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Avant même sa sortie, tout avait déjà été dit sur le dernier roman de Michel Houellebecq. Victime d’une publicité involontaire, son roman se vend comme des petits pains au chocolat. Le Nouveau Cénacle a fait ce que n’ont pas fait les autres : lire Soumission avant d’en parler.

Les attentats contre les dessinateurs de Charlie Hebdo ouvrirent à l’auteur de La Carte et le Territoire, le prix Goncourt 2010, une autoroute vers la rupture des stocks. Le roman fut décrit à l’avance comme un récit d’anticipation présentant l’arrivée du chef d’une « Fraternité Musulmane » à la plus haute responsabilité politique de France et semblait mettre le doigt là où cela faisait mal. Soulever la question de la possibilité de l’élection d’un président français musulman à la tête d’un parti ouvertement islamiste c’est interroger les raisons de la panne de l’intégration de certains Français d’origine étrangère refusant une participation pleine et entière à la vie civique et laïque. Houellebecq gagna dès les premiers articles parus sur son livre, la médaille du « nouveau réac », aux côtés de Zemmour, Obertone et les autres. Alors qu’il n’écrit que de la poésie et des romans, l’homme fut bien vite classé dans la case de « ceux qui stigmatisent, ceux qui rappellent les-heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire, ceux qui font le jeu du FN. »

Il est l’un des rares écrivains français à parler de ce que les gens connaissent réellement ; le monde de l’entreprise et son grotesque permanent, l’intégration des êtres dans la société, l’intégration de l’Homme dans le monde.

Le 7 janvier 2015 eurent lieu les attentats contre Charlie Hebdo et parut Soumission en librairie. Deux jours plus tard, l’auteur stoppait sa promotion et se mettait au vert, loin de Paris, sans doute encouragé par la DGSI. Alors que la seule réponse aux kalachnikovs fut un slogan et un « pas d’amalgame », le livre de Houellebecq tombait à pic pour bon nombre de Français. Détrompons-nous, Soumission aurait reçu eu un succès même sans l’involontaire coup de main des assassins de Charlie.

L’auteur connaît son pays et le comprend. Il est l’un des rares écrivains français à parler de ce que les gens connaissent réellement ; le monde de l’entreprise et son grotesque permanent, l’intégration des êtres dans la société, l’intégration de l’homme dans le monde. Houellebecq ne se fait pas le porte-parole d’une intelligentzia parigote aveugle et sourde mais de la morne masse qui peuple les RER de banlieue et les TER de province. Ainsi Soumission possède tout du succès de librairie : il exprime une réalité française  que nul ne veut voir du côté de nos gouvernants passés, présents et sans doute à venir : le manque de cohésion d’un peuple qui s’enferme et se recroqueville derrière les rideaux de ses communautés.

Le livre commence dans l’univers d’un narrateur professeur des universités à la Sorbonne — Paris III, celle qui n’a pas le prestige. Houellebecq invente un narrateur spécialiste de Huysmans, ce qui permet la transmission dans les premières pages du livre d’une certaine vision de la littérature, dont bon nombre de jeunes écrivains devrait s’inspirer :

« Seule la littérature peut vous donner cette sensation de contact avec un autre esprit humain, avec l’intégralité de cet esprit, ses faiblesses et ses grandeurs, ses limitations, ses petitesses, ses idées fixes, ses croyances ; avec tout ce qui l’émeut, l’intéresse, l’excite ou le répugne. Seule la littérature peut vous permettre d’entrer en contact avec l’esprit d’un mort, de manière plus directe et plus profonde que ne le ferait même la conversation avec un ami (…). » (p. 13) 

Quelques pages plus loin, le cynisme habituel de l’auteur revient dans la tronche de mes souvenirs d’étudiant pédant de la grande université :

« Les études universitaires dans le domaine des lettres ne conduisent (…) à peu près à rien (…). Elles ne sont cependant pas nuisibles, et peuvent même présenter une utilité marginale. Une jeune fille postulant à un emploi de vendeuse chez Céline ou chez Hermès devra (…) soigner sa présentation ; mais une licence ou un mastère de lettres modernes pourra constituer un atout secondaire garantissant à l’employeur, à défaut de compétences utilisables, une certaine agilité intellectuelle (…). » (p. 17)

La force du roman de Houellebecq réside dans le réalisme.

Comme un impressionniste, Houellebecq fait apparaître la « Fraternité Musulmane » lentement, par petites touches, presque imperceptibles. Alors que des rumeurs d’agressions sur des enseignants parviennent aux oreilles du narrateur, ce dernier apprend de l’un de ses collègues que la sécurité aux abords de l’université est maintenue grâce à un accord signé entre les autorités universitaires et les mouvements de jeunes salafistes. Invité à déjeuner par l’une de ses collègues dans un restaurant marocain de la rue Monge, le narrateur commente laconiquement ce petit événement : « Ma journée serait, également, une journée hallal » (p.35) La force du roman de Houellebecq réside dans le réalisme. 2022 n’est pas si loin. Certes, on voit mal s’organiser en sept ans un islam politique en France, tout comme on voit mal la remise en question de la loi de 1905 sur la séparation de l’église et de l’état. Mais le personnage de Mohammed Ben Abbes, chef de la « Fraternité Musulmane » est d’un réalisme effrayant.

L’islamophobie présumée : Grande absente du roman

La majorité des critiques littéraires ayant parlé du livre ont eu la même lecture (même s’ils n’ont sans doute pas lu le livre en intégralité). « Islamophobie », « division », « amalgame », et tous les mots clefs de l’antiracisme sont apparus un peu partout dans la presse. La palme de la critique inutile et faussement intelligente du livre revient au chef du Monde des Livres dont je ne citerai pas le nom : il voit dans Soumission la volonté de l’auteur de soumettre les lecteurs à ses idées et à ses visions du monde. Et alors ? L’existence du Monde des Livres, celle de tous les journaux littéraires, celle de tous les journalistes faussement critiques, ne sont dues qu’aux écrits de ces écrivains visionnaires qui ont toujours su provoquer les réactions outrées des bigotes semi-intelligentes de la littérature. Mesdames et messieurs les critiques littéraires, les écrivaillons sans visions mais porteurs de vison, soyez humbles et n’oubliez pas que Houellebecq est peut-être l’un des seuls écrivains contemporains dont nous parlerons encore dans quelques centaines d’années.

Le personnage inventé par Houellebecq pourrait être adoré par les Français tout comme ils adorent Omar Sy, Jamel Debbouze les faisant rire ou d’autres gens de qualités issues de l’immigration.

Et même s’il est de ceux qui appliquent à la lettre la paratopie de l’écrivain décrite par D. Maingueneau, s’étrangler devant un roman dont la critique nous donnera le boire et le manger, c’est un peu de l’hypocrisie.

Trève de babilles, revenons au texte. L’islamophobie est définie par le petit Robert comme une « sorte de racisme dirigée envers les musulmans et qui se traduit par des actes de malveillances et de discrimination ethnique envers les maghrébins. » Ainsi donc, un roman qui met en scène la victoire démocratique d’un parti prônant l’islam politique serait un roman islamophobe. Non, non, non, soyons sérieux. Le personnage de Mohammed Ben Abbes se rapproche de l’idéal républicain. Il semble complètement français, rejeton du système administratif républicain. Rien de bien méchant donc et rien d’invraisemblable. Le personnage inventé par Houellebecq pourrait être adoré par les Français tout comme ils adorent Omar Sy, Jamel Debbouze les faisant rire ou d’autres gens de qualités issues de l’immigration.

« Replet et enjoué, fréquemment malicieux dans ses réponses aux journalistes, le candidat musulman faisait parfaitement oublier qu’il avait été un des plus jeunes polytechniciens de France avant d’intégrer l’ENA (…). Plus que tout autre, rappela-t-il cette fois-ci, il avait bénéficié de la méritocratie républicaine ; moins que tout autre il souhaitait porter atteinte à un système auquel il devait tout (…). » (p.108)

Le personnage de Ben Abbes apporte donc une vision  nouvelle avec son parti et c’est bien la force du livre : dessiner un paysage politique composé de personnalités  existantes et des nouveaux venus. Ce besoin de nouveautés, de fraicheur et de nouvelles idées dans le paysage politique français est tout sauf de la simple littérature.

Le roman de Michel Houellebecq se révèle être un texte d’anticipation contenant quelques faiblesses narratives dues à la nécessaire complexité des récits appartenant à ce sous-genre. Mais c’est aussi et surtout un roman qui permet au lecteur de se poser les questions qui fâchent. Les citoyens français et leurs élites politiques sont-ils prêts à tout pour la réussite de leur pays ? L’identité culturelle française évolue naturellement au contact des populations nouvellement arrivées en France, mais cette identité culturelle doit-elle oublier ses racines spirituelles, son histoire et ce qui a fait sa complexité pour protéger sa réussite financière ? Souhaitons-nous jouer avec la laïcité et les racines chrétiennes de la France, comme on perd à l’euromillion ? Houellebecq nous pousse à nous interroger, à prendre parti, son roman ne nous laisse pas le choix : c’est ce qu’on lui reproche.

Michel Houellebecq nous pousse à nous interroger et à prendre parti, son roman ne nous laisse pas le choix, c’est ce qu’on lui reproche.

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Christophe Berurier

Christophe Berurier est professeur. Il aime les mots et le vélo.

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