période, on « raconte sa vie » : la mère intrusive ou distante, le père haï ou absent, les études contraintes ou leur non-sens, le désir absent ou qui submerge, la disgrâce ou le narcissisme, etc, etc…
Dans un second temps, l’analysé est enfin capable de parler sans censure, c’est-à-dire qu’à chaque instant durant la séance, quoiqu’il passe par son esprit, dans quelque ordre que cela vienne, quel que soit l’horreur, la bizarrerie, la débilité, l’inconvenance, le cynisme, la violence de ce qui traverse son esprit, il sera capable de le dire. A ce moment-là, l’analysé ne fait plus face à son analyste, mais il est allongé sur le divan, ce fameux divan, et fait alors face à lui-même, c’est-à-dire sa vérité. Le vrai travail pourra alors commencer.
Cependant, dès le départ, le simple fait de pouvoir parler en sûreté, sans jugement, selon le célèbre oxymore, dans une « neutralité bienveillante », permet d’entamer sa déconstruction, d’ôter les vêtures aux gabarits inadaptés (souvent, mais pas toujours) que « la vie » (papa, maman, soi-même, les autres, les événements, etc) a posé sur nous.
Quittons-nous (provisoirement) en citant une dernière fois C. G. JUNG :
« On ne peut voir la lumière sans l’ombre,
on ne peut percevoir le silence sans le bruit,
on ne peut atteindre la sagesse sans la folie. »