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Tremblement de terre sur la planète cinéma. Au cours des derniers jours, le géant nippon-américain a été victime d’une suite de cyberattaques visant à étaler au grand jour non seulement les films à venir, mais aussi les coordonnées personnelles d’un certain nombre de salariés et individus travaillant autour de l’industrie cinématographique américaine. A l’heure où Georges Clooney veut prendre le relais de Reagan dans la lutte contre le communisme et où la censure culturelle se transforme en crise diplomatique, penchons-nous sur les enjeux de cette affaire.

Dans ce nouveau monde connecté, la Corée du Nord a gagné, en faisant plier Hollywood, puis les États-Unis. En fait, les propriétaires de salles ne voulaient pas passer le film en raison des menaces sur leurs salles, même si certains étaient prêts à ne pas céder. Ce sont au final les distributeurs qui ont fait pencher la balance. Les hackers qui ont revendiqué l’attaque avaient aussi menacé les salles obscures qui diffuseraient ce film, agitant le spectre du 11 septembre.

Le cinéma, outil essentiel du Soft Power américain

The interview possède toutes les caractéristiques d’un film de propagande. Ne vous méprenez pas, nous ne disons pas ici que tout film américain est un film de propagande, ou qu’il a pour seul et unique but de nous faire adopter un mode de vie et un comportement, et quand bien même ce serait le cas, certains sont plaisants à regarder : on citera par exemple : Transformers (en tout cas le premier opus), Independance Day, ou autre True Lies de la grande époque. Grâce à leur cinéma, les États-Unis sont ainsi parvenus à entrer dans tous les foyers et les esprits du monde. Mais pour la Chine, seul allié connu de la Corée du Nord, la comédie de Seth Rogen et Evan Goldberg (Superbad) démontre à elle seule toute l’arrogance américaine. L’Empire du milieu pointe le fait que le pays de l’Oncle Sam ne dispose pas pour l’instant de preuves tangibles de l’implication de la Corée du Nord.

Ce pays à part lutte avec les armes dont il dispose. La bombe atomique étant hors de question, elle s’attaque au joyaux de la machine de guerre américaine : l’industrie cinématographique.

Sony est ce qu’on appelle un Conglomérat, dans la grande tradition nipponne des Mistubishi, coréenne avec Samsung, américaine avec General Electric. Par conséquent, le groupe est très diversifié, avec des activités dans plusieurs secteurs très différenciés, mais complémentaires. Cela fait sa force, et lui a permis de se remettre de certains échecs retentissants, notamment les lecteurs MP3 et autres tablettes tactiles, qui n’ont jamais su trouver leur public. La faute sans doute à la marque à la Pomme de feu l’autocrate Job. Sony : c’est de la hi-fi, des smartphones, des ordinateurs, quatre consoles, et bien sûr des films. En terme de business model, c’est judicieux, mais lorsqu’une partie de la structure est attaquée, le reste peut être atteint, suivant un effet domino. En effet, imaginez un instant que votre Samsung Galaxy soit piraté par des agents mandatés par une puissance étrangère hostile.

Sony c’est aussi de la musique, ayant produit entre autres Michael Jackson. Qu’est-ce qui pourrait empêcher de faire taire un artiste prenant des positions défavorables à l’endroit d’un régime politique ?

SONY : une cible privilégiée pour les hackers anti-américains

Cette affaire fait passer les Américains pour des amateurs, avec le piratage d’une société d’origine japonaise. Cocasse, notamment lorsqu’on connaît les relations historiques pour le moins tumultueuses entre le Japon et la Corée, on se dit que nos amis communistes ont fait d’une pierre deux coups.

Il faut se rappeler qu’en 1989, Sony se lance de la production cinématographique en rachetant à Coca Cola ses parts dans la Tristar Pictures, pour un total de 3.4 milliards de dollars, qui sera ensuite renommée Columbia Pictures Entertainement. Malgré la transaction, le personnel reste bel et bien américain, avec une production en ce sens. Cela a apporté au conglomérat une exposition maximale de ses produits. Selon le cercle vertueux du capitalisme culturel, Sony produit le contenant (le film) et le contenu (les différents équipements électroniques utilisés). Ainsi des films tels que The Amazing Spiderman, Friends with Benefits ou Casino Royale sont aussi une vitrine pour ses produits (le fameux « product placement »). Mais cela n’a pas que des bons côtés, notamment si on ne fait pas le nécessaire en termes de sécurité informatique.

On se souvient que la PS3 et le Playstation Network avaient été victime d’une cyberattaque en avril 2011. Les données personnelles et bancaires de plusieurs dizaines de millions d’utilisateurs du système avaient été dérobées.

Un précédent : vers une guerre froide des cinémas

Ironie du sort, on a utilisé Internet, espace de liberté quasi absolu, où chacun peut dire et produire absolument ce qu’il veut, pour censurer un film. Comme souvent, l’Homme est parvenu, avec un outil global d’harmonie entre liberté et création, à produire une inadéquation entre la forme et le fond. Un pays entier, ou en tout cas ses dirigeants, qui n’a pas voulu être décrit comme « malfaisant» a fait ce qu’il faut pour que le film ne sorte jamais. On se rend compte qu’on a jamais autant parlé du film en question, et de certaines lubies d’acteurs. Sony aurait pu répliqué en diffusant directement le film sur Internet, combattre le feu par le feu en somme, sans risquer une quelconque atteinte des biens et des personnes. Il semble que l’on se dirige vers cette option.

Côté américain, on reste étonné par la cacophonie qui règne dans les déclarations des différents acteurs. Sony affirme que Pyongyang a commandité l’attaque, la présidence américaine voulait au départ démentir, comme pour ne pas mettre d’huile sur le feu. Extrêmement prudente, le porte parole de la Maison Blanche, Josh Earnest a déclaré qu’il n’était pas en position de désigner la Corée du Nord comme responsable. On ne comprends pas bien cette position, si ce n’est celle de ne pas apparaître vulnérable face à une puissance étrangère vue comme arriérée, jusqu’à cet événement. On peut aussi penser que ne pas répondre à la provocation évite l’escalade. Reste qu’Obama ne s’est pas gêné pour critiquer la décision de Sony de retirer le film des salles, en pointant l’ennemi coréen comme seul responsable.

Une chose est sûre : cette attaque ne sera pas la première du genre. Ce retrait forcé créé un précédent. Si une puissance comme la Corée du Nord, dont on connaît les carences techniques et démocratiques, est capable de mettre en place ce type de procédé, on peut s’attendre à ce que d’autres pays hostiles à l’idéal américain fassent de même. On sait déjà qu’un projet avec Steve Carell, tiré de la de la bande dessinée Pyongyang, écrit par Guy Deslile, du Québec, a été mis au placard suite à cette affaire. Il faut bien voir que le pays forme depuis 2001 des hackers, qui seront amenés à pirater les systèmes informatiques des États adversaires. Ainsi, la Corée du Nord a compris une chose : la vraie guerre sera d’abord technologique.

Au-delà du caractère anecdotique de certaines découvertes – savoir que tel ou tel acteur ou actrice s’avère colérique et imbus de sa personne n’est pas surprenant   on peut craindre que le phénomène se généralise à la production culturelle toute entière. Bientôt, pourquoi ne pas imaginer les dirigeants d’un pays comme l’Iran engager des hackers pour attaquer un studio américain qui ferait un film peu flatteur sur le pays ? Ainsi, la manière qu’a Homeland d’évoquer saison après saison les mouvements terroristes d’Asie Centrale n’augure rien de bon quant à la suite de la série si un jour, par exemple, l’État Islamique décidait d’agir. On pourrait multiplier les exemples.

Attendons. Il s’agit maintenant pour les États-Unis se faire respecter. Schopenhauer nous disait, dans son petit traité sur l’art de se faire respecter, « l’honneur, c’est l’opinion que d’autres ont de nous ». Et pour l’instant, la première puissance mondiale donne l’impression qu’elle se laisse guider par une opinion et un sens de l’Histoire qui ne sont pas les siens, chose rarement vue dans l’Histoire.

A l’heure où nous écrivons ces lignes, le FBI est à présent être dans la ligne de mire des hackers. La Corée du Nord menace quant à elle les États-Unis de représailles. Le camp républicain demande instamment que le film soit distribué, pour montrer que le pays ne capitulera pas. Il semblerait que l’escalade tant redoutée est bel et bien en train de se produire sous nos yeux, avec les spectateurs comme chair à canon.

Rémi Loriov

 

Edit : Énième rebondissement, puisque le film sera finalement diffusé pour Noël par une poignée d’irréductibles aux États-Unis.

 

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Rémi Loriov

Rémi Loriov est un homme libre qui s'intéresse à tout. On dit souvent à son propos : "personne ne sait ce qu'il fait, mais il le fait très bien." Il aime les histoires.

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