Partagez sur "Communication politique 2.0 : mission doublement impossible ?"
Impossible pour un homme ou une femme politique aujourd’hui de ne pas communiquer. Même si les électeurs n’arrivent plus qu’à décrypter les deux dernières syllabes du verbe.
Indéniablement, la communication, et la communication sur les réseaux sociaux tient une large part de l’appétissant gâteau des potentiels votes des électeurs. Et pourtant… s’il était impossible pour un politique de communiquer, et encore moins en version 2.0 ?
Vers un athéisme communicationnel ?
Les outils se sont multipliés, spécialisés et démocratisés : il est très simple pour un politique, actuellement, de trouver des relais de communication, sans passer uniquement par la presse. Les nouveaux médias en ligne et les réseaux sociaux se substituent d’ailleurs aux organes de presse traditionnels qui peinent à survivre. Pour preuve, Nicolas Sarkozy a utilisé, le 19 septembre dernier, le réseau social Facebook pour mettre en ligne son discours d’investiture à la tête de l’UMP. L’Homme politique, nouveau roi de la communication virtuelle, peut même se bâtir aisément un véritable trône virtuel de communication tout azimut : Barack Obama a tissé sa toile pluri-médias et intervient régulièrement sur Youtube par des vidéos, sur Facebook et Twitter par des textes ainsi que sur Instagram.
Malgré ces évolutions technologiques qui permettent de s’exprimer de manière quasi-simultanée, et ouvrent des possibilités infinies et évolutives en matière de partage de l’information, ainsi que des moyens aisés de toucher de potentiels cibles très diversifiées, il apparaît indéniable que la communication politique est en crise, tout aussi importante que la crise économique. Clairement, le lien est rompu entre l’homme ou la femme politique et le citoyen. Crise de couple entre les Français et leurs représentants… Le président Hollande, malgré une remontée dans les sondages ces dernières semaines, peut ainsi se targuer du diplôme du plus impopulaire Président de la Ve République. La crise est profonde et elle explique aussi à sa manière le désaveu et la déception face aux figures politiques d’un grand nombre de Français, et ce dans des classes sociales qui s’élargissent.
Il y a les réformes qui ont déçu, l’inaction, le trop plein d’actions qui ont décontenancé et la dégradation de valeurs morales et le joli masque d’exemplarité artificielle que l’on faisait porter à l’élu qui est tombé malgré son éternel costume trois pièces bleu marine. Et puis, il y a l’hyper-médiatisation et la théâtralisation communicationnelle qui dépassent les fondements de la politique.
Bien souvent aussi, la communication politique emploie les même recettes depuis des années, flirtant avec la démagogie, ainsi qu’une forme d’égo-centrisme du pouvoir (l’anaphore du « moi, Président » en étant un célèbre exemple). De ce fait, la parole de la figure politique est constamment mise en doute dans la mesure où généralement elle ne colle plus avec la réalité, avec la vérité des faits. Et lorsque les politiques s’essayent au pragmatisme, employant chiffres et statistiques, c’est bien souvent pour leur faire appuyer leurs décisions, réformes ou visions, de sorte qu’on touche souvent à une forme de manipulation de l’électorat.
Bref, l’on a toujours cette désespérante impression de se faire avoir, et l’on n’y croit plus… on devient athée de la politique, et tels des Don Juan modernes, l’on erre sans foi ni loi, en quête de cette véritable vision politique sans la trouver, sans trouver ce lien qui fait écho en chacun de nous, à provoquer jusqu’à l’extrême. Pourquoi ne trouvons-nous pas d’issue, pas d’espoir, pas de transcendance politique ? L’une des réponses : la communication défaillante des politiques.
Communication politique : l’oxymore
Au sens étymologique, la politique concerne les affaires de la Cité. L’Homme politique est ainsi tendu vers l’action et la transcendance pour le bien commun, et sa parole même se doit d’être tendue vers l’action. Il est l’Homme dont le présent déloge le passé et construit les fondements d’un avenir solide. Le politicien, c’est l’architecte de la vie publique.
Or, le subtil art de la communication moderne n’est plus celui des athéniens, il ne se réalise pas dans l’action, il est toujours immanence, passivité. Il est l’après ou l’avant de l’acte, l’annonce ou le retour. Tout acte de communication, initialement, est difficilement lié au présent. Quand l’action politique est plutôt à placer du côté de la verticalité, du présent, la communication politique est, elle, plate, horizontale : l’Homme politique, de pouvoir, agit des hauteurs de son trône décisionnaire, quand la communication politique doit elle se porter au niveau de chaque citoyen, dans un rapport horizontal avec les autres. Le fruit est donc larvé et inégale dès l’origine pour ce qui est de lier communication et action, de rassembler citoyen et élu.
Mais l’on pourra opposer à cet antagonisme le fait qu’une réelle communication politique, de grande ampleur, n’a été possible que dans les dernières décennies, avec notamment l’arrivée des médias de masse tels que la télévision. Certes, c’est un fait indéniable : l’animal politique est aussi un animal communicationnel, et même une bête de scène depuis que le débat télévisé existe, et ce n’est pas Valéry Giscard d’Estaing qui oserait prétendre le contraire contre François Mitterrand, avec la célèbre tournure du « monopole du cœur », lors d’un débat qui a tourné à sa faveur et lui permit de remporter la victoire de 1974. Tout est scruté, millimétré et maîtrisé, de la tenue, de la gestuelle… Tout doit faire tendre à considérer l’Homme comme un potentiel futur chef d’État. Cependant, sur un plateau télévisé, le politique est encore dans son élément. Du moins, il ne se théâtralise que pour un temps donné, l’émission étant temporellement scellée d’un début et d’une fin. L’Homme politique devient homme-spectacle pour un temps déterminé, avant de retourner à un relatif anonymat, et tel ce même Valéry Giscard d’Estaing, de nous dire, en 1981, « au revoir ».
Les réseaux sociaux, en permettant pour la première fois des interactions de masse, constituent un véritable outil démocratique. Mais le risque pour l’élu de ne plus s’attacher à l’action et de ne plus paraître qu’un parfait comédien politique, sans aucune valeur fondamentale s’étend encore.
La communication politique décapitée par l’ère démocratico-numérique?
Si la communication politique est détraquée, actuellement, c’est qu’elle n’est plus une. L’homme politique est devenu une hydre à deux têtes, et quoi qu’on les coupe et recoupe, ces têtes sont toujours les mêmes. Elles placent les électeurs face à une même médiocrité, ou une forme d’incompréhension qui tend vers l’indifférence. D’un côté, l’élu trône au-dessus des autres hommes pour gouverner (certes, au nom du peuple), de l’autre, il n’est qu’un simple citoyen parmi les citoyens, avec les mêmes problématiques quotidiennes.
En premier lieu, l’homme ou la femme politique doit mettre en œuvre des actions, et les partager dans un but autant informatif que dans celui de faire adhérer l’ensemble de la communauté à son action, de la rassembler et de la lier à ses décisions. Là se trouve véritablement le cœur de l’action du politique. Le politique est aussi en cela un Homme de pouvoir, agissant pour le bien commun, hiérarchiquement au-dessus de l’ensemble du peuple. Cette position d’Homme d’État, d’action, transcendant son propre être pour le bien de tous est celle que l’on appelle actuellement pour François Hollande « figure de chef d’État ». L’on parle de « se poser dans sa fonction », « représenter l’Institution »… Beaucoup cherchent à atteindre cette respectable position. Peu y réussissent véritablement, quelquefois par zèle ou par intermittence. Remarquons qu’il y a dans la volonté d’ériger ainsi le gouvernant au dessus-de tous, comme celui qui éclaire le peuple de son action, une perspective quasi-aristocratique.
Par l’élection certes démocratique, l’homme ou la femme politique a gagné le pouvoir, et le droit de s’exprimer au nom de tous et de prendre des décisions : il est le nouveau roi en CDD gouvernemental et a aussi conquis la fonction royale, celle qui est éternelle et qui fait dire, à chaque mort d’un monarque, « le roi est mort, vive le roi ». Bref, de l’énarque au monarque, il n’y a qu’un pas. Or, cette position au-dessus de la mêlée est illusoire : le roi-homme politique, dans les hautes sphères de ses moult conseillers élyséens, s’éloigne de la réalité concrète et n’est plus en mesure que de disserter sur des concepts éloignés des préoccupations réelles du peuple. Clairement, le politique est comme ce bon gros Louis XVI, qui passe d’agréables jours dans le sublime écrin de Versailles pendant que le peuple crie famine. Il ne sait pas, il ne peut pas vivre le quotidien de la misère, ou de la crise, il n’a pas le temps de s’intéresser à l’individu, et doit agir pour le bien commun, mais de loin, et sans y toucher (la malédiction des sans-dents pourrait se répandre…).
Autre obstacle, le seconde face de l’homme politique : le fait qu’il est d’abord un citoyen parmi les autres citoyens. La société dans laquelle nous vivons se caractérise par la valorisation extrême de chaque individu. Les réseaux sociaux en sont l’illustre représentation narcissique, et les médias démocratiques par excellence. Sur Facebook, Twitter, nous, citoyens de la plèbe du XXIe siècle, avons en effet la liberté d’interagir avec tous, et de mettre nos idées sur le même plan que celles des hommes politiques sans aucune hiérarchisation si ce n’est le nombre de followers qui nous suivent, les likes ou autres RT. Nous sommes donc libres et égaux dans la masse, libres aussi d’être parfaitement incompétents et de malgré tout ériger nos avis d’ignorants en vérité. Nous sommes des Hommes démocratiques à la manière platonicienne. Nous croyons que « tout homme s'(entend) à tout et qu’il (peut) se mettre en infraction, parce que chacun (a) l’impudence de se croire compétent » (Platon, Protagoras et Lois, livre III) Et nos figures politiques le sont aussi lorsqu’elles s’inscrivent sur les réseaux sociaux, se créant un profil, c’est-à-dire mettant en avant leur propre individualité au détriment de l’action. L’Homme politique perd ainsi une grande partie de son prestige, alors même qu’on lui demande aussi d’être cet égal de tous, cet humain dans lequel chacun d’entre nous se reconnait.
Cette vision est à nuancer néanmoins : elle n’est pas la même aux États-Unis, par exemple. Au pays de l’Oncle Sam, l’on accepte aisément que le président soit aussi un showman, un homme du marketing qui vend sa politique à ses concitoyens en utilisant les mêmes méthodes certifiées VIP. On accepte qu’un acteur tel que Schwarzenegger ait une légitimité politique, qu’il soit d’abord un citoyen des Etats-Unis d’Amérique sans porter cette fonction quasi-royale et élitiste du politique chez nous. C’est même valorisé, dans la mesure où une forme d’empathie est ainsi créée avec la foule. En France, le cloisonnement des castes politiques est plus fort, et sans doute aussi marqué par un historique de la hiérarchisation et du classement plus important qu’aux États-Unis. Un sportif ou même un journaliste élu ne feront pas forcément l’unanimité. On leur reprochera leur côté « showbiz ». Quant à la présence des hommes politiques sur les réseaux sociaux, à trop forte dose (grave erreur de Nadine Morano, plus « discrète » ces derniers temps néanmoins), on leur reprochera d’un côté de perdre leur temps au détriment de leur rôle essentiel et du salut public, de survaloriser leur personnalité au détriment de la politique qui devrait être le fil directeur de toutes leurs actions, et de l’autre, de participer à une lutte de pouvoir dérisoire qui ne correspond en rien à la figure politique (et peut-être trop idéale) initialement définie.
Bref, dès qu’il communique, et en particulier sur les réseaux sociaux, l’Homme politique est symboliquement décapité par le peuple, l’on devient indifférent à ses propos parce qu’il n’est qu’un people parmi tant d’autres, quand on voudrait lui faire porter autre chose : le poids des responsabilités. Mais en lui faisant assumer cette charge, il n’est plus capable d’avoir une nette vision de la vérité et de la réalité qui l’entoure.
Faut-il pour autant saborder toute communication politique ? Certains le souhaiteraient, et en analysant le compte Twitter de François Hollande, le ton politiquement correct et creux, degré zéro de la com’ pol’, on est tenté de rire de la vanité de ce discours ultra positif de bisounours altruiste. L’auteur de ce texte voudrait croire cependant qu’un jour, prenant conscience des dangers qui menacent et des véritables enjeux de leur tache, les politiques remettront en question leur rapport à la communication. Qu’ils comprendront que l’essentiel est de donner du sens, et ne perdront plus tant d’énergie à défendre leurs propres ego pour se mettre sur le devant de la scène médiatique. Qu’ils laisseront, par l’entremise de toutes leurs actions, la place aux citoyens et se mettront à leur service, sans accorder aux uns plus de privilèges qu’aux autres. Car fondamentalement, l’essentiel de toute bonne communication, au-delà de la politique, c’est de considérer, et faire exister son interlocuteur sans l’anéantir dans le marasme oppressant du silence ou le bourdonnement étouffant de l’extérieur.