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Le dernier opus en date de Clint Eastwood est sur les écrans outre Atlantique depuis le 16 janvier, et dès les premiers jours, des voix discordantes se sont fait entendre. Michael Moore a « tiré » le premier, affublant au défunt Chris Kyle, héros du film, l’épithète de « lâche ». Il s’est ensuite rétracté. Quant à Seth Rogen, il a comparé l’œuvre au pastiche de film de propagande, contenu dans Inglorious Basterds. Certains ont aussi accusé le film d’être islamophobe. Il est vrai que le contexte de sa sortie n’est pas idéal, eu égard aux événements ayant touché notre pays. Mais il s’agit de prendre du recul. Revenons ensemble sur les questions que soulève ce film.

Le film est basé sur une histoire vraie, la vie d’un homme, Chris Kyle, qui s’est engagé dans l’armée à la fin du siècle dernier. Une décennie plus tard, celui-ci est une légende vivante au sein des forces armées, appartenant à l’élite, les SEALs. Avec plus de 160 cibles exécutées, il devient le tireur d’élite le plus efficace de l’histoire militaire américaine.

L’américanisation du héros contemporain

Avec American Sniper, la représentation de l’idéal héroïque (le soldat) s’élève au-dessus de ce qui tient aux circonstances immédiates. Il devient par ses actes de bravoure, par sa mort soudaine et prématurée, une icône.

Le héros grec peut se définir comme un individu à qui l’on prête des exploits et un courage exceptionnels, exerçant ainsi sur la communauté humaine une influence importante. Il est humain, mais se rapproche, par ses origines, des figures divines. Achille, par exemple, nourrisson, fut plongé dans le Styx par sa mère, le retenant par le talon, rendant son être invulnérable, à l’exception de la partie émergée.

Les « Ricains » ont aussi leurs héros. Un peuple relativement nouveau, dont l’histoire ne peut être comparée à la Grèce antique. Ainsi la genèse du héros américain du comic-book a toujours été influencée par l’histoire immédiate du pays. Bruce Banner, plus connu sous les traits de Hulk, représentait le danger du nucléaire dans les années 60 et si l’on prend un exemple d’actualité, le deuxième opus de Captain America revient sur l’hyper surveillance des Américains – réelle ou fantasmée – par leur gouvernement.

Avec American Sniper, la représentation de l’idéal héroïque (le soldat) s’élève au-dessus de ce qui tient aux circonstances immédiates. Il devient par ses actes de bravoure, par sa mort soudaine et prématurée, une icône. Chris Kyle, interprété par Bradley Cooper, incarne l’Amérique dans ce qu’elle a de plus archétypale : né au Texas, tout jeune, il accompagne son père à la chasse, grandissant, il devient champion de Rodéo. La suite, nous la connaissons tous aujourd’hui.

On a évidemment critiqué Clint Eastwood pour avoir réalisé un film de propagande. Mais, et nous vous le disions à propos de la sortie mouvementée de l’Interview qui tue, tous les films américains peuvent être considérés comme tels. La promotion gigantesque, l’amplitude de la diffusion, l’influence que ce cinéma exerce ne peut pas se résumer à quelques films : c’est une machine de guerre, bien plus efficace que son armée. Par ailleurs, on oublie un peu vite sa filmographie, Lettres d’Iwo Jima¸ par exemple, nous montrant des troupes japonaises dévastées par la guerre… et l’armée américaine. On est, encore une fois, allé trop vite, jugeant hâtivement un film, qui, certes, est réalisé par un homme ne cachant pas sa sympathie pour le camp républicain, mais dont la subtilité et la délicatesse du travail méritent sans doute mieux que des critiques tapageuses.

On remarque malheureusement que les matériaux du cinéma, si divers, ont perdu leur caractère de signification et d’intertextualité, subissant l’empreinte des complaintes médiatiques, et ces histoires sont vues de manière par trop simplistes, alors que l’héroïsme se manifeste aujourd’hui sous des traits nouveaux. Cette histoire, comme invention personnelle du réalisateur est vue comme anecdotique, mais on y entrevoit les traces d’un sens symbolique qui s’est quelque peu perdu. Avec cette nouvelle dictature de l’immédiateté médiatique. La conséquence de gens qui n’ont plus aucun recul.

American Sniper et Démineur : même combat

Dans Démineurs, on remarque que tous les Irakiens sont représentés à l’écran de manière positive.

La sortie d’American Sniper nous permet aussi de nous pencher sur un autre film sur la Guerre d’Irak, Démineurs. Si les deux productions ont le même sujet, elles diffèrent grandement par son traitement.

Dans Démineurs, on remarque que tous les Irakiens sont représentés à l’écran de manière positive. A l’inverse, l’infime partie des Irakiens apparaissant dans American Sniper sont dépeints comme des barbares sanguinaires, complices de cette barbarie. En cela on peut penser que le film récompensé par un oscar en 2010 est plus prudent dans sa représentation des situations de guerre urbaine. On ne voit ainsi jamais la barbarie s’incarner dans un être humain. Une scène montre un enfant mort dans lequel un dispositif explosif est implanté. Cependant, on ne voit jamais les individus responsables de cette barbarie. On ne montre que les victimes. On appelle cela un parti-pris. D’ailleurs le film a aussi été vivement critiqué lors de sa sortie par un certain nombre de vétérans.

Reste que lorsqu’on fait un film sur les militaires en Irak, il est difficile d’avoir une image positive du pays ou de ses habitants, notamment quand on se place du point de vue des forces dépêchées sur place.

American Sniper : ode à la paix ou manifeste guerrier ?

Dans l’univers Eastwood, somme toute très manichéen, où l’existence du « mal » rend nécessaire la violence, on peut aussi se dire que cet angle est justement très approprié à cette situation.

Le réalisateur a-t-il une responsabilité vis-à-vis de son audience ? Cet argument est souvent mis sur la table lorsqu’un film comme American Sniper rencontre un succès aussi massif qu’attendu. Ce peuple aime les héros, dans une logique d’auto-renforcement de leur modèle de société. Si Chris Kyle a pu avoir la carrière qu’on lui connait, c’est d’abord grâce à ce pays des possibles. Au final, tout se résume à une affaire d’angle, de ce que l’on veut montrer ou pas.

En montrant un héros, pris en tenaille entre sa famille et son unité, Eastwood choisit de montrer la capacité quasi surhumaine d’un homme en situation de combat (le héros), devenant cependant complètement obsolète lorsqu’il revient dans la vie civile, dans la lignée du premier Rambo. Le réalisateur américain nous explique que son film se positionne contre la guerre, car elle finit par détruire, aussi, les survivants. Le film insiste surtout sur l’inéluctabilité du processus. Il y aura toujours des conflits dans le monde, c’est humain.

Est-il sincère dans ses propos ? La question reste en suspens. Dans l’univers Eastwood, somme toute très manichéen, où l’existence du « mal » rend nécessaire la violence, on peut aussi se dire que cet angle est justement très approprié à cette situation. L’Amérique a été, est et sera, toujours considérée par elle-même comme faisant partie des gentils, luttant pour un monde libre. Mais le véritable bourreau reste la guerre elle-même, réduisant à néant tout espoir d’une vie normale pour ceux qui ont eu le courage (ou l’inconscience) de s’engager.

American Sniper est un film américain par excellence, laissant peu de place aux lamentations et apitoiements d’une nation qui se tient debout, drapée dans son manteau de certitude, pour les nombreuses années à venir.

 

NB : La France devra attendre le 18 février pour juger des exploits de l’American Sniper.

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Rémi Loriov

Rémi Loriov est un homme libre qui s'intéresse à tout. On dit souvent à son propos : "personne ne sait ce qu'il fait, mais il le fait très bien." Il aime les histoires.

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