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Ils sont en train de les rendre fous. Ils ? Ce sont les « nouveaux conservateurs », ces « néo-réacs » qui déboussolent notre machine médiatique. 

Ancienne figure de proue de la gauche comme Debray ou iconoclaste de droite comme Zemmour jusqu’à la figure tutélaire Onfray, ils donnent le tournis à nos brillants analystes jamais avares en raccourcis de pensée et toujours avides de nouveaux slogans pour ranger des personnalités qui, pourtant, sont différentes.

Par-delà les nuances, il demeure des dissemblances voire des incompatibilités entre ces différents penseurs que la paresse intellectuelle range pourtant sous la même bannière.

Parce qu’il est de plus en plus flagrant de constater que leurs contempteurs n’ont jamais ouvert un seul livre d’histoire ni le moindre manuel de philosophie, se contentant de répéter ce que dit le voisin (de gauche évidemment) qui lui non plus ne s’est même pas renseigné sur les textes de ces « réacs », il est grand temps de préciser leur pensée ainsi que leurs divergences.

Eric Zemmour, la nostalgie polémique

Depuis ses inoubliables diatribes chez Ruquier et ses échanges avec Nicolas Domenach sur iTélé, Zemmour est devenu la vilaine bête réactionnaire à abattre de Canal + à Libération. Et il s’en amuse. Ses rengaines sur l’antiracisme, « les bien-pensants » comme ses citations de Bossuet sont connues de tous et l’incroyable succès de son Suicide français révèle l’écho qu’il trouve auprès du grand public. Zemmour, c’est un souverainiste pur sucre, contre l’esprit de Maastricht, la Commission de Bruxelles et ce qui empiète sur l’indépendance de la France. C’est un nostalgique de Bonaparte et de de Gaulle revendiqué, qui situe le début du déclin français après la boucherie de Waterloo. Selon lui, la France est gouvernée par un parti unique européiste qui impose ses diktats, et se veut « porte-parole du peuple silencieux ». Chacun appréciera. C’est également un pourfendeur du féminisme, du communautarisme, du libéralisme et de tout ce qu’il nomme « idéologies dominantes ».

En somme, c’est un homme de droite du début des années 90.

Au final, Zemmour n’a pas inventé grand-chose (tout ce qu’il clame a été écrit ou dit bien avant), mais il a été le premier à le faire entendre sur un plateau de télévision à une heure de grande écoute. Il se situe donc, si nous reprenons les classifications de René Rémond, entre le bonapartisme et le légitimisme, car il souhaite un état fort en même temps qu’un attachement aux racines et aux « anciennes valeurs » perverties par la modernité égalitariste. En somme, c’est un homme de droite du début des années 90.

Onfray, celui qui reste à gauche

Que ne raconte-t-on pas sur Michel Onfray, son virage à droite, sa « zemmourisation » … En 2007 déjà, à l’issue des présidentielles, il indiquait dans son blog qu’il regrettait son vote pour Ségolène Royal, confiant en de très belles lignes son amertume envers cette gauche qui ne changera rien au quotidien de son frère ouvrier. Le choix de Michel Onfray, c’est la gauche. Il le revendique et a raison de le faire, tant sa connaissance de Proudhon ou de Camus est exemplaire et lui permet de justifier ses engagements politiques. La critique d’un socialisme dévoyé, acquis au libéralisme bruxellois, n’a rien d’une lubie zemmourolâtre sur le tard. Il le dit très bien lui-même « J’en veux à cette gauche d’avoir permis à Marine Le Pen d’être aussi haut dans les sondages », et, finalement, c’est comme si cette nouvelle gauche qui devait combattre la finance fait payer au soldat Onfray son intangibilité et sa constance philosophique.

Le cri d’Onfray, c’est celui d’un homme fidèle à ses convictions et celui d’un intellectuel sincère.

Onfray est un libertaire, qui revendique l’héritage de Mai 68 – ce que Zemmour abhorre par excellence – et vante les mérites de l’égalité, de la République et de l’éducation qui permet au fils de paysans normands de pouvoir s’émanciper … D’où ses critiques légitimes sur les projets fous de Najat qui veut en finir avec le latin et souhaite que les garçons jouent à la poupée. Le cri d’Onfray, c’est celui d’un homme fidèle à ses convictions et celui d’un intellectuel sincère. Parce que ses idées n’ont pas changé, mais que celles du PS et de ses nouveaux militants, oui. Et leurs relais médiatiques n’en ont pas fini de harceler le penseur de province tant que ce dernier n’aura pas abjuré son socialisme réel.

Houellebecq, la possibilité de gêner

Des couvertures de Libération jusqu’aux éloges de Valeurs actuelles, Houellebecq a lui aussi fait le tour du grand échiquier idéologique, surtout depuis Soumission. Mais comme nous l’avons vu et revu dans les colonnes du Nouveau Cénacle (lire l’article de Christophe Bérurier à ce sujet : « Soumission : extension du domaine du plausible »), ce roman n’a rien des -phobes que notre si génial microcosme culturel accole à chaque parole, déclaration ou œuvre qui sort de ses clous.  Houellebecq, c’est l’écrivain du « monde sans Dieu », ou, en d’autres termes, de la France qui tournerait le dos au christianisme. L’homme se revendique d’ailleurs sans religion mais ce n’est pas le sujet : il écrit sur un monde qui refuse toute transcendance et imagine tout simplement un président musulman parce qu’une partie de la population n’a pas cessé de croire. Le scandale a éclaté, et il n’en a pas fallu plus pour que Michel s’amuse de ce scandale à peu de frais …

Il serait possible d’établir un lien avec Onfray à propos de Nietzsche, mais nous sommes très loin du socialisme libertaire du philosophe normand.

Auteur du nihilisme contemporain et de la médiocrité ambiante, lecteur de Schopenhauer et de Muray, il a certainement été plus facile à nos icônes chloroformées et ranger Houellebecq dans le camp de la réaction plutôt que de s’interroger sur le projet littéraire et philosophique de cet opus qui – après lecture – n’a rien de bien dérangeant. Il serait possible d’établir un lien avec Onfray à propos de Nietzsche, mais nous sommes très loin du socialisme libertaire du philosophe normand, et encore plus loin de la pensée d’un Zemmour qui ne se situe pas du tout dans les pas nietzschéens.

Finkielkraut, la question de l’héritage

Tout a été écrit et dit ou presque sur Alain Finkielkraut, également au sein du Nouveau Cénacle par Andrés Rib (Lire : L’Identité malheureuse, Alain Finkielkraut déterre les morts et enterre les vivants Partie 1 et la Partie 2). Il est lui aussi venu de la gauche , selon la formule consacrée à laquelle il ne pardonne pas d’avoir renoncé à la question de l’héritage culturel. S’il emploie l’expression « Français de souche », c’est pour mieux faire valoir qu’il n’en est pas un, qu’il est descendant d’immigrés polonais et que c’est grâce à l’école et à la culture française qu’il a pu s’émanciper. Son principal souci, c’est ce que Camus réclamait lors de son discours de réception du Nobel : « empêcher que le monde se défasse ».

Son principal regret, perceptible dès La Défaite de la pensée il y a vingt ans, c’est la fin d’une république des professeurs qui instruit plus qu’elle n’éduque. 

En répétant que « L’antiracisme est le communisme du XXIe siècle », il tend le bâton pour se faire battre, tant ce monstre médiatique et juridique aime croquer une nouvelle bête chaque semaine. Son principal regret, perceptible dès La Défaite de la pensée il y a vingt ans, c’est la fin d’une république des professeurs qui instruit plus qu’elle n’éduque, transmet et apprend à penser et sa critique du communautarisme rejoint à cet égard celle de Zemmour : il est pour l’assimilation et s’en prend au nivellement par le bas, sans toutefois lier cela à la disparition de la virilité occidentale (thème zemmourien s’il en est), parce que Finkie c’est également le penseur de la galanterie, de l’amour courtois, du « cœur intelligent » pour reprendre le titre de l’un de ses ouvrages de critique littéraire. Loin de Nietzsche (à l’inverse donc d’Onfray et de Houellebecq), il se rapproche de Lévinas, notamment sur la question du judaïsme et doit beaucoup au regretté sociologue Paul Yonnet, auteur de Voyage au centre du malaise français en particulier concernant l’antiracisme et le roman national. Infiniment plus complexe (voire contradictoire au fil du temps), Alain Finkielkraut n’est définitivement pas assignable à un parti ni à une mouvance, encore moins à une étiquette.

Debray, les frontières de la gauche

S’il y a accueil (comme ils l’ont tous demandé avec la larme de crocodile à l’œil durant tout l’été) c’est bien qu’il y a frontière.

Régis Debray, c’est avant tout l’homme qui a suivi Che Guevara en Bolivie. Au niveau de l’engagement socialiste, il n’a donc de leçons à recevoir de personne, en particulier de la part des plumitifs planqués à donner des leçons dans leur salle de rédaction confortable. Mais depuis environ cinq ans, il provoque l’ire des mêmes qui vitupérèrent à l’envi contre Zemmour et Onfray quitte à le ranger, lui aussi, dans la même catégorie, notamment depuis la sortie en 2010 de son ouvrage Éloge des frontières, repris à de nombreuses reprises par Guaino / Sarkozy en 2012.

Des frontières encerclent un pays, donc une langue, une culture, un destin commun. Cela dérange nos bonnes âmes du cosmopolitisme tout terrain, estimant que passé égal ténèbres et qu’avenir équivaut à lumière.

Parce que ces gens découvrent que oui, un pays a des frontières. Et que Debray parle « d’acquis de la civilisation » en parlant de ces dernières. Il en fait l’éloge, car des frontières encerclent un pays, donc une langue, une culture, un destin commun. Et cela dérange nos bonnes âmes du cosmopolitisme tout terrain, qui estiment que passé égal ténèbres et qu’avenir équivaut à lumière. Debray n’est pas devenu Zemmour parce qu’il défend le principe de frontières : si, d’ailleurs, il y a accueil (comme ils l’ont tous demandé avec la larme de crocodile à l’œil durant tout l’été) c’est bien qu’il y a frontière. A les écouter, Renan serait Finkielkraut et Jaurès se « droitiserait ».

L’homme de droite qu’est Zemmour n’est donc pas assimilable à un inflexible socialiste comme Onfray. Houellebecq et son nihilisme n’ont rien à voir avec Debray comme ce dernier partage très peu – hormis le goût de la discussion – avec Finkielkraut.

Que ces thuriféraires de la réflexion moins que zéro relisent enfin leurs cours de lycée et réapprennent quelques concepts simples. Que ces Charlie qui ont défilé la main sur le cœur en janvier se souviennent qu’ils ont été, pendant 24 heures, pour la liberté d’expression. Que l’on se souvienne, toutes et tous, enfin, que nous sommes héritiers de Socrate et que de la confrontation des idées naît souvent une part de vérité.

 

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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